Hiro’a n°159 – Le saviez-vous ? Le more : reprendre le fil

Le saviez-vous

Service de l’artisanat traditionnel

Rencontre avec Vanina Patira, présidente de la fédération des artisans de Rapa, Philomène Tefaatau présidente de l’association Tiare Afa de Huahine et témoignage de Marguerite Lai recueillis par le Service de l’artisanat traditionnel. Texte : MO et ASF

 

Le more : reprendre le fil

 

Le pūrau, l’arbre qui fournit le more, occupait autrefois une place prépondérante dans la vie quotidienne du Polynésien. Aujourd’hui rares sont les artisans qui savent encore le préparer et le transformer au grand dam des chefs de troupe, pour qui il s’agit d’une source de revenus inexploitée.

Le more, cette jupe en fibre naturelle parant si gracieusement les hanches des danseuses et des danseurs, est un accessoire indispensable à la pratique du ΄ori tahiti. Il s’obtient à partir de l’écorce interne de l’Hibiscus tiliaceus (pūrau en tahitien). Autrefois fabriqué localement, le more est maintenant devenu rare en Polynésie et les groupes de danse sont donc obligés de les faire venir de l’étranger, à des prix exorbitants. Pour Marguerite Lai, fondatrice du groupe O Tahiti E, c’est malheureusement une ressource inexploitée. Un regret pour cette artiste qui a pu visiter une exploitation de pūrau au cours d’un festival du Pacifique, en Micronésie : « J’ai été impressionnée ! Il n’y avait que des branches droites sur des kilomètres qu’ils parcouraient en marchant sur des branches de pūrau formant des chemins et des escaliers. (…) Ils pouvaient ainsi travailler au sec en évitant la boue et la vase. Ils pouvaient donc régulièrement aller couper les branches gourmandes qui peuvent donner des taches noires sur les more. »

Si on ne peut plus parler de filière en Polynésie, c’est aussi que le savoir-faire ne se transmet plus depuis le plus jeune âge. Marguerite Lai se souvient de ses débuts : « J’ai appris à faire du more lorsque j’allais en pension à la paroisse catholique de Huahine. C’était une des activités. On coupait les branches de pūrau, on enlevait le premier pas, on les attachait, on les rinçait dans l’eau de mer et on mettait les paquets à tremper dans le ruisseau pendant trois jours. Après, on les rinçait une nouvelle fois dans l’eau de mer et enfin, on les mettait dans de l’eau citronnée. (…) On mettait le tout à sécher, et enfin on confectionnait les more. Ce n’est pas un travail facile, mais il y a la matière première, il y a la demande, il manque juste la motivation et la persévérance. »

danseuse more

Immersion du pūrau

Vanina Patira, artisane originaire de Rapa, présidente de la fédération des artisans de Rapa et de l’association Kakae, a également appris à l’adolescence avec son papa artisan et pêcheur. « À quinze ans, j’ai commencé à danser dans le groupe Tamariki Oparo et, pour mon père, une danseuse devait absolument savoir fabriquer son more, donc je m’y suis mise. À Rapa, on utilisait le roseau. » À l’époque une seule couleur et un blanchiment par le chlore, des more longs pour les femmes et des more courts pour les hommes. « On allait chercher l’écorce qu’on laissait plusieurs semaines dans l’eau afin de la ramollir », se souvient Vanina qui sait aussi réaliser des more à partir des branches de pūrau. « Pour un more, il faut environ un sac de 50 kilos de pūrau et, pour la ceinture, on va avoir trois étages de tressage. Un more, c’est deux semaines de travail, mais il se conserve très longtemps. »

Si le temps de fabrication est sans doute un des freins au développement de la ressource, Marguerite Lai n’en démord pas : « Le more peut être une source de revenus très importante. En faisant le tour de Tahiti et de toutes ses vallées, on se rend compte de tout le pūrau disponible, et il y en a aussi dans les autres îles et archipels : Moorea, Rurutu, Raiatea, même aux Tuamotu. (…) Pour accéder aux pūrau des vallées, il faut déblayer, sans pour autant détruire les vallées. »

A Huahine, les forêts de pūrau ne manquent pas. D’ailleurs c’est sans doute l’île qui entretient le plus ce savoir-faire. Les groupes de danse de Tahiti, mais également des archipels plus éloignés passent souvent commande aux habitants de l’île. Sept associations réalisent encore des more. C’est le cas de Philomène et de son association Tiare Afa. Avec des membres de sa famille, elle prépare chaque année des tenues pour les groupes de danse. « Nous faisons tout nous-mêmes, de la coupe de l’arbuste à la fabrication du more. Il n’y a que la teinture que nous ne fabriquons plus, car le temps de préparation est trop long. Nous préférons utiliser des teintures importées. » précise Philomène pour qui cette activité est une véritable source de revenus. Comme beaucoup de personnes de sa génération, c’est en observant ses parents qu’elle a appris. « Chaque année, à Huahine, les huit districts se confrontent en dansant au mois de juillet. Dès notre enfance, nous avons été en contact avec la matière. » Pour réaliser une centaine de more, les membres de l’association devront travailler sans relâche pendant trois mois. « C’est pourquoi on dit toujours aux groupes de passer commande dès le mois de décembre, pour avoir le temps de confectionner les pièces. »

Pour les jeunes, il y a, semble-t-il, un créneau à prendre, tant au niveau de l’exploitation de la ressource première qu’est le pūrau qu’à celui de la fabrication du more. Une reprise d’activité qui correspond aux vœux du ministère de la Culture.  

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