Hiro’a 148 – Pour vous servir : Liline Laille : près de 40 ans au service des archives

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Pour vous servir – Service du patrimoine archivistique et audiovisuel  – Te Piha Faufa’a Tupuna

Liline Laille : près de 40 ans au service des archives

Rencontre avec Liline Laille, ancienne chef du département des archives publiques et privées au Service du patrimoine archivistique et audiovisuel. Texte et photos : Lucie Rabréaud

Liline Laille commence à travailler au Service des archives en 1981 par un pur hasard… Elle n’a alors que vingt-et-un ans. Aujourd’hui à la retraite, c’est une vie passée dans les papiers, les courriers, les dossiers… les trésors du patrimoine, qu’elle nous raconte.

Liline Laille ne connaissait pas le Service des archives quand elle y a mis les pieds pour la première fois. Nous sommes en 1981 et, après des études de sténodactylo et de secrétariat, elle passe plusieurs concours et est recrutée au Service de l’économie rurale, devenu aujourd’hui la Direction de l’agriculture. Mais au bout de deux mois, elle doit bouger : « J’ai atterri aux archives », raconte-t-elle. « Atterri » est bien le mot, car rien ne la destinait à ce service qu’elle ne connaissait pas vraiment. Elle y passera pourtant trente-huit ans et le connaît aujourd’hui mieux que personne. Avec son énorme trousseau de clefs qui ne la quitte jamais… elle fait visiter les différents espaces du SPAA répartis sur cinq niveaux. Sur près de 16 km linéaires de stockage, les étagères sont remplies de documents, classeurs, fichiers cartonnés d’où débordent de vieilles feuilles jaunes, dossiers attachés avec de la ficelle, archives non encore classées et en attente dans une pièce réservée… Dans l’un des treize « magasins », de petites pancartes à chaque entrée de rangée indiquent ce que contiennent les pochettes et les classeurs bien rangés sur les étagères : « Fonds des gouverneurs de 1845 à 1986 », « Fonds des Tuamotu- Gambier », « Tribunal administratif », « Registres d’état civil »… Dans un autre, les armoires métalliques s’ouvrent en tiroirs : y sont conservés cartes, affiches, publicités, documents électoraux… : toute l’histoire économique, sociale et culturelle de notre fenua ; tous les pans importants y afférents, tels que l’agriculture, la politique, les grands travaux, etc., archivés et conservés. Un fonds incroyablement riche, un trésor à sauvegarder et à immortaliser… pour la postérité.

« En travaillant aux archives, j’ai tellement appris ! »

Quand Liline commence, elle est secrétaire et chargée de la bibliothèque du patrimoine qui abrite des ouvrages sur le Pacifique. Puis les années passent, et son poste évolue. Elle s’occupera de la comptabilité, de l’inventaire des archives, du dépôt légal, de l’accueil des usagers et des chercheurs, des archives publiques, du versement et de l’élimination, et assurera même l’intérim du chef de service parfois. À la création du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel – Te Piha Faufa’a Tupuna en 2012 (qui a remplacé le Service des archives), Liline devient responsable du département des archives publiques et privées. « J’ai beaucoup appris sur l’histoire du Pays. À mon époque, à l’école on apprenait l’histoire de la France et pas celle de Tahiti. En travaillant aux archives, j’ai tellement appris ! » L’inventaire des archives en particulier a été un travail passionnant : « On reçoit des cartons remplis de documents. Parfois ils sont classés, parfois mal classés et parfois pas du tout classés. Il faut faire un tri : garder ce qui est important et mettre de côté ce qui peut être éliminé. » Ce tri, elle a appris à le faire sur le tas, et c’est elle qui formait les nouvelle recrues à ce travail.

Comment déterminer qu’un document est important et un autre pas ? « Ce n’est pas facile… » Et comment les classer ? « Ça découle du classement qu’on apprend en secrétariat mais c’est plus poussé, car il faut avoir l’optique d’une historienne. » Il faut ensuite retirer trombones et agrafes et étiqueter selon des normes archivistiques. « Il faut toujours se demander, comment retrouver ce document le plus facilement possible et donc choisir de bons mots clefs pour son classement. » Un travail passionnant mais qui « ne finit jamais ». « Les archives sont la mémoire de l’administration. Elles sont incontournables pour les étudiants, les chercheurs mais aussi toutes les personnes qui veulent faire valoir leurs droits, notamment au niveau du foncier », ajoute Liline. Tout ou presque est conservé ici : les documents des services administratifs, les originaux des arrêtés et des décisions qui paraissent au JOPF, les journaux et tous les magazines publiés sous forme de collections, des fonds privés… Et le SPAA est également le gardien de certaines archives de l’État : état civil, services du haut-commissariat, décisions de justice. Par contre, certains documents ne sont pas automatiquement versés, comme les archives du gouvernement local ou bien celles du haut-commissaire qui elles, partent à Paris.

La numérisation ou la nouvelle vie des archives

À partir de 1995, le travail a évolué : « On a commencé à numériser certains documents. Les machines étaient énormes à l’époque ! », se souvient Liline. Numériser permettait de valoriser les archives par des montages d’exposition. L’ère du numérique a surtout permis de donner une nouvelle vie aux archives, facilitant leur accès, leur communication et aussi leur sauvegarde. Quand Liline devient responsable du département des archives publiques et privées, elle doit gérer du personnel. « C’était plus de responsabilités et ce n’était pas toujours facile. » Mais elle gardait un même objectif en tête : classer et rendre accessible des documents anciens, mettre à la portée de tous des trouvailles historiques, tout en respectant le droit, car certains documents ne sont pas communicables immédiatement. Quand une demande était vraiment spécifique, c’est Liline que l’on venait trouver, afin qu’elle fasse les recherches. « C’est un métier passionnant. Il faut aimer la lecture et l’histoire de son pays, avoir des connaissances historiques avant de commencer et aussi être capable d’orienter les chercheurs. C’était ma priorité : servir les demandes des clients. »

Le 1er décembre dernier, Liline a pris sa retraite, mais elle revient de bon cœur, pour aider, et aussi parce que sa passion pour la matière ne peut tolérer de laisser en l’état des classements ou secrets d’archives qu’elle n’a pas eu le temps de traiter. « J’ai encore beaucoup de choses à ranger… », rigole-t-elle. Mais elle promet de bientôt se consacrer à sa maison car, là-bas aussi, il y a du tri à faire, plaisante-t-elle encore. « On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés, eh bien c’est vrai pour les archivistes aussi ! J’ai accumulé beaucoup de choses chez moi et il faut que je range tout ça ! » En tout cas, elle ne regrette pas d’avoir « atterri » au Service des archives : « Le travail était très diversifié. J’ai fait beaucoup plus de choses que simplement du secrétariat. »

Le Service des archives de Tīpaeru’i aura donné bien des cheveux gris à Liline… Mais comme dit le poète, « Les cheveux gris sont des archives du passé » . Et désormais, aussi loin que Liline peut se trouver, elle reste la voisine de mémoire du SPAA.

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