Hiro’a n°156 – Trésor de Polynésie : Treize œuvres restaurées dont la baleinière

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TRÉSOR DE POLYNÉSIE – Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha

Treize œuvres restaurées dont la baleinière

Rencontre avec Tamara Maric, conservatrice au Musée de Tahiti et des îles, Marine Vallée, assistante de conservation au Musée de Tahiti et des îles, Delphine Elie-Lefebvre et Camille Alembik, restauratrices. Texte et photos : Lucie Rabréaud – MTI

Une opération de restauration d’œuvres est régulièrement organisée au Musée de Tahiti et des îles. Deux professionnelles, Delphine Elie-Lefebvre et Camille Alembik, ont été choisies pour restaurer treize objets de la collection ethnographique et procéder à des constats d’état sur quatorze autres : un travail délicat et sensible. Parmi les objets restaurés se trouvait une baleinière des Tuamotu.

Les projets de restauration du Musée de Tahiti et des îles ont pris un nouvel élan avec l’ouverture prochaine d’une nouvelle salle d’exposition. Il faut préparer les œuvres à être soumises aux yeux du public. Même si ces opérations ont toujours été menées de manière régulière, elles ont lieu dorénavant chaque année. Avec 18 520 œuvres conservées au musée, toutes collections confondues, les travaux en conservation préventive sont loin d’être achevés. Entre celles qui n’ont jamais été restaurées ou dont la restauration date, et les œuvres restaurées selon d’anciennes méthodes, nombre d’entre elles doivent encore passer par des mains expertes avant de pouvoir rejoindre les salles d’exposition. Camille Alembik et Delphine Elie-Lefebvre, toutes deux restauratrices, ont pour cela passé plusieurs semaines à Tahiti. Elles ont travaillé sur treize objets de la collection ethnographique. L’une de leurs missions phares était la restauration de la baleinière découverte à Akiaki en 1930 par Kenneth Pike Emory, archéologue du Bishop Museum, et confiée au Musée de Papeete l’année suivante. Elle était auparavant installée en extérieur – sous l’abri des pirogues. Un constat d’état sur quatorze autres œuvres a pu être également dressé.

Conserver avant de restaurer

La restauration est une affaire d’équilibre : préserver l’œuvre, permettre sa conservation, redonner de l’éclat, dépoussiérer, effacer les outrages du temps sans effacer son histoire. « On effectue un travail en conservation préventive, en  conservation curative puis en restauration, toujours dans cet ordre. Il faut d’abord stabiliser l’œuvre avant de pouvoir aller plus loin », explique Delphine Elie-Lefebvre, spécialiste du bois et biologiste avant de devenir restauratrice. L’objectif de ces restaurations est donc avant tout de « stabiliser » les œuvres pour éviter de possibles dégradations futures. La poussière par exemple, particulièrement hygroscopique (qui retient l’humidité de l’air) pourrait, avec le climat tropical polynésien, faire jouer le bois et le fendre. Préserver la baleinière passait donc d’abord par son nettoyage. Tout comme pour cette coiffe en plumes sur laquelle Camille Alembik est restée deux jours. « Le but n’est pas de rendre un objet neuf mais de le préserver dans son intégrité », explique Tamara Maric. Les deux restauratrices ont également donné des préconisations d’exposition pour différentes pièces. La baleinière, exposée en extérieur depuis toujours, va rejoindre la nouvelle salle d’exposition à son ouverture. Elle se retrouvera donc dans un milieu contrôlé en température et en taux d’humidité, un changement qu’il faut anticiper pour ne pas dégrader l’œuvre. D’autres objets doivent être protégés de la poussière, des U.V., des rayons lumineux… tout en tenant compte des contraintes de poids et de structure. Certains seront ainsi exposés à plat, d’autres sur des socles spécifiques. Les compétences de Camille Alembik et de Delphine Elie-Lefebvre complètent ainsi le travail de conservation.

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Baleinière découverte à Akiaki en 1930.

