Hiro’a n°162 – Dossier : Bobby, une voix éternelle

Dossier  

Maison de la Culture (TFTN) – T e Fare Tauhiti Nui 

Rencontre avec Bruno Demougeot, Taloo Saint-Val, Roger Tetuanui et sa fille Raumata, Nohorai Temaiana, Reva Juventin et Teiho Tetoofa. Texte Pauline Stasi – Photos : DR 

 

Bobby, une voix éternelle  

bobby

Le 15 février 1991, Bobby Holcomb disparaissait à Huahine, laissant le fenua orphelin. Trente ans après le décès de ce personnage hors du commun, sa peinture et sa musique font plus que jamais partie intégrante de la société polynésienne. Le 24 avril prochain, un concert organisé par la Maison de la culture à To΄atā rendra hommage à cet artiste engagé, qui a mis son talent créatif et sa voix au service du renouveau de la culture mā΄ohi. 

 Dreadlocks, couronne de ΄autī sur la tête, avec ses yeux malicieux et son éternel sourire aux lèvres, Bobby Holcomb a autant séduit les Polynésiens qu’il est tombé sous le charme de la Polynésie. Et trente ans après son décès prématuré à l’âge de quarante-trois ans, cette relation entre l’artiste, surnommé par tous «  Bobby  », et le fenua perdure, comme éternelle… Il n’y a pas un Polynésien, jeune ou moins jeune, qui n’ait chanté un jour dans sa vie Porinetia, qui n’ait fredonné My island home ou Orio. Bobby fait partie de ces artistes dits populaires, au sens noble du terme, connu de tous.  

Né à Honolulu en 1947, à Hawaii, d’un père afro-américain-amérindien et d’une mère hawaiienne et portugaise, ce ne sont pas les stigmates de la bataille de Pearl Harbour qui empêchent le jeune Américain de faire des claquettes. Jeune adolescent élevé par ses grands-parents, puis sa mère, Bobby part étudier à la School Music and Dance de Los Angeles. Confié à une famille d’accueil américaine, c’est dans cette Californie des années « peace & love » qu’il va grandir et s’adonner à ses passions  : la peinture, la danse, la musique blues, jazz, rock, reggae. Il y rencontre des artistes de renom comme Franck Zappa ou Quincy Jones… Sa soif de découverte le pousse à voyager à travers le monde : en Europe où il côtoie le peintre surréaliste Salvador Dali, puis en Asie. En 1976, le natif de l’archipel de Hawaii débarque à Tahiti, dans cette région du monde qu’il affectionne tant, le grand triangle polynésien. Rapidement, il s’installe à Huahine dans une maisonnette située dans le petit village de Maeva.  

Il vivait principalement de la vente de ses toiles  

C’est dans cette île inspirante que Bobby va se plonger dans la culture polynésienne et en apprendre la langue. L’artiste aux multiples talents y écrit ses chansons en reo tahiti, compose sa musique empreinte de mélanges de mélodies tahitiennes, de reggae, de blues et de rock. Avec son timbre de voix chaud et ses chansons aux messages forts sur l’identité, les racines, les légendes ou encore l’environnement mā΄ohi, Bobby va toucher les Polynésiens au cœur. Il sera même élu, en 1990, « homme de l’année » par les auditeurs de RFO et des lecteurs de la Dépêche de Tahiti.  

A l’époque, il était davantage connu pour sa musique que pour sa peinture, Bobby vivait pourtant principalement de la vente de ses toiles. Elles dévoilaient un autre aspect, plus intime, de sa personnalité. Ses œuvres aux couleurs de la terre, marron, ocre, rouge, puisent leurs inspirations dans la Polynésie et évoquent les dieux, les mythes et légendes, les hommes, les femmes en pāreu… l’authenticité de la vie polynésienne. Artiste engagé contre les essais nucléaires et le colonialisme, fervent défenseur du grand triangle polynésien, du savoir-faire traditionnel, d’un renouveau de la culture tahitienne : sa vie, sa musique, sa peinture sont une déclaration d’amour au peuple mā΄ohi, qui l’a adopté pour toujours. 

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Encadré 1 

Tu’iro’o : le concert hommage à Bobby Holcomb  

La troisième édition du concert du Tu΄iro΄o aura lieu  le 24 avril prochain place To΄atā. Pour ce nouvel opus, les artistes présents sur la plus grande scène de Polynésie française rendront hommage à Bobby Holcomb en enchainant ses nombreux succès de My island home à Huahine te tiara’a… sans oublier bien sûr, Porinetia et le magnifique Orio 

 

Insufflés par la volonté du ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, ces concerts baptisés Tu’iro’o ont été initiés en 2019 afin d’offrir aux artistes locaux, et notamment à ceux qui ont contribué à écrire l’histoire de la chanson polynésienne, l’opportunité de jouer plus facilement sur une grande scène de concert comme peut l’être celle de To΄atā Pour ce nouveau concert, le parti-pris a été de confier l’interprétation du répertoire de Bobby à de jeunes et talentueux artistes. 

