N°132 – Utiliser le tartre dentaire pour retracer les migrations en Polynésie

 

Service de la culture et du patrimoine (SCP) – Pu no te ta’ere e no te faufa’a tumu132 - Le saviez-vous - Tartre dentaire SCP - DSC_7898_Raphael - Crédit Bastien Llamas

 

Rencontre avec Bastien Llamas, chargé de recherche du Conseil de recherche australien, affilié à l’université d’Adélaïde, en Australie, et Belona Mou, responsable de la cellule archéologie et histoire du Service de la culture et du patrimoine. Texte : Élodie Largenton.

 

Quels sont les archipels de la Polynésie française qui ont servi de point de départ vers les îles du Pacifique plus lointaines ? Pour le moment, il n’y a pas de réponse indiscutable à cette question, diverses hypothèses existent. Pour y remédier, des chercheurs de l’université australienne d’Adélaïde adoptent une approche totalement novatrice : ils utilisent l’ADN des bactéries contenues dans le tartre dentaire fossile.

 

Lire le passé dans les dents de nos ancêtres : c’est l’idée qu’ont eu le professeur Alan Cooper, directeur du Centre de l’ADN ancien de l’université d’Adélaïde, et le professeur anglais Keith Dobney, il y a quelques années. Il s’agit, plus précisément, d’analyser « l’ADN de microbes à partir d’échantillons archéologiques, en particulier le tartre dentaire qui contient des microbes oraux et qu’on peut prélever sur des squelettes », explique Bastien Llamas, chargé de recherche à l’université d’Adélaïde. L’équipe australienne a appliqué ces techniques pour la première fois en 2013, et elle ne cesse de les affiner. Elle s’attaque actuellement à un nouveau défi : appliquer cette méthode pour retracer les migrations humaines dans le Pacifique. Beaucoup de recherches ont été menées dans le Pacifique occidental, « l’origine des Polynésiens est en Asie du Sud-Est, il est donc logique de commencer à tracer les migrations à partir du point de départ », souligne Bastien Llamas. Il est temps, désormais, « de comprendre les migrations les plus récentes, c’est-à-dire vers Hawaii, l’île de Pâques, et la Nouvelle-Zélande », ajoute-t-il.

Après des analyses préliminaires, les chercheurs formulent les premières hypothèses inédites sur la colonisation du Pacifique : « Les premiers Polynésiens pourraient avoir traversé l’océan Pacifique depuis l’archipel des Bismarck sans passer par le Vanuatu et les Fidji. Il est aussi possible que les premiers Polynésiens soient arrivés directement dans les îles Marquises avant de coloniser le reste de la Polynésie. » Mais y a-t-il une ou plusieurs populations à l’origine du peuplement de la Polynésie ? Lesquelles des îles Marquises ou des îles de la Société sont le point de départ de la colonisation des îles polynésiennes ? À ce stade des recherches, le centre australien a eu besoin de données supplémentaires et il a fait appel au Service de la culture et du patrimoine. « Le SCP nous a donné accès à la collection de restes humains qui ont été découverts par des archéologues depuis des décennies, et qui sont conservés dans leurs locaux », raconte Bastien Llamas, qui est venu à Tahiti en mai dernier. Avec Raphael Philipona-Eisenhofer, étudiant en post-doctorat, il a prélevé « du tartre sur 71 squelettes provenant des archipels de la Polynésie française (Société, Marquises, Tuamotu, Australes, Gambier) ». L’analyse de l’ADN de ces échantillons est en cours, les résultats doivent être communiqués début 2019.

