Hiro’a n°160 – Le saviez-vous ? Promenade militaire autour de « Taïti »

Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA) – Te Piha faufa΄a tupuna Notice rédigée par un historien du SPAA – Archives SPAA.

 

Promenade militaire autour de « Taïti »

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Le 6 juillet 1861, une promenade militaire autour de l’île de « Taïti », comme on l’orthographie alors, est organisée. De cette expédition de dix-huit jours naitra un récit et un « reportage en images ».

Dans le Messager de Taiti du dimanche 30 juin 1861, on peut lire l’annonce suivante : «  Les Chefs et les Indiens sont prévenus que le 6 juillet prochain, le Commandant, Commissaire Impérial, commencera sa tournée officielle dans les districts de Taïti et de Moorea. Le Commissaire Impérial profite de cette occasion pour faire faire une promenade militaire à une partie de la garnison de Papeete. Les navires de S.M. le LatoucheTréville et l’Infatigable, iront aussi mouiller dans les divers ports de l’île, où ils rencontreront le Commissaire Impérial et son cortège. Le prince Ariifaite, mari de la Reine, et ses fils, Pomare et Joinville, accompagneront le Commissaire Impérial. Le mois de juillet va donc voir une animation inaccoutumée dans nos districts, et les Indiens seront heureux et fiers de recevoir leurs nombreux hôtes. » Il fallut attendre le mois de février 1862 pour que le récit détaillé de cette promenade militaire autour de l’île soit publié en français et en tahitien en raison de retards dans la traduction. O’Reilly écrit que « c’est Gustave Viaud, 1838-1865, le frère aîné de Pierre Loti, médecin de marine en poste à Tahiti, qui, après avoir participé à cette marche, en deviendra le chroniqueur ». Indépendamment du récit, un album « reportage en images » fut réalisé par Louis Armand, commis de marine, qui participa, comme Gustave Viaud, à cette tournée. L’album de la Société des Études Océaniennes comporte 23 lithographies en noir et blanc. (Il existe quelques exemplaires aquarellés, comme on peut le voir dans le volume 7 de l’ Encyclopédie de la Polynésie, page 21.)

Deux cent cinquante hommes mobilisés

La colonne va se composer de deux cent cinquante hommes (cent cinquante hommes de l’infanterie de marine, trentede l’artillerie, la compagnie indigène et les cavaliers d’escorte). «  Bidons, gamelles, quarts, marmites ont été distribués aux troupes, et chaque fraction de quatre hommes est munie d’une tente, avec ses montants, piquets et accessoires, demeure portative qui doit garantir ses habitants des ardents rayons du soleil pendant le jour et des rosées abondantes de la nuit.  » Elle démarre le 6 juillet au matin. «  Sept heures sonnent, les troupes se mettent en mouvement ; les cavaliers d’escorte, parmi lesquels se trouve le prince Tuavira [c’est Joinville, un fils de la reine Pomare, qui a alors onze ans ] ouvrent la marche ; derrière eux, les drapeaux de Pare et d’Arue, portés par deux mutois à cheval, précèdent le Com – mandant, Commissaire Impérial [Gaultier de La Richerie ], suivi de son état-major et accompagné de Ariifaite, le prince époux, et de Ariipaea, chef de Papeete, qui, tous deux, doivent rester avec nous pendant la durée de l’expédition. Les troupes viennent ensuite, tambours et clairons en tête  ; l’artillerie, avec ses obusiers de campagne et ses mules de charge, est placée entre deux sections d’infanterie de marine, dont la dernière est séparée de l’arrière-garde par les chevaux, les mulets, les cantines et autres impédimenta. »

Partout l’accueil de la population sera enthousiaste et à chaque étape, des repas gargantuesques sont offerts, au déjeuner comme au dîner.

