Hiro’a n°171 – 10 questions à : Te Arata, en signe d’espérance

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Dix questions à – Wilfred Yamatsy, artisan nacrier (VARUA Mana)

Te Arata, en signe d’espérance

Propos recueillis par Valentine Livine – Photos : Wilfred Yamatsy et Hauata Taurere

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Au téléphone, la voix est douce, mais ferme. On me prévient : « Je suis sauvage, je n’aime pas les interviews. Et il n’y aura pas de photos. » S’il est vrai que Wilfred, artisan nacrier lauréat du concours de meilleur jeune artisan en bijouterie traditionnelle, refuse d’être photographié, en revanche, il n’est pas sauvage. Plutôt réservé, observateur et attendant d’avoir jaugé la personne en face de lui pour se dévoiler. Résumé de notre rencontre en dix questions.

Vous avez gagné le 1er prix du concours du meilleur jeune artisan de cette édition. Pouvez-vous nous parler de votre préparation et de ce que le prix change pour vous ?

« Le prix ne va changer ni ma façon de travailler ni le regard que j’ai sur mon travail. Mais j’en suis heureux car c’est une grosse surprise. Les candidats se sont tous démarqués et le second prix, l’horloge en pae’ore réalisée par Ponia Paparai, est une œuvre d’art incroyable.

Je ne voulais pas faire le Salon des jeunes artisans créateurs, mais ma compagne et partenaire de travail a insisté et m’a inscrit en tant qu’exposant dans la catégorie « bijouterie traditionnelle ». Inscrit d’office au concours du meilleur jeune artisan créateur, je me suis préparé en trois semaines : deux semaines . dessiner, conceptualiser la pièce, puis cinq jours pour la réaliser. Le thème “Réinventer la tradition”, au final, m’a inspiré et chose intéressante les participants pouvaient présenter une œuvre libre sur ce thème. »

Que symbolise l’œuvre présentée au concours ?

« Nous l’avons baptisée Te Arata. Il s’agit d’un va΄a, embarcation qui a permis aux Polynésiens de découvrir le Pacifique et bien plus encore. C’est la représentation de l’espoir d’un peuple, de résilience, survivance, combativité et connexion à la nature. La pirogue est tellement plus qu’un simple moyen de transport. Elle est sacrée, synonyme de vie et de renouveau. Pour ma femme Hauata et moi, c’était important de symboliser l’espérance en des jours meilleurs en rendant hommage à notre culture. Après les deux années de crise sanitaire et économique, nous sommes au plus bas et avons besoin d’espoir, de connexion, besoin de nous soutenir et d’utiliser nos ressources locales, qu’elles soient humaines, nourricières, ou matérielles. La pièce est principalement en nacre et en coquillages. »

Vous évoquez 2020 et 2021, comment cela a-t-il impacté votre quotidien ?

« Nous faisons un large chiffre d’affaires au Heiva. Deux ans sans Heiva… Les commandes au plus bas car l’art n’est pas la priorité, ce n’est pas ce qui te nourrit, et l’on comprend parfaitement. Mais ces deux dernières années ont été horribles pour nous et nombre d’artisans. Nous avons divisé notre chiffre d’affaires par dix ! Hauata a participé à la création d’un groupe Facebook d’aide aux entreprises rassemblant les démarches et les informations quant au fonds de solidarité, pour guider tous ceux, qui, comme nous, ne rentrent pas dans les cases administratives d’aides financières. Mais nous avons des idées, des ressources intellectuelles et manuelles. Nous allons nous en sortir, même si c’est extrêmement difficile. »

Quels sont vos projets ?

« Nous rêvons d’un atelier participatif. Ce serait un lieu où le matériel serait à disposition pour les jeunes sortant du Centre des métiers d’art par exemple, ou pour n’importe quelle personne réellement motivée par l’apprentissage de l’artisanat. Nous avons à cœur de participer à la transmission du savoir-faire des artisans. Nous souhaitons également mettre en place une filière de valorisation de nos coquillages. Tout s’utilise dans un coquillage : l’animal peut être consommé, sa structure transformée en objet décoratif, sa nacre utilisée en bijouterie, la poussière de nacre utilisée en pharmacologie, cosmétologie ou, tout simplement, comme engrais. Lorsque nous voyons tout le gaspillage autour du produit, ça nous désole. Nous souhaitons apprendre aux artisans à valoriser l’intégralité du coquillage, dans le respect de celui-ci. »

Quand et comment êtes-vous devenu artisan nacrier ?

« Par hasard ! Après des études en maths-informatique, j’ai commencé à toucher à la nacre chez Itchner. En fait, je connaissais déjà le métier car, enfant, j’observais le travail d’Émile Itchner (fils), très bon ami de mon grand-père. Je suis devenu officiellement artisan nacrier en 2017. »

Pouvez-vous nous parler de votre profession ?

« Je travaille la nacre, matériau biominéral que l’on trouve dans la partie interne des coquillages. Il en existe une infinité de couleurs, toutes intéressantes et différentes. Je peux sortir de grosses commandes, comme par exemple 8 000 pièces pour une troupe de danse, comme un bijou raffiné. Je travaille pour les bijoutiers, les artisans, les particuliers. Je fais de tout : nettoyage de coquillage, commande en gros, travail d’orfèvrerie sur des pièces uniques… Mon métier est tellement ouvert. »

Comment organisez-vous votre travail ?

« Pour toutes les commandes et la communication, c’est Hauata qui s’en charge. Lorsqu’un particulier souhaite un bijou, il discute avec elle. Avec sa sensibilité, Hauata comprend les attentes de la personne et sait me les retranscrire pour que je les passe dans le matériau et l’œuvre. Nous travaillons en symbiose. Pour ce qui est de la création, c’est plutôt au feeling que ça marche. Je ne vends un objet que quand j’en suis pleinement satisfait, qu’il colle à la personne. Sinon je recommence. »

Auriez-vous un exemple ?

« Je dois créer un hameçon pour mon meilleur ami. J’en suis à mon cinquième essai ! Je n’ai pas encore réussi à créer celui qui lui correspond parfaitement. Du coup, nous avons vendu les cinq autres, qui sont magnifiques d’ailleurs. »

Que ressentez-vous lorsque vous créez ?

« C’est difficile à expliquer. Avec Hauata, on est forcément joyeux dès que l’on crée. C’est léger en nous. Et comme une transe ensuite. Pour moi, lorsque je mets la musique et que je me penche sur un coquillage, c’est comme si le stylet dansait sur la nacre. Il y a le mana. C’est pour ça que j’ai appelé mon entreprise Vārua Mana. »

Pourquoi refusez-vous toutes photos ?

« Je préfère laisser parler mes créations. Elles sont mon visage. Et aussi, je suis un peu joueur j’aime me faufiler incognito sur les stands, comme au Salon des jeunes artisans créateurs. Je suis plus à l’aise dans ma bulle créative à l’atelier, avec ma famille et les coquillages. »

Légendes

Te Arata, l’œuvre ayant permis à Wilfred Yamatsy de remporter le 1er prix dans la catégorie bijouterie traditionnelle lors de la seconde édition du Salon des jeunes artisans créateurs.

Les hameçons réalisés initialement pour son meilleur ami ont tous été vendus car Wilfred sent qu’il n’a pas encore « trouvé » le bon design.

Mettre la nacre en valeur, voilà ce que préfère Wilfred, encore plus lorsque la couleur l’inspire et que la minutie est de rigueur !

Quand Wilfred crée une pièce sur mesure pour son beau-père : un tiare incurvé spécialement pour lui permettre d’effectuer le geste qui le détend en le polissant avec son pouce.

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