Hiro’a n°°167 – 10 questions à : Philippe Plisson, restaurateur de monuments historiques de la SMBR

10 questions à Philippe Plisson, restaurateur de monuments historiques de la SMBR

Propos recueillis par Alexandra Sigaudo-Fourny – Photos : Philippe Plisson

«A Atimaono, Il y a un potentiel touristique important »

friche Atimaono 3

Derrière le golf d’Atimaono, à Papara, côté montagne, existe une des rares friches industrielles de Polynésie française. Intimement liée à l’histoire du coton, de la canne à sucre et du rhum à Tahiti, cette friche vient de faire l’objet d’un diagnostic patrimonial, à la demande de la Direction de la culture et du patrimoine (DCP). Philippe Plisson, restaurateur de monuments historiques de la société SMBR, nous fait part de ses découvertes et préconisations.

 

La DCP vous a commandé un diagnostic patrimonial du site industriel d’Atimaono, de quoi s’agit-il ?

Il s’agissait de réaliser une description des lieux, de définir un état sanitaire et enfin, de donner des préconisations d’entretien, de restauration et de sauvegarde. Il s’agit aussi de démontrer l’intérêt patrimonial de la zone concernée et de comprendre l’importance de ce lieu pour l’histoire de Tahiti. Enfin, un diagnostic tel que celui-ci permet de prendre des décisions pour l’avenir de ce site. Le rapport a été rendu mi-juillet.

Quelle est l’histoire de ce site ?

Le site a été abandonné autour de 1966- 1968, date à laquelle le propriétaire, Jean Bréaud, a fermé la rhumerie. L’histoire d’Atimaono démarre dans les années 1860 avec William Stewart, sa plantation de coton, et l’arrivée des premiers émigrés chinois. Puis se succèderont, sur une période de cent ans, les plantations de cannes à sucre, la sucrerie, la savonnerie et la rhumerie. C’est un site qui a évolué au fur et à mesure des années et des besoins.

Quelle zone est concernée par le diagnostic ?

C’est toute la partie de l’ancienne usine de canne à sucre et de la rhumerie. C’est une zone qui doit faire entre 800 et 1 000 m2 . On y trouve un moulin, deux chaudières et une grosse cheminée. C’est une friche industrielle où, autrefois, on amenait la canne à sucre pour y être broyée. Le jus extrait était ensuite transformé en sucre ou en rhum. La zone n’est pas facile d’accès en raison de la végétation, certains endroits sont d’ailleurs encore inaccessibles. Par exemple, je n’ai pas pu voir la partie où se faisait la combustion de la canne à sucre, car elle est recouverte de végétation et de déchets. Une autre partie, sous les chaudières, est également inaccessible. Les circuits d’eau sont bouchés, il faudrait creuser et nettoyer pour retrouver toute la tuyauterie. Nous avons donc encore des relevés incomplets sur une partie du site.

Quels sont les premiers éléments techniques du rapport ?

Si la cheminée n’a conservé que sa partie maçonnée, les chaudières et une partie du moulin avec le broyeur de canne sont en fonte de fer et en fer puddlé, un matériau utilisé pour la tour Eiffel. J’ai donc travaillé avec A-coros, une société spécialisée dans l’expertise en corrosion. Leur rapport précise que le moulin est dans un bon état général de conservation et exploitable à des fins de valorisation. Les chaudières, elles, sont dans un état plus critique, car elles ont subi les effets de la chaleur. Dans l’ensemble, on peut dire qu’il y a un état de corrosion assez important, mais en termes de patrimoine et de valorisation, c’est encore exploitable.

C’est une très bonne nouvelle, non ?

Oui, car on peut imaginer que ce site sera un jour mis en valeur à l’instar de ce qui se passe aux Antilles, avec notamment le musée du rhum à Sainte-Rose, en Guadeloupe. Il y a un potentiel touristique important, d’autant qu’avec Makatea, c’est le seul patrimoine industriel en Polynésie, à ma connaissance. On entre dans une histoire de Tahiti plus récente. Il y a une mémoire encore vivante.

Justement, y a-t-il d’autres points d’intérêt sur le site qui ne sont pas dans ce diagnostic mais qui mériteraient d’être mis en valeur ?

Par extension, pour faire fonctionner le moulin, il existait un canal à flanc de colline afin d’acheminer l’eau. Ce canal est aujourd’hui abandonné. C’est un ouvrage assez intéressant sur un ou deux kilomètres mais qui se trouve aujourd’hui sous la végétation. Près de ce canal, on a aussi le premier cimetière chinois. Celui-ci ne faisait pas partie de la demande de diagnostic, mais nous savons qu’il est là et c’est aussi un site qui mériterait au moins un nettoyage pour être accessible. On voit bien qu’il y a là un ensemble de choses avec un véritable intérêt touristique, historique et culturel.

Vous parliez de mémoire vivante, avez-vous rencontré des personnes contemporaines de la rhumerie ?

Une partie des informations qui a étayé mon rapport provient des archives de la SEO et de témoignages, car nous avons encore une mémoire vivante sur l’usine. J’ai notamment pu me rendre sur le site en présence d’Hubert Royer dont le père était venu travailler en 1946 à Atimaono. Hubert a ensuite été formé par son père. Il était chargé de l’entretien de la machine, il a donc pu me donner des informations sur le fonctionnement de l’installation.

Quelles sont aujourd’hui vos préconisations ?

Il existe plusieurs phases quand on aborde ce genre de diagnostic. La première phase doit être celle du nettoyage et de la mise en sécurité. Ensuite, la seconde phase consiste à figer le site dans son état actuel. On parle alors de travaux de conservation. Il faut avoir un regard archéologique, car c’est intéressant de voir ce qu’il s’est passé au niveau du sol. Enfin, la troisième phase est éventuellement celle de la restauration.

Peut-on imaginer une restauration du site ?

Ce n’est pas à moi d’en décider. Dans un premier temps, les deux premières phases sont importantes puisqu’il s’agit de protéger et entretenir. La première phase de nettoyage doit amener par la suite à un nouveau diagnostic pour réaliser un vrai inventaire de tout ce qu’on va trouver sous les végétaux, dans un cadre archéologique. Répertorier les objets va permettre de comprendre le fonctionnement global des installations avec le circuit de l’eau et le circuit de la canne. Un gros travail doit être fait pour évacuer tous les déchets présents sur place et sécuriser le site. Ensuite, on pourra stabiliser le phénomène de corrosion. Si on part un jour sur une restauration, il faudra aller plus loin, surtout au niveau des machines.

Pour vous, Atimaono doit-il devenir un site touristique pour l’histoire du rhum en Polynésie française ?

On peut dire que nous avons là un ensemble très intéressant, prêt à être valorisé. Atimaono a connu plusieurs périodes, mais aussi des événements parfois tragiques comme le premier guillotiné de Polynésie française. Il y a plusieurs histoires dans l’histoire, celles du coton, de l’arrivée des Chinois, du rhum polynésien, etc. En travaillant sur ce site, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes ou d’entités portaient un intérêt tout particulier à ce site. Dans une démarche de revalorisation, il y aurait plusieurs événements à mettre en avant.

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