Hiro’a n°170 – Trésor de Polynésie : Marcelle Tepava : « Il faut transmettre le savoir-faire »

Trésor de Polynésie

Rencontre avec Marcelle Tepava, artisane en vannerie traditionnelle. Texte et photos : M.O

 

Marcelle Tepava : « Il faut transmettre le savoir-faire »

Marcelle Tepava crédit M.O

S’il y a un mot pour définir Marcelle Tepava, c’est « transmission ». En effet, cette artisane originaire de Rimatara et spécialiste de la vannerie traditionnelle se bat pour que son savoir-faire, hérité de sa tante, perdure au travers de tous ceux qui souhaitent le recevoir.

Marcelle Tepava est originaire de Rimatara, « une fille des Australes », venue très tôt à Tahiti pour continuer sa scolarité. Âgée de soixante-deux ans aujourd’hui, elle vit la plupart du temps à Afaahiti où elle a acquis un terrain. Mais elle est souvent à Papeete parce que, comme elle le dit, « c’est là que tout se passe ».

La vannerie, une affaire de famille

Nul n’est besoin de rappeler que les Australes, en particulier les îles de Rurutu et Rimatara, sont réputées pour la qualité et la finesse de leurs productions artisanales de vannerie. La famille de Marcelle n’a pas échappé à la tradition. « Quand j’étais enfant, avant de venir à Tahiti, nous allions régulièrement récolter les feuilles de pandanus. Il fallait les faire sécher avant de les mettre en rouleau. C’était le travail des jeunes. » Mais ce n’est pas à Rimatara que Marcelle a appris la vannerie. « Lorsque je suis venue à Tahiti, j’avais quatorze ans. Je vivais chez ma tante paternelle et c’est avec elle que j’ai appris, bien plus tard, à tresser les paniers marché. » Cette dame était artisane professionnelle et possédait un stand au marché de Papeete.

Ce n’est qu’assez tardivement dans sa vie que Marcelle s’est intéressée au tressage des paniers. En effet, après une scolarité assez brève, elle a choisi de rester à Tahiti. « J’ai fait ma vie, je me suis mariée et j’ai eu une fille. C’est pour cela que je ne suis pas rentrée sur mon île natale. À Tahiti, il y a l’école et les enfants peuvent continuer leurs études. » Pour gagner sa vie, Marcelle exerce en tant que femme de ménage chez les particuliers. Le week-end, pour aider sa tante à répondre aux commandes de sa clientèle, elle confectionne des paniers. « J’ai commencé à tresser des paniers à trente ans. Elle ne m’a pas expliqué com- ment faire, non, elle m’a juste dit de m’asseoir près d’elle et de l’observer. Elle m’a dit : “Tu fais tout doucement, tu peux y arriver. Les idées vont venir ensuite.”  Cela me permet- tait de compléter mes revenus », raconte-t-elle. Au fil des années, Marcelle consacre une partie plus importante de son temps à la confection des paniers. Et lorsque sa tante se retire, Marcelle reprend son stand au marché, tout en continuant son travail salarié. « J’ai tenu ce stand pendant six ans, mais c’était compliqué car je devais aussi m’occuper de ma maman qui était grave- ment malade. J’étais obligée de confier mon stand. » Si bien qu’elle finit par rendre son emplacement. Mais elle n’abandonne pas pour autant cette activité qui est devenue une passion. Aussi, après le décès de sa mère, et surtout après sa retraite, Marcelle décide de s’y consacrer entièrement.

La créativité, moteur de son travail

Elle s’investit alors au sein du Comité Tahiti i te Rima Rau (CTRR), qui regroupe des artisans traditionnels. « J’ai continué jusqu’à maintenant parce que j’aime ce travail. Je crois que c’est parce que je peux créer des choses. J’ai plein d’idées et je fabrique des objets différents. J’ai amélioré les paniers marché, je fais aussi des pē΄ue (des nattes de sol), des corbeilles, que je décore avec des coquillages, du tapa… » Marcelle apprécie aussi le contact avec les clients. À ce sujet, elle ne supporte pas que des produits soient mal faits. « Il m’arrive de réparer l’anse d’un panier, même s’il a été fabriqué par quelqu’un d’autre. Mais si je sais qui a fait ce panier, je vais voir l’artisan et je lui dis ce que je pense de son travail. Pour moi, quand on vend un produit, il faut que ça soit bien fait et solide. »

Transmettre le savoir-faire

Marcelle Tepava, depuis quelques années maintenant, anime aussi des ateliers ouverts à tous, durant lesquels elle enseigne l’art de la vannerie traditionnelle au travers de la confection de paniers. « Le service (de l’artisanat traditionnel, ndlr) m’appelle et me donne une salle pour travailler. Les per- sonnes qui souhaitent participer s’inscrivent avec moi. » Ces ateliers se passent sur deux journées, vendredi et samedi. « Il y a des mamans, des jeunes. Peu importe. Quand c’est fini, ils repartent avec leur produit. C’est pour ça aussi que j’active le travail, je ne les laisse pas perdre du temps à papoter ! »

Ces ateliers ont lieu uniquement à la demande du Service, en général sur une durée d’un mois. « La plupart du temps, ce ont des personnes qui veulent juste savoir tresser leur propre panier. Mais il y a aussi des jeunes artisans, patentés, qui ont besoin de compléter leur savoir-faire pour améliorer leurs créations. Ils me demandent si cela ne me dérange pas. Au contraire ! Je suis heureuse de leur enseigner ce que je sais ! » Car pour Marcelle, le savoir-faire doit être partagé. Une attitude qui ne fait pas l’unanimité dans le monde des artisans. « C’est vrai, il y a ceux qui ne veulent pas donner leur savoir. Pourquoi ? À quoi ça sert de garder pour soi-même ? et après, quand ils ne sont plus là, c’est perdu ! »

Entre tradition et modernité, pas de clivage

Pour Marcelle Tepava, il faut laisser les choses évoluer. « Les jeunes ont une mentalité différente des anciens. Ils voient plus loin, ils innovent. C’est normal. Mes connaissances, mon savoir-faire, je les ai acquis en travaillant, mais je ne suis pas restée sur ce que ma tante m’a appris. J’ai aussi créé de nouvelles choses. J’ai amélioré mes pro- duits. » Selon cette artisane, la jeunesse a son rôle à jouer, et il faut l’aider, la soutenir, lui donner ce dont elle a besoin pour avancer. « Je fais confiance à cette jeunesse et je suis toujours heureuse de pouvoir former les jeunes qui veulent apprendre le tressage traditionnel. »

Partager son savoir pour sauver la tradition

Sur la question de transmettre la connaissance traditionnelle à des personnes venues de l’extérieur, elle a son point de vue et le défend : « Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent qu’il faut réserver nos connaissances traditionnelles. On transmet à nos enfants, s’ils veulent bien apprendre. Mais s’ils ne veulent pas, il ne faut pas les garder pour soi. On peut les donner à d’autres personnes. Je crois que la tradition va se perpétuer de cette manière. Alors que si on la garde pour soi parce qu’on a peur que d’autres s’en saisissent, c’est là qu’on risque de la perdre. Et même si on ne transmet qu’à nos enfants, qui nous dit qu’eux ne vont pas un jour partir, avoir des enfants avec des gens de l’extérieur, de France, de chine ? on ne sait pas ! et peut-être que, parmi un de ces descendants, sortira un enfant qui reviendra à la source pour mieux connaitre la tradition de ses ancêtres polynésiens. »

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