N°131 – Patrick Amaru, « un pilier de notre culture nous a quittés »

 

L’auteur le plus primé du Heiva est décédé dans la nuit du 17 au 18 juin dernier, à l’âge de 60 ans, laissant le monde de la culture orphelin de l’un de ses meilleurs ambassadeurs.Patrick-Amaru-opt

Ce n’est qu’à l’âge de 18 ans que Patrick Amaru a appris le tahitien. « C’est grâce à un poème de Turo a Raapoto que j’ai mis quatre mois à déchiffrer, terminé par cette phrase : ‘Tu es uru, et resteras toujours uru.’ Un texte qui m’a fait l’effet d’une paire de gifles, me réconciliant avec moi-même et ma langue ! » expliquait-il à La Dépêche de Tahiti. Une langue qu’il a fait chanter dans de nombreux poèmes, mais aussi dans des thèmes de spectacle du Heiva, avec tant de talent qu’il a remporté le prix du meilleur auteur en chant de 2012 à 2015 avec Haururu Papenoo, mais aussi en danse avec les groupes Heikura nui, Nonahere et Toakura. Patrick Amaru a également reçu le 1er prix littéraire Te U’I Mata en 2010, lors du Salon du livre de Papeete, pour son premier livre, Des mots pour soigner des maux. Le poète a, en outre, coécrit l’hymne territorial, Ia ora o Tahiti Nui e.

Malgré ces multiples récompenses, Patrick Amaru était connu pour son humilité et sa discrétion, au service du reo ma’ohi. Il était l’un des fers de lance du ‘orero, l’art déclamatoire, et a été le premier président de l’association culturelle de Papenoo, Haururu, en 1994. Patrick Amaru a longtemps enseigné les langues et cultures polynésiennes, il aimait transmettre son savoir et ses passions, toujours avec bienveillance. Les élèves du Conservatoire artistique ont pu en bénéficier tout au long de cette dernière année. L’auteur le plus primé du Heiva a écrit le thème du gala de l’établissement, Te Papa a Tu a-tua, les racines de la culture. On se souviendra de sa dernière apparition publique, debout sur la scène de To’ata, entouré des 800 élèves du conservatoire, recevant l’acclamation du public.

 

« Te hea tāù, texte fondateur de ses interrogations »

J’ai fait la connaissance de Patrick en 1978 à l’école Mamu de Papenoo. Il était normalien sortant. Nous aurons passé quatre années ensemble. Mais rien ne laissait présager d’un engagement pour notre culture, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs, plus sensibles à nos carrières de jeunes enseignants.

Un mouvement de fond naissant avec le retour d’étudiants polynésiens était porté par Henri Hiro, Turo Raapoto. Tout deux posaient la question du mā’òhi dans une société qui ne reconnaissait plus ses valeurs traditionnelles soldées par l’argent facile de la rente nucléaire.

Ce constat sans appel apparaîtra dans ses premiers écrits. Te hea tāù sera le texte fondateur pour moi de ses interrogations. Te hea taù composera l’un des spectacles de Heikura nui voilà plus de 20 ans ! Patrick ne cessa alors d’écrire pour les groupes, les troupes dans le cadre de notre Heiva, mais aussi des artistes de la chanson polynésienne. Naturellement, lorsque les concours de ‘orero seront introduits dans le 1er degré, Patrick apportera son concours.

Je retiendrais de ces publications un fil conducteur, l’insatisfaction d’un besoin vital jamais assouvi, de tant et tant de choses pour faire sens de son engagement pour notre fenua. Comme si le temps lui manquerait  pour amalgamer ce que chacun de nous détenait, un peu de notre langue, un peu de notre culture, un peu de notre patrimoine, un peu de notre histoire noyé dans les artifices de notre société consumériste.

Henri Hiro, Turo Raapoto ont été les pères spirituels de beaucoup d’auteurs. Patrick en faisait partie sur le fond et la forme. Le verbe, encore et toujours. L’ensemble du travail de Patrick reflètera le conseil d’Henri, « écrivez ». À la soirée de rencontres de ‘orero des écoles de ce mois de juin à la Maison de la culture, nous échangions encore sur les faateni et les faatara sauvegardés grâce à l’écriture… « mais tellement plus vrais lorsque nos enfants se font àito ‘orero pour les déclamer », qu’il ajoutait. Posait-il alors la question de son héritage et de ce qu’il a transmis ? Patrick nous quittait deux jours plus tard !

Jacky Bryant

 

 

 

 

« Les mains du bonheur »

 

En relisant ta poésie en relisant tes mots

Nous n’avons vu que de l’Amour

Nous n’avons vu que du beau

 

En lisant sur ton visage

Nous avons vu ton cœur

Et en regardant tes mains serrées

Nous avons vu

Les mains du bonheur

 

Toi qui as écrit pour nos étoiles

et tant d’autres astres

Toi qui discret as vécu

Une année près de nous

Et tant d’autres années dans d’autres univers

 

Nous ne savions pas comment,

Dans le silence de ton Âme

Tu dessinais la beauté

La foi

Le merveilleux

La vie

La vie du Fenua

 

Tu sais, ce sourire invincible

Que le corps porte aux nues

Que les lèvres chantent

Que les longues chevelures

Telles des vagues infinies

Caressent

 

Tendresse infime

Respect, mots qui se suivent

Qui te suivent

Là-haut près des ancêtres

Où tu souris encore

À nos pas maladroits

 

À nos cœurs

Qui tous

Pensent à toi

De la part des agents du Te Fare Upa Rau

 

 

« La richesse des messages, la poésie des mots »

Un pilier de notre culture nous a quittés. Il est parti trop tôt et laissera derrière lui un vide… à Haururu.

Même s’il s’était tourné vers un espace d’expression à sa mesure (le Heiva, l’écriture…), il n’a pour autant jamais abandonné l’association que nous avions montée il y a plus de 20 ans contre vents et marées. C’est ainsi que discrètement, dès que nous avions besoin de lui, il répondait présent dans son domaine de prédilection, celui de l’expression par l’écriture que nous mettions en musique. Il n’est qu’à voir le nombre de prix remportés par Papenoo- Haururu les années où son groupe s’était présenté au Heiva. Ces victoires, nous les devions pour beaucoup à Patrick. Dernièrement, lors de la retransmission dans l’émission de John Mairai du ūtē paripari de 2015 remporté par Papenoo, nous pouvions constater que le texte  de Patrick avait grandement facilité la tâche des acteurs.

Encore aujourd’hui, une très grande partie de la centaine de chants du répertoire de Haururu sont issus des textes de Patrick.

Ils sont, de par la richesse des messages, la poésie des mots… toujours d’actualité.

Au sein de Haururu, nous en sommes persuadés, Patrick au travers des œuvres qu’il nous a laissées, conservera une place à part…

Yves Doudoute, membre et ancien président de l’association Haururu

 

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