Un terrain accidenté et étroit

L’expédition commence donc par la côte est : c’est la plus difficile. Pour se rendre à Tiarei : «  Ce sont des sentiers de chèvre qu’il nous faudra faire suivre presque continuellement à nos chevaux, à nos mulets et à nos canons. [ … ] À mesure que nous avançons, le chemin devient plus étroit, plus accidenté, plus difficile ; dans certains endroits, où des éboulements récents ont eu lieu, l’avantgarde est obligée de se servir de ses pioches pour nous faciliter le passage ; les pièces de campagne sont démontées et placées avec leurs affûts sur les mulets de charge ». D’autres passages sont moins périlleux comme dans le district de Hitiaa : « Au moyen moyen de leurs grandes pirogues, les Kanaques font traverser au détachement deux rivières assez profondes, et nous nous engageons dans les montagnes. Par un beau temps, c’est un plaisir d’escalader ces escarpements. [ … ] Les pièces [des canons] sont démontées et portées à bras par de vigoureux Indiens  ; les longues et tenaces racines du safran des Indes arrêtent le pied et facilitent la marche sur ces pentes glis – santes [ … ] ». De Taravao, l’expédition se rend d’abord à Tautira, pour revenir par le même chemin. Comme dans tous les districts, la journée est rythmée par les repas. «  Nous laissons Tautira à six heures du matin  ; la cheffesse nous accompagne jusqu’aux limites de son territoire et on se sépare d’elle au moment où le jeune chef de Pueu vient avec les dra – peaux de son district à la rencontre du Com – missaire Impérial : c’est chez ce chef que doit se faire la halte du déjeuner, et nous arrivons au moment où s’achèvent les préparatifs du repas. Ici un bœuf a été abattu pour être offert au détachement ; on vient de retirer son corps entier du four kanaque, et cette masse cuite à point, entourée d’une bordure de porcs rôtis, fume, appétissante, sur un épais lit de feuillages. Une abondance non moins prodigue a couvert de mets de toute sorte la table autour de laquelle nous prenons place. Nos hôtes semblent croire que nous sommes à jeun depuis quinze jours. »

Une expédition aux allures d’entrainement

Le retour à Taravao est particulier. En effet, il est prévu que la colonne attaque le fort pour s’en emparer. L’exercice se déroule comme prévu. «  Ne pouvant se faire tuer, les défenseurs du fort sont obligés de se rendre à discrétion et d’ouvrir leurs portes au gros de notre armée  ; nous entrons triomphale – ment dans la place. Cinq minutes après la paix est faite et l’accord le plus parfait règne entre les vainqueurs et les vaincus. »

La promenade va se continuer jusqu’à Teahupoo. «  La population de ce district est nombreuse  ; les femmes et surtout les belles femmes y abondent. […] À la fin d’un repas bien ordonné, offert au Commissaire Impérial, les himene du soir se font entendre jusqu’à une heure avancée ; les Indiens et les soldats se pressent en foule autour des chanteurs ; au milieu des groupes circulent de jeunes et jolies indigènes, parfumées de monoi, couronnées de fleurs et parées comme des victimes pour un sacrifice. »

Enthousiasme des populations

Le retour par la côte ouest est plus aisé, excepté le passage dans les marécages entre Taravao et Papeari. L’enthousiame des populations ne faiblit pas. «La population de Papeuriri [Mataiea] reçoit le Commissaire Impérial et le corps expéditionnaire par des cris de joie  ; les Indiens se mêlent aux soldats, leur offrent des fruits, des cocos, les aident à se débarrasser de leurs sacs, à construire leurs tentes, et la plus franche intimité s’établit entre les habitants et les nouveaux-venus. Le repas vient après, suivi des chants du soir, qu’accompagne comme une basse puissante, le bruit sourd produit par les lames sur les grands récifs du large.» À Mataiea, où la troupe se repose toute une journée, la pluie va empêcher les courageux d’aller voir le lac Vaihiria.

À Papara, la reine est venue avec toute sa suite. Le repas du soir est encore gigantesque  : « Il y aurait certainement de quoi rassasier deux mille hommes pendant une journée entière : c’est un festin homérique. »

Sur la route vers Punaauia, on visite les cavernes de la pointe de Mara’a. Le 23 juillet, la promenade se termine en apothéose par un immense déjeuner offert par la cheffesse de Faa’a aux officiels, aux soldats et à la population. « Dire ce qui fut consommé à ce festin, dire quelles hécatombes de bœufs, de porcs et de volailles, quels effrayants volumes de maiore et de fei, quelles charges de vivres de toute nature il a fallu pour satisfaire tous ces estomacs, c’est une tâche devant laquelle nous reculons. » « À deux heures, nous sommes de retour à Papeete  ; toutes les troupes défilent dans la cour du Gouvernement, devant le Commissaire Impérial et le commandant de la Galathée. Les deux cent cinquante hommes qui ont supporté pendant dix-huit jours les fatigues du tour de l’île, passent les premiers  ; pas un ne manque à l’appel  ; tous sont valides et bien portants ; chacun d’eux garde un excellent souvenir de cette longue tournée pendant laquelle, constamment en contact avec la population indienne, ils n’ont eu qu’à se louer des vertus hospitalières des Taïtiens, que désormais ils considèrent comme des amis. »

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