Hiro’a n°166 – Dix questions à : Peterson Cowan, ténor et enseignant

Dix questions à Peterson Cowan, ténor et enseignant

Texte : Lucie Rabréaud – Photos : DR-Peterson Cowan

 

« Mon retour à Tahiti est la continuité de mon parcours »

 

Le ténor tahitien revient au fenua pour prendre la tête du département Chant lyrique du Conservatoire artistique de la Polynésie française. Ses objectifs : favoriser et développer la pluridisciplinarité tranversale « des arts scéniques » et faire briller les talents polynésiens.

 

Comment l’amour de l’opéra et du chant lyrique est-il né ?

Emmanuelle Vidal est à l’origine de ma première émotion lyrique live avec L’Alleluia du Jubilate Exultate de Mozart et un contre-ut final titanesque qui résonne encore dans mes oreilles. J’avais quinze ans, c’était en Nouvelle-Calédonie… Elle m’a ensuite coaché pour un duo et un air classique. Ma passion venait de prendre forme et ne m’a plus jamais quittée.

 

Pouvez-vous nous raconter les débuts de votre carrière de ténor sur les scènes européennes ?

Complexe, flippant, dingue, du travail, encore du travail et toujours du travail… C’était dans le rôle de Tamino de La Flûte enchantée de Mozart à Strasbourg où j’ai participé à huit représentations. C’était dans le rôle de Lérida de La Veuve joyeuse de Lehár en tournée avec douze réprésentations. J’avais dix mois de chant, et j’ai écumé trois chefs de chant. C’était formidable ! J’ai eu la chance de chanter aux côtés de Patrick Bladek, Annick Massis, Rié Hamada, Marie Devellereau et d’être dirigé par les maestros Jacques Grimbert, Semyon Bychkov, Philippe Jordan.

 

Quels sont les grands moments que vous garderez toujours en mémoire ?

Ma rencontre avec Luciano Pavarotti en 1998 à Paris avant et après le concert des trois ténors et surtout son parrainage pour des concours et des théâtres lyriques ; celle avec Maestro Boulez lors de plusieurs séances de travail à l’Ircam de Paris en tant que cobaye voix ; celle encore avec Ghena Dimitrova dans Turandot à Nice ; et enfin, ma rencontre avec Simon Estes dans un récital Wagner à Zürich… Et bien d’autres rencontres. Mon plus beau souvenir sur scène restera celui de Vancouver en 2001 où, à la fin d’une Traviata en version concert, le public est en standing ovation et scande d’une seule voix : « Sing your tahitian song ! » J’ai donc chanté E mauruuru a vau, d’abord a cappella puis rejoint par l’orchestre et tous mes collègues dans un tahitien créatif ! C’était juste parfait.

 

Dans votre parcours, on voit aussi cet intérêt fort pour la musicothérapie. La musique peut-elle soigner ?

La rencontre avec la musicothérapie, lors de mon master de musicologie à la Sorbonne et en collaboration avec un groupe de travail mené à La Pitié-Salpêtrière à Paris autour de l’autisme, du syndrome d’Asperger, de la dyspraxie et de l’ataxie de Friedrich, m’a bouleversé. J’ai appris, j’ai compris, et j’ai réappris, j’ai évolué… Les « handicapables » m’ont guéri de beaucoup de peurs et, en retour, je les soigne par le chant. On s’est raconté nos vies, on s’est fait confiance.

 

Est-ce une nouvelle étape qui commence pour vous avec ce retour à Tahiti ?

Mon retour à Tahiti est la continuité de mon parcours initiatique qui a démarré à 15 ans, et très symboliquement, c’est à 51 ans que je reviens au fenua. Plus qu’un signe, c’est ma réalité !

 

Pourquoi souhaitiez-vous revenir ?

Pour la petite histoire, le fenua a financé mes études de musicologie à La Sorbonne jusqu’à la licence en me versant l’équivalent d’une bourse mensuelle qui m’a permis de payer mon logement étudiant pendant cette période. De plus, quand c’est Emmanuelle Vidal en personne, avec le soutien du directeur, Fabien Mara Dinard, qui vous offre cette opportunité, il faut dire oui et merci !

 

Quel est votre objectif en venant enseigner au Conservatoire ?

J’espère notamment favoriser et développer la pluridisciplinarité tranversale « des arts scéniques » enseignés au Conservatoire. Le fenua est une mine de talents qui ne demandent qu’à briller. Je fais le vœu que, dans les cinq prochaines années, le Conservatoire soit classé parmi les trois meilleurs conservatoires du Pacifique sud et que les directeurs de théâtre lyrique du Pacifique se déplacent au fenua pour recruter nos artistes pour leurs futurs spectacles et programmations.

 

Sur quoi sera basé votre enseignement ? Comment vos cours seront-ils organisés ?

Tout d’abord, je vais observer, écouter, comprendre. Après analyse et selon les objectifs pédagogiques déterminés en accord puis en concertation avec la direction, j’aborderai trois axes majeurs de travail : l’assimilation des fondamentaux techniques, l’enrichissement et la maîtrise des classiques du répertoire, la mise en situation.

 

Avez-vous des projets de spectacles en particulier ? Un premier opéra en tahitien a notamment été donné en représentation il y a quelques mois, est-ce que cela vous donne des idées ?

Les projets de spectacle sont nombreux et divers ! J’aime la haute couture pour sa précision, sa créativité et le concept du « sur-mesure ». Avec la confiance des artistes, l’aide de mes collègues et des différentes ressources en présence nous allons pouvoir créer une « alchimie ». Avec l’autre, l’histoire est tellement plus belle !

 

Avez-vous hâte de revenir et de commencer à travailler au Conservatoire ?

Oui ! J’ai hâte !

 

Encadré :

 

Une vie de passion pour l’art lyrique

 

Né à Tahiti, Peterson Cowan cultive ses références musicales dans la diversité entre les groupes tahitiens à succès, les chanteuses de la belle époque, et des références internationales comme Ella Fitzgerald, Luciano Pavarotti, Kiri Te Kanawa, Jessy Norman… Après des études universitaires brillantes et un début de carrière dans une corporate américaine, Peterson Cowan choisit Paris pour vivre sa passion de toujours : le chant. Études de musicologie à La Sorbonne, la classe de chant au Conservatoire Francis Poulenc, la classe de chant à l’École normale de musique Alfred Cortot de Paris, la musical and classic song department de La Juilliard School de New York, la classe de chant à la Guildhall School de Londres, la classe de chant au Conservatoire national supérieur de Paris… Il perfectionne sa technique vocale avec des pointures de la scène de l’opéra mondiales et approfondit son répertoire avec des chefs de chant d’opéra, des plus grandes villes d’Europe. Peterson Cowan se spécialise dans le remplacement au pied levé de rôle de ténor du répertoire italien, français et allemand. Muni d’un diplôme d’État de musique en technique vocale classique et des musiques actuelles, il assure des cours d’interprétation et de techniques vocales au sein de plusieurs écoles artistiques professionnelles. Formé aux pathologies et à la rééducation des cordes vocales et agréé en Estill Voice Training System, il a développé une expertise de la voix chantée et parlée qui lui permet d’animer des stages de perfectionnement. Il fait également partie de groupes de recherches et de réflexions autour de l’autisme, de la dyspraxie, de l’ataxie et du syndrome d’Asperger, avec qui il développe des outils thérapeutiques musicaux puisés dans le répertoire des chansons tahitiennes de la belle époque.

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