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Delphine Elie-Lefebvre : « Nous essayons de conserver la matière d’origine »

« Pour la baleinière, la problématique majeure était la stabilisation des bois. Il  s’agissait d’éliminer toutes traces de la présence d’insectes et de protéger l’embarcation des attaques fongiques. Un nettoyage a permis d’enlever l’empoussièrement, l’encrassement, et surtout le sel. Il fallait enlever tout ce qui pouvait dégrader l’œuvre dans le futur : c’est la stabilisation. Grâce à ce nettoyage, on retrouve la couleur du bois de tou (Cordia subcordata) et des inscriptions anciennes réapparaissent. Il y a ensuite le nape, ces fibres de coco tressées qui servent d’assemblage aux planches de bois. Ces liens structurels permettaient le maintien des planches de bois entre elles ; mais aujourd’hui, ce n’est pas ce que l’on recherche car la baleinière ne sera plus réutilisée. Les liens anciens seront conservés, les morceaux dissociés seront réintégrés. En restauration patrimoniale, nous essayons de conserver au maximum la matière d’origine. Il n’était pas possible de laisser l’œuvre dans cet état mais l’idée n’était pas de la reconstituer. Pour stabiliser les bois déjà déformés nous avons pu utiliser d’autres bois et réaliser des collages.

En restauration, on n’a pas le droit à l’erreur. Je travaille aussi sur les antiquités égyptiennes du Louvre et quand on travaille sur un cercueil, l’erreur est impossible. La première journée, je n’ai pas touché la baleinière, je l’ai photographiée sous toutes les coutures, j’ai fait un constat d’état et un diagnostic des altérations. Le plus important dans notre travail est de savoir regarder un objet dans sa matérialité. On réfléchit beaucoup avant d’intervenir, j’ai quelquefois des insomnies pendant lesquelles je repense aux étapes que je vais suivre. On établit un protocole scientifique. Il peut changer ou s’améliorer en cours de route, l’important est de prendre son temps. La baleinière est une œuvre qui me parle beaucoup et que je trouve passionnante. Mon mari a vécu à Tahiti jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Il a toujours connu cette baleinière installée devant le Musée. Quand je travaille sur cette œuvre, j’imagine tous ces gens qui sont partis en mer… »

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N° Inv. 749. Baleinière de Akiaki, Vahitahi archipel des Tuamotu. Construite dans les années 1880 avec des techniques entièrement traditionnelles, sur un modèle inspiré des cotres européens, elle a servi à la navigation inter-îles.

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Camille Alembik : « C’est très important d’avoir des connaissances ethnographiques sur les cultures auxquelles appartiennent les œuvres »

« Cette coiffe en plumes de coq (hei ku’a) était très encrassée, les plumes étaient collées entre elles, certaines se détachaient, il n’y avait plus du tout de légèreté, ce qui fait la beauté de l’œuvre. Il y avait également des anciens cocons d’insectes qu’il fallait retirer. Pour enlever la poussière, j’ai positionné une gaze sur les plumes et utilisé un aspirateur spécial (qu’on trouve également dans les hôpitaux). Il y a des filtres absolus permettant de piéger les particules de très petite taille et d’éviter que des poussières fines soient remises en suspension dans l’air. Mêmes les plumes trop abîmées sont conserv.es : elles sont mises en sachet et archivées. Elles pourront ainsi être utilisées pour être analysées, datées… Le travail sur cette œuvre a duré deux jours. On pourrait y passer des semaines mais il faut savoir s’arrêter. Comme cet objet ne sera pas réutilisé pour son emploi d’origine, l’objectif n’est pas de le refaire à l’identique mais de le restaurer pour que la dégradation n’évolue pas davantage et pour limiter les pertes. Il faut trouver un équilibre entre la lisibilité de l’œuvre, pour que celle-ci soit facilement identifiable, et la conservation de son histoire. Le plus important dans ce travail est d’aiguiser son regard pour voir toutes les strates de l’histoire de l’objet. Il faut savoir identifier des altérations liées à l’histoire de l’objet et à son utilisation, des altérations postacquisition de l’objet. La restauration sur des objets ethnographiques doit toujours être identifiable. Les zones consolidées seront ainsi plus ou moins visibles. On n’utilisera pas les mêmes fibres mais des matières neutres qui seront le plus possible pérennes. C’est très important d’avoir des connaissances ethnographiques sur les cultures auxquelles appartiennent les œuvres, des connaissances biologiques sur les matériaux qui les composent, et sur les matériaux utilisés. J’aime ce métier car on voit des collections très différentes : des objets d’art classiques, contemporains ou ethnographiques. La variété des problématiques est large et diffère à chaque objet. »

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N° Inv. 311, hei ku’a, coiffe en plumes de coq de l’archipel des Marquises. Ancienne collection du Musée de Papeete acquise en 1928, elle n’avait jamais été restaurée. À gauche, avant sa restauration ; à droite, après restauration.

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