Hiro’a n°152 – 10 questions à : Vaehakaiki Urima dit Moon, assistante-chorégraphe au CAPF et petite-fille de Louise Kimitete

Dix questions à Vaehakaiki Urima dit Moon, assistante-chorégraphe au Conservatoire artistique de Polynésie française et petite-fille de Louise Kimitete. Texte Suliane Favennec. Photos : Facebook Moon

 

« La danse, c’était sa joie de vivre »

 

Elle a grandi aux côtés de celle que beaucoup appellent « Mamie Louise », une figure du ΄ori tahiti décédée le 25 mars dernier. Vaehakaiki Urima, alias Moon est la petite-fille de Louise Kimitete, elle a aussi été son élève durant des années au Conservatoire avant de devenir son assistante-chorégraphe. Pour le Hiro΄a, Moon nous raconte qui était cette grande dame.

 

Vous avez grandi auprès de votre grand-mère, Louise Kimitete, que vous a-t-elle appris ?

Elle m’a tout appris… A la mort de notre maman, elle nous a élevés tous les trois, mon frère, ma sœur et moi. J’ai commencé à danser à l’âge de trois ans. Elle a vu que j’avais ça dans le sang et la musique dans la peau. Je l’accompagnais dans ses tournées avec les danseurs, et quand elle devait me punir parce que j’avais fait une bêtise, elle m’interdisait de danser (rires). Elle m’a inculqué l’apprentissage avec l’éducation. J’étais ses mains, son corps… Elle lisait en moi comme dans un livre, quand elle me voyait danser elle savait si j’allais bien ou pas. Mamie avait un franc-parler, elle était très sévère, mais aussi très douce et compréhensive. Son apprentis – sage pouvait être dur avec ses élèves, mais c’était pour en tirer le meilleur.

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Petite fille, vous avez passé beaucoup de temps au CAPF où elle enseignait…

J’ai passé toute ma vie là-bas (rires). J’ai vu l’évolution du CAPF, on est passé des graviers au préau puis à une salle. J’ai vu comment mamie s’est battue pour tout ça. Aujourd’hui, son apprentissage reste dans les valeurs de notre culture. Elle avait de l’autorité, elle faisait bouger 700 élèves juste avec son petit doigt, assise comme un bouddha. Sa pédagogie a porté ses fruits sur tous les médaillés d’or au CAPF mais aussi les danseurs du monde entier. Aujourd’hui, partout où je vais dans le monde, elle me fait de l’ombre (rires). Elle a réussi à regrouper des nationalités différentes. Lorsqu’elle est décédée, le monde était en deuil : Mexique, Taiwan, Japon… Elle a laissé une trace profonde.

 

Est-ce elle qui vous a transmis le goût pour la danse ?

Exactement. Elle m’a transmis la technicité et la variété des pas, l’expression scénique, la manière de bouger les épaules, le petit doigt… Elle disait que la danse vient de tes entrailles, la danse c’est la drague, c’est comme faire l’amour à quelqu’un, ça doit être beau… Ça, c’est propre à l’apprentissage de mamie.

 

Vous avez été son assistante-chorégraphe, que vous a-t-elle appris que vous transmettez encore à vos élèves ?

Surtout la base. Mamie nous disait, quand on crée une chorégraphie, ce sont les sentiments du moment, par rapport à ce que tu ressens, et ça doit être profond. Il faut donc partir de la base pour les pas mais après, tout dépend de toi. « Ce n’est pas moi qui danse mais toi », nous disait-elle. En clair, c’est l’élève et sa personnalité qui comptent. Aujourd’hui, on doit transmettre son apprentissage et le faire évoluer.

 

Comment a-t-elle fait évoluer le ΄ori tahiti en Polynésie et à l’étranger ?

Ce sont les étrangers qui se sont déplacés pour la voir et non elle qui est allée à l’étranger. Elle a vraiment eu un impact important. Je me demandais toujours : comment fait-elle pour ramener autant d’étrangers sans bouger de sa salle ? Au niveau polynésien, elle a surtout permis de faire évoluer la technicité. Elle ne faisait pas les choses simplement : elle s’inspirait des gestes du quotidien, dans la cuisine, dans la façon de se coiffer, de faire la toi -lette… Ce qui est incroyable avec elle, c’est qu’elle était simple mais complexe dans ses idées. Il fallait savoir travailler avec elle, ce n’était pas facile. Avec Vanina (NDLR : professeure de danse au CAPF), on était ses mains et ses pieds.

 

Quel est votre plus beau souvenir à ses côtés ?

J’étais sa révoltée… Mais j’aimais toujours l’entendre me dire après chaque spectacle, gala ou Heiva : « Ma chérie, je suis fière de toi, de ton travail, de ce que tu es devenue… » Ces mots me réchauffaient le cœur, c’était la seule à me le dire.

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Quel genre de femme et de grand-mère était-elle ?

C’était une femme très romantique et fleur bleue, elle écrivait toujours dans ses thèmes quelque chose de beau et de porteur d’espoir, ce n’était jamais négatif. La plupart de ses thèmes parlaient de l’amour de la danse. Elle écrivait ses sentiments du moment sur la danse. Mamie, c’était aussi une personne qui aimait partager, elle était même capable de donner des cours de danse gratuitement. La porte de la maison était toujours grande ouverte à n’importe quelle heure sauf le dimanche, un jour sacré qui était consacré à la messe et la famille. Mamie, c’était une amoureuse de la vie. Avant la danse, elle a eu d’autres vies. Elle a d’ailleurs vécu vingt ans à Hawaii, elle s’était mariée avec un Américain. Ils ont beaucoup bougé ensemble.

 

Malgré son âge, Louise Kimitete ne s’est jamais arrêtée d’enseigner… Était-ce impossible pour elle ?

Oui, impossible, elle a continué jusque sur son lit de mort. La danse, c’était sa joie de vivre. Le seul endroit où elle se sentait de faire ce qu’elle voulait, avec ses pensées et ses écrits. Elle était heureuse de pouvoir partager et donner cet amour. Quand elle était à l’hôpital, elle avait hâte que j’arrive pour lui montrer mes ΄aparima. À chaque fois, elle voulait me voir danser.

 

Quel héritage laisse-t-elle derrière elle ?

L’amour de la danse, de notre identité, de notre patrimoine. Deux semaines avant qu’elle ne s’en aille, je lui demandais conseil pour mes ΄aparima, mes chorégraphies… Ça la rendait heureuse. Même si elle avait mal à cause de son cancer, la danse lui apportait une étincelle. Jusqu’à son dernier souffle, elle était là à m’apprendre des choses.

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Après Coco Hotahota, nous perdons un autre pilier de la danse et de la culture polynésiennes, est-ce la fin d’une grande génération ?

 J’ai l’impression que cette année, c’est l’au-revoir des grands maîtres. Mamie ne voulait pas s’en aller, elle voulait partager ce qu’elle savait encore. Mamie, c’était mon père, ma mère, mon essentiel, mon tout. Elle était courageuse, elle avait une joie de vivre, elle était sévère avec ses élèves, mais elle les poussait toujours à sortir le meilleur d’eux-mêmes. On devait aller chercher au plus profond de soi. Mamie, c’était une grande dame…

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