N°135 : 10 questions à Jean Mere

135 - 10 questions à Jean Mere - Crédit SCPDirection de la culture et du patrimoine – Te Papa Hiro’a ‘e Faufa’a tumu (DCP) 

10 questions à Jean Mere, médiateur culturel à Taputapuātea i Ōpōa pour le compte de la Direction de la culture et du patrimoine. 

Texte : Élodie Largenton. Photo : DCP. 

« Taputapuātea est mon histoire, ma richesse, mon héritage » 

Ancien responsable du service de l’état civil de la commune de Taputapuātea, Jean Mere a rejoint, le 1er septembre dernier, l’équipe de la Direction de la culture et du patrimoine en tant que médiateur culturel. Natif d’Ōpōa, il connaît très bien le Paysage culturel Taputapuātea inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, a reçu une formation de guide, parle plusieurs langues et a un brevet d’animateur. Toutes ses compétences profitent désormais au grand public, aux scolaires et aux touristes étrangers.  

Vous venez d’être nommé médiateur culturel à Taputapuātea. En quoi consiste votre nouveau rôle ?  

J’ai une mission de médiation auprès du public local et des étrangers. Je suis chargé des visites guidées sur l’ensemble du site inscrit au Patrimoine de l’Humanité lorsqu’il y a de la demande. J’interviens dans les écoles primaires, les Collèges et les lycées pour aider les enseignants et les élèves à préparer leurs projets scolaires liés à la  culture, je prépare des fiches pédagogiques concernant les différents parcours de visites, les monuments, la faune, la flore marine et terrestre, les différentes cérémonies. Je fais aussi un travail de collecte patrimoniale historique (légendes, mythes ou histoires liés aux événements passés) auprès des personnes ressources, et je fais un travail de transcription. Je dois en outre mener des actions de sensibilisation auprès du public (scolaire et grand public, NDLR). 

Vous vous adressez à des publics très divers – scolaires, officiels, touristes, locaux… Comment adaptez-vous votre discours à chacun ? 

Cela fait 24 ans que j’accompagne ce public pour la visite du site archéologique et historique Tahuamarae Taputapuātea. Avant chaque visite, je me mets toujours en méditation pour libérer ma tête de toute pensée négative, j’analyse mon public et je me mets souvent à sa place et à son niveau. Mais il faut aussi aimer sa culture et connaître l’histoire du site, c’est très important. 

Qu’est-ce qui surprend le plus les visiteurs quand vous leur faites découvrir le site ? 

Beaucoup de choses les surprennent, l’importance de Taputapuātea par rapport à l’histoire du peuple polynésien, son lien avec toutes les îles polynésiennes, l’intelligence et la foi de ce peuple, sa généalogie qui descend jusqu’aux dieux et le fait qu’il était connecté à la fois au ciel et à la terre, d’où sa grande connaissance des astres et de tous les éléments dans lesquels il vit. 

Vous racontez ce que la tradition orale a apporté jusqu’à nous. Y a-t-il des éléments que vous préférez garder secrets ou tenez-vous à dévoiler toute la richesse du site ?  

Cela dépend du public. Pour les Polynésiens et surtout les enfants polynésiens, je trouve que c’est très important de tout leur donner, de ne pas avoir de secrets, de bien les sensibiliser, leur expliquer qu’ils doivent être fiers de leurs ancêtres, parce que demain ils seront le relais, les messagers, et devront donc assurer la continuité de la tradition orale. 

Vous êtes aussi très calé sur la botanique… 

La culture polynésienne ne s’arrête pas seulement à la connaissance des marae, c’est un ensemble. Tout est lié chez nos ancêtres, tout fait partie de la création et tout est aussi important, faune et flore terrestres et marines, les arbres et leur utilité, comme le ōrā* lié à la déesse Hina, le pandanus lié au dieu To’ahotu, le pua** lié au dieu Tāne, sans parler des plantes médicinales telles que le metua pua’a***, le titi***, les āmo‘a*** et bien d’autres encore… 

Qui vous a fait connaître ce site ? D’où tenez-vous votre savoir ? 

