Hiro’a n°160 – Trésor de Polynésie : Mama Fauura : « L’artisanat est un monde merveilleux »

Service de l’Artisanat traditionnel (ART) – Pu Ohi pa ri ma΄i

Rencontre avec Fauura Bouteau, présidente de l’ «  association de l’Artisanat d’art polynésien » et de l’ « association de la bijouterie d’art polynésien ». Texte et photos : Lucie Rabréaud

Mama Fauura : « L’artisanat est un monde merveilleux »

mama fauura

Fauura Bouteau, présidente de « l’association de l’Artisanat d’art polynésien  » et de «  l’association de la bijouterie d’art  polynésien », organise généralement plusieurs salons par an. Le prochain devait être consacré à la Saint-Valentin, malheureusement les conditions sanitaires ne permettent pas sa tenue. Ce changement de programme ne devait pas nous empêcher de revenir sur le parcours peu ordinaire de cette femme hors du commun.

Tout en racontant ses débuts quelque peu rocambolesques, Fauura Bouteau que tout le monde appelle Mama Fauura, garde un œil sur l’entrée de sa boutique, située au premier étage du marché de Papeete. Toujours avec un grand sourire et un vibrant «  Ia ora na  », elle accueille tous ceux qui se présentent avec sa bonne humeur contagieuse. Assise à son petit bureau, installé dans un coin, cela fait plus de trente ans que Mama Fauura fabrique, crée, invente, bricole, s’amuse… «  C’est beau ce que je vis  ! J’aurai soixantedix-neuf ans en avril prochain et je ne veux pas m’arrêter ! » Elle avoue avoir beaucoup souffert du confinement. Rester chez elle, à tourner en rond… ce n’est vraiment pas son truc. La retraite  ? Pour quoi faire  ? Non, ce qu’elle aime, c’est l’artisanat, et dans tous ses métiers. Car l’artisanat regroupe trois métiers, confie-t-elle  : «  Créer, fabriquer et vendre. » La gestion de son entreprise, voilà une des clefs de sa réussite. Elle aime répéter qu’à ses débuts, elle avait un billet de 1 000 Fcfp, une pelote de fils et un paquet de coquillages. Voilà où elle en est aujourd’hui : une personne reconnue de l’artisanat, et plus largement des mondes de la culture et du commerce, qui réalise un chiffre d’affaires respectable et dont les clients lui sont fidèles. Quand elle commence, c’est avec sa fille, Nicole (aujourd’hui ministre du Tourisme et du Travail), qu’elle travaille. Celle-ci est encore étudiante à l’université mais le vendredi, elle accompagne sa mère faire le tour des bureaux pour aller vers les clientes et leur présenter les produits. « Pendant cinq ans, nous avons fait ça. C’était dur pour elle. Elle devait étudier et m’aider. »

« Le plus difficile, c’est la vente. »

Et puis Mama Fauura s’est ensuite rapprochée d’une association, elle avait sa petite table dans la grande boutique du marché qui regroupait tous les artisans. Mais l’aventure se termine mal, l’association a beaucoup de dettes. Une leçon pour Fauura Bouteau qui comprend que, même si on a du talent, ça ne suffit pas, il faut savoir gérer. «  Le plus difficile, c’est la vente. Quand tu crées, tu es tout seul, quand tu vends, c’est autre chose, c’est une autre leçon.  » Elle récupère petit à petit cet espace du marché et développe son entreprise. Mais ce n’est que depuis quelques années que cet endroit est vraiment à elle, rien qu’à elle. Avec son atelier juste éclairé d’un modeste néon où trainent sur la table des coquillages, des perles, des nacres, des fils, des apprêts. C’est comme ça qu’elle trouve l’inspiration. «  Les nouveautés  ? C’est là  », dit-elle en les désignant de la main. Le temps n’a pas eu raison de ses idées, toujours plus brillantes, élégantes ou complètement extravagantes. Installée au marché, elle aurait pu se satisfaire de rester dans le classique mais non, elle invente, conçoit et fabrique de grosses pièces ou des toutes simples. Les vitrines dévoilent les plus beaux bijoux de coquillages et de tressage, un mannequin qui porte une longue parure en perle et nacre qui lui descend jusqu’aux cuisses, des boucles d’oreilles de nacre formant des feuilles. « Pour moi une boutique, c’est un spectacle. »

«  Si chacun de son pays bouge, le pays bouge. »

Une fois que sa carrière a été bien lancée, elle s’est engagée pour accompagner les autres. Elle a les mots, elle ne passe pas par quatre chemins pour dire que ça ne va pas, qu’il faut mieux travailler ou agencer un stand autrement. Exigeante mais juste, prête à encourager ceux qui se lancent. Elle est d’ailleurs membre du conseil d’administration du Centre des métiers d’art, elle est également élue à la CCISM. Et elle organise plusieurs salons par an  : l’artisanat d’art au moment des fêtes de Noël et la bijouterie d’art pour la Saint-Valentin et la fête des mères. «  Il faut que les finitions soient parfaites, que les produits se tiennent. S’ils se cassent à peine utilisés alors ça ne va pas. Je demande du beau et du bien fait. » Voir des personnes s’attarder sur leur ouvrage, voilà ce qui rend Mama Fauura heureuse. Elle se souvient du temps où elle se déplaçait dans les îles, à la demande du haut-commissaire, Jean Aribaud, pour donner des conseils aux familles. «  Il n’y a pas de travail dans les Tuamotu…  », soupirait le haut-commissaire. «  Oh si, il y a du travail  », le reprenait Fauura. Il lui avait alors proposé de venir avec lui, parler aux habitants des îles. «  Il faut ramasser les coquillages et faire de l’artisanat. Tu te baisses, tu ramasses et tu travailles  », assurait-elle à son public. Certains se sont lancés ! Elle prend un éventail, agrémenté d’un assemblage de coquillages à la base du manche : «  Regarde ce coquillage, il est cassé, il a été brassé par la mer, il est arrivé sur la plage et est maintenant sur cet éventail. Il a une histoire. On voyage  !  » Habiller les paniers et les éventails est une idée qui lui est venue pendant le confinement. Aujourd’hui, elle travaille trois fois plus pour rattraper ces semaines perdues. «  Si chacun de son pays bouge, le pays bouge.  Il faut se battre, trouver de nouvelles idées. » Son rêve  : créer un centre culturel à Tautira Les femmes qui ont porté ses premières créations sont aujourd’hui devenues des amies. Et les bijoux de Mama Fauura sont portés aux États-Unis, en Europe, en Nouvelle-Calédonie. Une photo trône dans la boutique : la robe en nacre créée à la demande de Jean-Paul Gauthier. Elle rigole quand elle repense à sa visite ici  : «  Il voulait tout me prendre mais j’ai refusé ! J’avais un salon bientôt… » Elle se penche à nouveau sur son bureau. Elle trouve un coquillage qui traine, le triture et l’ausculte puis c’est parti, elle sait ce qu’elle va en faire. «  L’artisanat est un monde merveilleux, tout le monde peut en vivre. » Son dernier rêve : créer un centre culturel à Tautira qui est « le plus beau village de Tahiti, celui d’où je viens ».

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