Hiro’a n°169 – Le saviez-vous ? Roger Tetuira, maître artisan

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Le saviez-vous ? – Centre des Métiers d’Art (CMA) – Pu ha΄api΄ira΄a toro΄a rima΄i

Roger Tetuira, maître artisan

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Rencontre avec Roger Tetuira, enseignant au Centre des métiers d’art. Texte et photos : Suliane Favennec

Il est le plus ancien enseignant du Centre des métiers d’art. Roger Tetuira est un maître artisan de la Polynésie française. Depuis trente-cinq ans, il apporte son savoir-faire aux nombreux élèves du Centre.

Assis devant la table de l’atelier de gravure, au premier étage de l’un des immeubles du Centre des métiers d’art, l’homme est concentré sur ce qu’il fait. Lunettes de protection sur les yeux, les doigts minutieusement affairés sur la machine de gravure, il fait face à ses élèves. Roger Tetuira a cinquante-trois ans, il est le plus ancien du Centre : il a fait partie de la promotion Henri Bouvier, le premier directeur du CMA. Il y est entré en 1982 en tant qu’élève, avant de devenir formateur en 1987. Depuis, le quinquagénaire forme les élèves de première année à la maitrise de la pièce à main, la machine à graver et la sculpture. « Je donne la base : comment affuter les outils, comment couper le bois avec une tronçonneuse ou travailler les motifs. Je dois les former en un an car ils doivent savoir tout faire une fois en deuxième année. »

La gravure des différents motifs des archipels de la Polynésie fait aussi partie du programme. Roger est originaire de Rimatara aux Australes et son œuvre est jonchée de motifs de chez lui dont il est fier. « C’est important pour moi de mettre en avant les motifs des Australes, qui sont moins connus et qu’on perd. Ces motifs sont assez répétitifs. Il faut donc avoir la passion. » La passion, Roger l’a. L’artiste aime son métier et, selon ses confidences, ne pourrait pas faire autre chose. Il passe beaucoup de temps à graver ces motifs avec une extrême minutie. Il est d’ailleurs reconnu au Centre et dans le milieu pour son savoir-faire. « Il est vraiment dans la tradition des métiers d’art, il est une référence. C’est un maître artisan de la Polynésie », souligne Viri Taimana, directeur du CMA, qui travaille avec cet artiste diplômé de l’UPF et de l’École Boulle. Une école créée en 1886, qui est l’une des plus grandes écoles des métiers d’art et de design en Europe, et qui a formé les plus grands artisans de France. Cet enseignement a donc aussi forgé la dextérité et le talent de Roger Tetuira

Un travail méticuleux

Roger aime la finition et la finesse. Ses œuvres en sont l’exemple même. Comme cet ensemble de sets de table gravés en tressage de pē΄ue sur du bois de miro, réalisé en 2007 lors d’une formation au CMA avec Patrick Blanchard, sculpteur et meilleur ouvrier de France, enseignant à l’École Boulle, qui lui a permis d’obtenir le diplôme universitaire de maître artisan de la Polynésie française. « On devait travailler sur un thème de la table et j’ai choisi un ensemble de sets, de repose-verres et de couverts. » Sa pièce principale, le set de table, imite le tressage de pē΄ue des Australes dont chaque carré fait 5 millimètres. Un travail long de deux semaines et difficile. Au centre de l’œuvre, un cercle avec des motifs des Australes : des dents et des écailles de poisson. Ici, chaque détail compte, rien n’est laissé au hasard. « Roger est très méticuleux. Il connait bien son métier et il prend toujours le temps de bien faire les choses. Il ne te donnera jamais un objet s’il n’est pas bien fini », explique Viri Taimana qui le côtoie depuis des années et connait bien le personnage. Plutôt du genre taiseux, Roger préfère la réalisation à la parole. Il peut passer des heures sur sa création. « J’arrête quand mes yeux se ferment de fatigue », confie l’artiste. Roger a confectionné quatre sets de table, qui ont été exposés en 2009. Avec ses sets, des porte-verres en miro et des couverts. Ces derniers ont été fabriqués à partir de nacre et d’os de bœuf car plus épais donc plus facile à travailler. « J’ai utilisé de la nacre que j’ai transformée en pyramide. J’ai appris avec le professeur Sio, ici au Centre en 1989-90, et je l’ai reproduit en 2009 pour aller avec mon set. » Avec les fourchettes et les couteaux, l’artiste a imaginé un repose-couverts en os de bœuf mais avec des motifs de la Société. « Je les ai eus dans les livres, ici, au CMA. Il m’a fallu une semaine pour faire le tout. Le plus difficile, ce sont les pillons du repose-couverts car il ne fallait pas que ça casse. »

Savoir transmis

Dernière pièce centrale de l’œuvre de l’enseignant : un tabouret transformé en porte vin. Là aussi, Roger a utilisé du bois de miro et des motifs des Australes. La pièce ressemble donc à un tabouret de musicien de tō΄ere avec une gravure au centre. Les pieds ont été imaginés pour accueillir deux bouteilles de vin. « Faire la forme m’a demandé beaucoup de temps mais le plus dur était la finition et le polissage. » L’œuvre a été exposée en 2016 au Musée de Tahiti et des îles.

« Il apporte son savoir-faire depuis ces trente-cinq années. C’est important d’avoir ce genre de personnage, car il représente pour les élèves ce savoir transmis et cette exigence pour le travail bien fait et surtout, la patience ! », confie Viri Taimana qui admire les œuvres de Roger. La dernière en date : une pagaie des Australes sur laquelle l’artisan travaille actuellement. « C’est long, méticuleux, tout doit être à l’identique du début jusqu’à la fin. J’aime ce genre de travail car cela nous ramène à notre place : être une personne humble, cultiver la modestie et surtout le courage d’arriver jusqu’au bout. » Une œuvre à l’image de son artisan et un exemple pour les élèves du Centre.

Légendes

Sa pièce principale, le set de table, imite le tressage de pē΄ue des Australes

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