Hiro’a n°140 – 10 questions à Viri Taimana, directeur du Centre des métiers d’art

Propos recueillis par Pascal Bastianaggi – Photos : CMA

 

Nous voulions entendre les habitants de Rurutu sur le dieu A’a

 

Viri Taimana, directeur du Centre des métiers d’art, est revenu pour nous sur le voyage d’immersion d’enseignants et d’élèves sur les terres d’origine du dieu A’a, à Rurutu. Cette statue emblématique des croyances des anciens de Rurutu, aujourd’hui propriété du British Museum, fait l’objet d’un travail de reproduction par les élèves en Bac pro option sculpture*.

 

Dans quel cadre s’est inscrit ce voyage ?

Cela faisait partie d’un projet pédagogique que l’on a entrepris sur la sculpture du dieu A’a.  Nous sommes partis avec deux enseignants, l’un en histoire et culture polynésiennes, et l’autre en sculpture, ainsi qu’avec quatre élèves des plus méritants afin de nous immerger dans l’environnement d’origine du dieu A’a. On est parti de l’idée que pour comprendre cette sculpture, il valait mieux se déplacer sur son lieu de conception. Car il y a une influence du lieu sur la culture de nos peuples. On ne pouvait pas partir à la redécouverte de A’a et la compréhension de cette sculpture, sans entendre ce que les habitants de Rurutu avaient à en dire, que ce soit de manière positive ou négative.

Avez-vous rencontré à Rurutu un interlocuteur qui a su répondre à vos interrogations ?

Nous avons rencontré Nauma Tavita, l’un des gardiens de la tradition Rurutu, qui connaît plusieurs histoires et légendes et on a passé avec lui quatre jours à faire le tour de l’île, visiter les grottes et les sites archéologiques. À travers ces visites, on s’est rendu compte que A’a, malgré son absence, n’a jamais été aussi présent. L’absence de cette sculpture le rend présent. Tout le monde en parle.

Et pas seulement à Rurutu visiblement puisque la sculpture fait partie de l’exposition Océanie qui se tient à Paris au musée du quai Branly.

Effectivement, c’est une sculpture qui a une notoriété extraordinaire en Europe, de par sa réalisation, mais aussi le symbole qu’elle porte en elle-même : un dieu rempli de petits personnages qui sortent de son corps. C’est devenu l’ambassadrice de Rurutu et de l’Océanie en général. D’ailleurs je compte me rendre prochainement à Paris pour pouvoir l’admirer et l’étudier de près.

Votre démarche a-t-elle été bien accueillie par les habitants ?

Bien sûr, les gens connaissent le Centre des métiers d’art, et nous voir arriver dans leur île a suscité pas mal d’interrogations. Profitant de notre séjour, des enseignants nous ont demandé d’aller parler aux élèves du collège et bien entendu nous avons été chaleureusement accueillis.

Qu’avez-vous appris de plus sur A’a ?

Nous avons été confortés dans l’idée que la sculpture A’a était un ossuaire. L’arrière de la sculpture se démontant, on peut y loger un crâne et des os, la hauteur de la cavité le permet. D’où l’idée qu’il s’agit d’un ossuaire accueillant sûrement les ossements de grands chefs, des ancêtres divinisés.

Concernant les trente figurines qui parcourent le corps de A’a, avez-vous eu des pistes sur ce qu’elles représentent ?

Les figurines sont au nombre de trente et une, mais on n’en voit que trente, car celle sur le sexe de A’a a été supprimée, sans doute par les missionnaires de la London Missionary Society. Elles représentent peut-être les familles de Rurutu, mais nous n’avons pas de certitudes sur ce point.

Les Rurutu regrettent-ils la perte de ce symbole de leur identité ?

Pour certains habitants de Rurutu, la réponse est non. Si leurs ancêtres ont donné la statue aux missionnaires cela voulait dire qu’ils ne croyaient plus en ce dieu, lui préférant le christianisme. Les ancêtres ont fait ce choix et on ne revient pas là-dessus. D’autres, par contre, aimeraient que la statue revienne à Rurutu, car cela attirerait du monde. Sur place, dans un fare situé près de l’aéroport, il y a un moulage de la sculpture originale. Celui-ci a été la propriété d’une Américaine tombée amoureuse de la statue au British Museum et qui, dans son testament, en a fait don à Rurutu.

 

Si la statue a été donnée aux missionnaires en signe d’allégeance au christianisme et au protestantisme en particulier, comment explique-t-on qu’elle ait survécu alors que l’on sait qu’en général les missionnaires détruisaient par le feu les tiki et autres objets rappelant les dieux anciens ?

Les anciens ont donné leur dieu suprême, leur dieu le plus important en signe de conversion, et pour la LMS, c’était un trophée qu’il fallait ramener à Londres afin de démontrer que l’évangélisation avançait à grands pas et que les populations autochtones avaient été christianisées. Si les missionnaires ont brûlé énormément de pièces, ils ont tout de même ramené celles qui leur semblaient majeures. Certaines ont été déposées dans des musées, ce qui a été le cas pour le dieu A’a, au British Museum. Quand la London Missionary Society a voulu récupérer la statue, le musée s’y est opposé prétextant sa fragilité, mais en a fait des moulages afin d’en donner à la LMS.  Il en a profité pour faire signer à la LMS un document dans lequel cette dernière reconnaissait avoir donné au musée la statue, ainsi que d’autres œuvres en dépôt.

En observant la statue, on perçoit dans les détails la finesse du travail. D’après vous, combien de temps a été nécessaire pour la réalisation de celle-ci ?

C’est difficile d’estimer le temps, car nous n’avons jamais tenté de sculpter avec les outils traditionnels. On a fait des essais, mais il aurait fallu s’organiser. À l’époque, il y avait ceux qui affûtaient les pierres, ceux qui les emmanchaient, ceux qui sculptaient et celui qui supervisait. Si on devait la reproduire avec nos moyens modernes, on mettrait environ dix jours à raison de sept heures par jour. Il faut savoir qu’il y a trois techniques dans cette sculpture, ce qui en fait un objet remarquable. Nous avons une sculpture en ronde bosse, c’est-à-dire en trois dimensions, on peut tourner autour, nous avons des hauts-reliefs, et nous avons un contenant. Habituellement quand nous avons un contenant, on commence par creuser l’intérieur, puis on s’attaque à l’extérieur. Mais avec celle-ci, on ne peut pas. Il faut démarrer les trois techniques en même temps, puisque l’une influence l’autre. On a commencé par extraire le couvercle du coffre, puis on a fait la ronde-bosse, enfin on a creusé, mais pas trop. Ensuite, on a remis le couvercle et tout assemblé pour la terminer. C’est un travail très compliqué. C’est ce qui rend la statue remarquable.

 

Vos élèves ont-ils retiré des enseignements qui leur seront utiles dans la finalisation de leur projet ?

Durant des années nous n’avons pu que regarder des photos de la statue du dieu A’a. Étant donné qu’à Rurutu il y a une reproduction exacte de la statue, un moulage, il valait mieux aller à Rurutu qu’à Londres. Les élèves ont pu tenir la statue, la toucher, l’étudier sous tous ses angles, la dessiner et s’apercevoir de quelques détails qui nous avaient échappé comme certaines inclinaisons et angles de la statue. Le fait que les élèves aient pu toucher la sculpture et s’en imprégner, quelque part cela les aidera sûrement à concrétiser le projet.

*Lire l’article Le CMA à la poursuite de l’énigmatique statue du dieu A’a paru dans le Hiro’a n°139.

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