 «  La musique de Bobby a marqué tous les artistes de Polynésie  », confie d’emblée le musicien Bruno Demougeot, professeur au Conservatoire artistique de Polynésie française à propos de la troisième édition du Tu ΄iro ΄o. «  Bobby est un artiste intemporel, il a laissé un héritage musical et culturel très fort. En cette période de crise sanitaire difficile, ses chansons apportent du réconfort, de la joie  », explique Kevin Van Bastolaer de la Maison de la culture, qui participe à l’organisation du prochain concert du Tu ΄iro ΄o, prévu le 24 avril.  

«Élevés » aux sons des chansons de Bobby  

Pour cet opus 2021 du Tu ΄iro ΄o, c’est toute une génération d’artistes, « élevés » aux sons des chansons de Bobby qui interprétera les succès du chanteur. «  C’est une légende, sa musique a une âme. J’ai grandi avec sa musique. Mes parents, mes grands-parents l’écoutaient », reconnait le jeune Nohorai Temaiana. Effectivement, que ce soit Nohorai Temaiana ou ses compagnons de scène, chanteurs, présents place To΄atā le 24 avril, Teiho Tetoofa, Guillaume Matarere, Reva Juventin, Taloo Saint-Val ou encore la jeune Raumata Tetuanui, les mélodies de Bobby les ont tous accompagnés dès leur plus jeune âge.  

Comme lors des deux précédentes éditions, Bruno Demougeot est aux manettes pour la préparation musicale de l’événement. « Je coordonne les répétitions avec les artistes, le choix des morceaux, des tonalités et l’orchestre. J’essaye de faire en sorte que le spectacle ait une sonorité originale par rapport à ce qui se faisait à l’époque. Pour y parvenir, je me suis entouré de plusieurs musiciens expérimentés, qui possèdent un parcours musical bien rempli. Fariki Mai sera à la basse, Joseph Lai à la batterie, Dany Teriihoania au deuxième clavier, Roger Tetuanui à la guitare et Hans Faatauira aux percussions », précise le chef d’orchestre, qui officiera également au piano.  

Pour Bruno Demougeot, «  Bobby fait partie des chanteurs qui ont donné à beaucoup d’artistes envie de faire de la musique. Je suis originaire de Huahine, je me souviens que quand je passais devant chez lui, il était toujours très souriant, très gentil (…). Il fait vraiment partie intégrante de la culture polynésienne de par sa musique, sa créativité. Il a su mélanger ses cultures américaines et polynésiennes dans les sonorités de ses chansons. Sa musique nous a vraiment inspirés, on a toujours joué ses chansons. Et aujourd’hui encore, on continue (…) ».  

À commencer par le 24 avril place To΄atā ! 

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Encadré 2  

Des artistes bercés dès leur enfance par les chansons de Bobby 

Taloo Saint-Val 

« Il n’y a pas une seule bringue où on ne chante pas ses chansons »  

«  J’ai écouté Bobby toute mon enfance. J’aime beaucoup l’album qu’il a fait avec Angelo. Il faisait partie, avec Henri Hiro et d’autres, du courant incarnant le réveil de la culture polynésienne. C’est une période où on était en train de se chercher, on devait comprendre qui on était pour se recréer. C’est un chanteur très populaire ; on l’entend d’ailleurs encore beaucoup à la radio. Il n’y a pas une seule bringue où on ne chante pas ses chansons. Avant lui, c’étaient des vieilles chansons des années 1960 ; avec lui, on a commencé à chanter des chansons plus modernes, qui ne parlent pas que de vahine sur la plage.  J’ai déjà joué à To΄atā, j’ai partagé une scène avec Youssou N’Dour, c’est une scène impressionnante. J’ai très envie de partager avec les autres musiciens, les autres chanteurs. J’espère qu’il pourra y avoir du public. »  

Nohorai Temaiana : « Cela fait du bien de participer à un vrai concert »  

«  J’ai grandi avec sa musique. Mes parents, mes grands-parents l’écoutaient. C’est une légende, sa musique a une âme. Avec Angelo, il fait partie des chanteurs indétrônables. Je suis originaire de Huahine, alors forcément j’aime beaucoup la chanson Huahine. Je ne me lasse jamais de sa musique. C’est un grand honneur pour moi de participer à un concert hommage à Bobby sur To΄atā, c’est la plus grande scène de Tahiti. Je fais pas mal d’animations en ce moment, mais là, c’est un concert, et cela fait du bien de participer à vrai concert. Je vais interpréter E iti taurua, O oe to oe rima, et Tiare here en duo avec Guillaume Matarere. » 