Des indications aussi sur la santé et l’alimentation des premiers Polynésiens132 - Le saviez-vous - Tartre dentaire SCP - DSC_7915_tartre_dentaire_fossile_Marquises - Crédit Raphael Philipona-Eisenhofer

Pour établir une chronologie précise des migrations humaines à travers l’océan Pacifique, les chercheurs réalisent donc une étude génétique, mais en utilisant uniquement de l’ADN microbien, et pas de l’ADN humain. Cela a plusieurs avantages, notamment sur le plan éthique : seuls de petits morceaux de tartre dentaire fossile sont requis pour les analyses et leurs prélèvements n’abîment pas la surface de la dent et / ou du crâne. En outre, les chercheurs Alan Cooper et Laura Weyrich, spécialiste en microbiologie et membre de l’équipe australienne, précisent : « Au lieu d’utiliser le génome humain qui procure un seul signal évolutif plutôt lent, nous pouvons combiner les changements évolutifs rapides de plus de 200 espèces bactériennes qui vivent dans notre bouche pour obtenir de l’information précise sur les mouvements de populations humaines dans la zone Pacifique ». Il serait ainsi possible de retracer les migrations humaines en utilisant les microbes oraux qui sont transférés de la mère à l’enfant. Ce que cela signifie également, c’est que « les données génétiques microbiennes générées pourront aussi être utilisées pour étudier la santé et les habitudes alimentaires des populations ancestrales polynésiennes, juste en nous concentrant sur chaque jeu de données locales. Il sera intéressant de déterminer à quel point les populations se sont adaptées à chaque nouvel environnement insulaire », précise Bastien Llamas.

Le seul inconvénient de cette méthode novatrice, c’est qu’elle repose sur la qualité de l’ADN préservé. « S’il est trop endommagé, l’ADN ne peut pas être séquencé et donc nous ne pouvons pas générer de données génétiques microbiennes. Les facteurs qui influencent la dégradation de l’ADN sont la température ambiante et le taux d’humidité élevés, ce qui est particulièrement le cas dans la plupart des iles du Pacifique », explique Bastien Llamas. En donnant accès à sa collection de restes humains, le SCP permet d’augmenter le nombre d’échantillons et donc les chances de faire parler les bactéries contenues dans le tartre des premiers Polynésiens.

 

 

Comment fait-on parler le tartre dentaire ?

Puisque les méthodes utilisées jusqu’à présent pour retracer les migrations humaines ont échoué à donner une vision cohérente et indiscutable au niveau du Pacifique, les chercheurs de l’université d’Adélaïde ont mis au point une nouvelle technique, qui consiste à analyser les microbes piégés dans le tartre des dents des squelettes anciens.

Alan Cooper et Laura Weyrich expliquent qu’avant de prélever le tartre dentaire, les crânes avec plus d’une dent entartrée sont identifiés pour s’assurer qu’il restera du tartre dentaire pour des analyses ultérieures. Des morceaux d’une taille généralement inférieure à 2 x 5 mm suffisent pour les analyses. Le tartre est prélevé avec un pic dentaire, sur la surface exposée de la dent, et la dent reste en place dans le maxillaire au cours de l’opération. L’échantillon de tartre est ensuite placé dans un petit sac en plastique stérile, puis transporté dans le laboratoire australien spécialisé dans l’étude de l’ADN fossile. La procédure de décontamination est drastique pour s’assurer de l’authenticité des résultats de séquençage de l’ADN.

L’ADN est ensuite extrait en utilisant un protocole basé sur une méthode qui lie l’ADN à des particules de silice* en présence de sels de guanidine**. Les chercheurs procèdent à un séquençage aléatoire. Les banques d’ADN sont groupées et séquencées pour obtenir au moins 100 millions de séquences par échantillon. Des analyses bioinformatiques sont menées par la suite.

* Oxyde de silicium, ou anhydride silicique (SiO2), corps solide très dur, insoluble dans l’eau, très abondant dans la nature sous forme de quartz, cristal de roche, silex, silicates.

** La guanidine est un composé cristallin formé lors de l’oxydation de la guanine. Les sels de guanidine sont des agents qui déstabilisent les interactions faibles impliquées dans la structure spatiale des protéines.

 

+ d’infos : www.culture-patrimoine.pf, page facebook « Sce Culture Patrimoine ».

Le SCP est joignable au 40 50 71 77, du mardi au vendredi de 7h30 à 15h30 (14h30 le vendredi).

 

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