Je suis né à Ōpōa d’une mère Tavaearii et d’un père Mere à Maau, le site faisait partie de notre quotidien à Ōpōa, mais je ne le fréquentais pas vraiment, parce qu’on l’a tellement diabolisé qu’il nous faisait peur. La première cérémonie à laquelle j’ai assisté, c’était en 1976, lors de la première venue de la pirogue Hokule’a, j’avais 9 ans, et l’école primaire d’Ōpōa participait à l’accueil des invités. Je m’en souviens bien, notre enseignante de l’époque avait insisté pour qu’on apprenne le apa rima « ere mai nei te hō‘ē manu iti ē ». Mais c’est en 1995 que j’ai commencé à m’y intéresser vraiment grâce à nos cousins hawaïens de « Makali’i – Eyes of the Chief », qui sont venus pour la cérémonie du « Faatau Arōha ». En 1997, j’ai suivi une formation Afometh de guide touristique professionnel et nous avons fait beaucoup de terrain pour recueillir des données historiques. J’ai alors rencontré de nombreuses personnes âgées, d’abord de mon quartier Fa’arepa, et notamment Peeuri Emile Teina, qui m’a beaucoup appris sur Fa’arepa, de même que ma grand-mère, Mere Holman. La plupart du temps, je discute beaucoup avec mon oncle Tavaearii Kaina dit Papa Maraehau et parfois avec Muriel Sham Koua, Viriamu Tautu et Franck Varney. 

Qu’est-ce que ce site représente pour vous, personnellement ? 

Aujourd’hui, Taputapuātea est mon histoire, ma richesse, mon héritage, et parfois il me rappelle qui je suis, d’où je viens et où je vais. 

Dans vos missions, il y a aussi le rôle d’interface entre la population locale, les scolaires et les touristes. Comment ça se passe actuellement ? Ça n’a pas toujours été facile avec la population locale… 

En effet, ce rôle d’interface n’est pas facile, surtout auprès des résidents, en particulier des gens d’Ōpōa qui avaient l’habitude de venir sur le site pour les plantes médicinales, les graines de tāmanu les racines du ōrā, les fleurs, les mangues ou juste pour se promener, et ils n’acceptent pas vraiment qu’on leur dise qu’ils ne peuvent plus faire ce qu’ils ont l’habitude de faire. C’est notre devoir à nous, Polynésiens, de préserver le site, d’éviter de monter sur les marae, de ramasser des cailloux ou d’en déposer. C’est plus facile pour les étrangers, parce que dans leurs pays ils ont des sites classés et sont donc habitués à cette règlementation, alors que les résidents ont le sentiment que l’inscription de Taputapuātea ne profite pas à Ōpōa ni à Taputapuātea. 

Vous avez bénéficié, en avril 2017, d’une formation organisée par le Réseau des grands sites de France pour apprendre à « élaborer et mettre en œuvre une gestion durable ». Qu’est-ce que cela vous a apporté ? 

La formation a été très enrichissante, il y avait des stagiaires de plusieurs pays, tels que le Maroc, la Tunisie, le Burkina Faso et bien d’autres encore. Il a été question des dommages créés par l’érosion, et les dégradations notamment. On a réfléchi aux mesures à mettre en place pour sauvegarder le site tout en respectant son caractère sacré. 

Avez-vous remarqué plus d’engouement de la part des locaux et des touristes depuis l’inscription du site ?  

Depuis juillet 2017, j’ai remarqué une forte hausse de la fréquentation touristique, aussi bien des locaux que des étrangers… Les locaux commencent à s’intéresser à leur histoire, et il y a beaucoup de scolaires qui viennent sur le site, ainsi que des délégations maories et hawaïennes. 

*banyan 

** bois tabou  

*** fougères de différentes variétés 

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