 

Roger Tetuanui « Il a révolutionné la musique tahitienne »  

«  Je l’ai rencontré la première fois en studio alors qu’il enregistrait. J’ai eu l’occasion de jouer avec Bobby sur scène à plusieurs reprises et de l’accompagner à la guitare pendant des enregistrements en studio. Il m’a beaucoup marqué. Il a révolutionné la musique tahitienne. Il incarne le renouveau de la culture polynésienne, il a tiré vers le haut de nombreux jeunes artistes comme Aldo de Manahune. Il nous a beaucoup influencés, beaucoup d’artistes ont changé leur façon de travailler en studio, de composer et d’être sur scène. Il nous a ouvert l’esprit par rapport à la musique. Humainement, c’est un homme qui était très gentil, très doux. Il avait un contact très facile. Il se mettait toujours au niveau de la personne en face de lui. Je ne l’ai jamais vu s’énerver. Je me souviens d’une anecdote pendant un concert, il devait interpréter une chanson en duo avec Angelo, mais il ne venait pas. Il l’a alors appelé doucement au micro, il est resté très calme, Angelo est arrivé bien après. C’était un homme très cultivé qui aimait le partage. J’adore la chanson My island home, interprété par Bobby et Angelo. Ma fille Raumata Tetuanui va chanter à To΄atā, ça me fait plaisir qu’elle soit présente pour ce concert dédié à Bobby. » 

 

Raumata Tetuanui : «  Il est une grande source d’inspiration pour moi » 

 «  L’une des premières chansons que j’ai interprétées est Orio, je la trouve très belle. Bobby était un artiste complet, il est une grande source d’inspiration pour moi, qui, comme lui, dessine. J’aime autant ses chansons que ses peintures. Je suis vraiment très heureuse de chanter à To΄atā pour ce Tu ΄iro ΄o, consacré à Bobby, j’ai vraiment hâte d’être sur scène. »  

 

Reva Juventin : « Je suis très touchée par la chanson My island home »  

« J’ai grandi avec les musiques de Bobby. Petite, je n’ai connu que son côté musicien, chanteur ; c’est bien après, sur le tard, que j’ai découvert l’artiste complet qu’il était. Je me suis intéressée à son parcours, sur les raisons qui l’ont amené à venir en Polynésie française alors qu’il vivait loin d’ici. J’ai de la famille qui vit à Huahine et j’aime bien chanter Vahine Huahine, c’est pour cela que j’ai proposé de l’interpréter pour ce concert. Je suis très touchée également par la chanson My island home, car Bobby y parle de l’Australie, d’Alice Springs. J’ai des origines australiennes, j’ai toujours été partagée intérieurement par cette double culture, alors forcément cette chanson écrite en tahitien et en anglais me parle beaucoup. »  

 

Teiho Tetoofa : « Tous les groupes reprennent ses chansons »  

«  On nous parlait souvent de Bobby quand j’étais au collège, il fait partie de la culture polynésienne. Ses chansons m’ont accompagné pendant toute mon enfance. Tous les Polynésiens connaissent ses chansons, tous les groupes les reprennent. Il fait vraiment partie du patrimoine musical.Je suis un grand fan de Bobby. J’aime vraiment les messages qu’il apporte dans ses chansons, il parle de la Polynésie, de notre culture, de notre vie. Il a beaucoup touché le cœur des Polynésiens. J’adore aussi My island home, c’est une magnifique chanson.  Je suis allé à Huahine en décembre pour un concert avec mon groupe, on est allés sur sa tombe. C’est une personne qui n’était pas polynésienne au départ, il s’est beaucoup investi dans la culture, dans la langue polynésienne, et aujourd’hui il fait vraiment partie des personnages qui ont marqué la Polynésie, il est très respecté par la population. Pour l’instant, je fais quelques animations, mais remettre les pieds sur la scène de To΄atā, la plus grande scène de Polynésie, ça va juste être fabuleux. Pour les artistes polynésiens, c’est un privilège d’être sur cette scène et de chanter du Bobby. » 

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PRATIQUE  

  • Samedi 24 avril à partir de 19 heures 
  • PlaceTo΄atā 
  • . Billetterie : ouverture au début du mois d’avril, billets disponibles sur place ou sur le site de la Maison de la culture. 
  • À regarder également en live sur la plateforme « Culture chez vous » sur www.maisondelaculture.pf • Tarif : 1 000Fcfp(sur place) 600 Fcfp (en live) 

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