N°131 – Le ravitaillement en vivres des Établissements français de l’Océanie

 

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Rencontre avec Michel Bailleul, docteur en histoire et intervenant au sein du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel. Texte : Élodie Largenton. Photos : SPAA.

 

Pour nourrir les Français expatriés en Océanie au milieu du XIXe siècle, de grands moyens sont déployés : des vivres sont acheminés de France malgré la distance, le coût des opérations et la durée du voyage.

 

En 1853, il y avait, dans les Établissements français de l’Océanie, 1 100 expatriés à nourrir : des marins embarqués, stationnaires ou en tournée, ainsi que les soldats à terre, auxquels s’ajoute le personnel civil de l’administration (avec également le personnel religieux). « Tous sont nourris aux frais du gouvernement français », raconte Michel Bailleul, docteur en histoire et intervenant au sein du SPAA. Il y a plusieurs raisons à cela : les produits locaux – ignames, taros, patates, cocos, fei, maiore – sont alors souvent peu appréciés des Européens, et « les Tahitiens ont encore tendance à ne cultiver, cueillir, chasser, élever ou pêcher que ce dont ils ont besoin. La production est donc largement insuffisante pour subvenir aux besoins de plus de mille hommes, adultes plutôt jeunes et en bonne santé ! » En outre, à l’époque, la Marine française est suffisamment riche pour se permettre d’offrir à ses ressortissants une nourriture qui se rapproche de celle qu’ils auraient en France.

Cela ne veut pas dire que les ravitaillements sont faciles. Comme on peut le voir au travers de quatre lettres écrites aux mois d’août, octobre et décembre 1853, le transport des vivres était l’objet de toutes les attentions du ministre de la Marine et des Colonies Théodore Ducos. Ces documents archivés font état des difficultés qui étaient à surmonter pour assurer ce ravitaillement, afin que les rationnaires aient chaque jour de quoi manger.

Des conserves de mouton, de la gelée de fruits, de la choucroute…

Il fallait d’abord disposer de navires, ce qui n’était pas un problème, sauf quand ceux-ci n’étaient plus en mesure de naviguer : « Monsieur le commandant, j’ai appris avec un extrême sentiment de contrariété que le navire chargé de vivres (le Bisson) dont je vous ai annoncé le départ pour le 15 septembre par ma dépêche du 27 août dernier, a relâché à La Rochelle par suite de grosses avaries ». Il fallait ensuite compter avec les délais variables de la navigation à voile. Le 31 octobre, le ministre écrivait : « Je n’ai reçu votre lettre du 1er janvier que le 20 mai, en même temps que celle du 9 février ». La mise en service généralisée de navires à vapeur a permis de régler ce problème les années suivantes.

Il fallait aussi estimer le plus justement possible quels étaient les besoins des établissements. Le commandant Page manquait de précisions dans ses demandes de vivres : « En l’absence de renseignements positifs sur vos ressources […], j’ai prescrit de vous expédier en deux chargements les espèces et quantités de denrées mentionnées en l’état ci-joint, composant le nécessaire pour 12 mois à l’effectif de la Division de l’Océanie (577 hommes) ». Parmi ces vivres, on trouve de la farine, de l’huile d’olive, du lait concentré, des pruneaux, de la gelée de fruits, du vinaigre, de la choucroute, ainsi que de la viande salée et des conserves de mouton et de volaille. Pour ce qui est de la viande fraîche, on trouvait alors « des bovins en petite quantité à Tahiti – il n’y avait pas de troupeaux », précise Michel Bailleul, qui ajoute que l’administration disposait aux Marquises « de grands espaces de prairies permettant l’élevage de nombreuses têtes de bétail ».

La qualité des vivres était aussi une préoccupation. Ainsi, ce qu’on appelait « farine d’armement » était une farine étuvée spécialement pour la marine. Le transport et le stockage étaient très contrôlés : « J’ai vu avec satisfaction que les vivres qui vous ont été expédiés de France en 1852, vous sont parvenus en très bon état et que d’avance, vous aviez pris toutes les mesures nécessaires pour les loger convenablement et en assurer la conservation ». La diététique est également prise en compte : « Vos rationnaires recevront en moyenne de la viande fraîche à dîner dans la proportion d’un repas sur trois repas de salaison. […] Je vous prie de me faire connaître à l’avenir si cette proportion est celle qu’il convient de maintenir comme base des envois à vous faire en ce qui concerne les viandes salées. »

Le ministre de la Marine suggère aux expatriés de « recourir aux aliments » locaux

Les vivres envoyés fin novembre 1853 ne sont arrivées qu’en mai 1854 ! Le ministre disposait toutefois d’une solution de secours : l’approvisionnement à partir de l’Amérique du Sud. « Vivement préoccupé de la pénurie dans laquelle vous vous trouvez, j’expédie par ce courrier l’ordre au commandant de la station de l’Océan Pacifique et, dans le cas où il serait à la mer, à l’officier commandant le navire qui se trouvera sur la rade de Callao ou de Valparaiso, de faire acheter et de vous faire parvenir immédiatement, soit par un bâtiment de la station, soit par un navire du commerce affrété à cet effet, la quantité de vivres qui vous sont nécessaires pour trois mois. »

Théodore Ducos avait à gérer une logistique impressionnante, d’autant plus que l’année 1853 fut celle de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie. Il pensait qu’il serait intéressant de voir si les « terres occupées » ne pourraient pas fournir leur part de vivres. C’est ce qu’il suggérait à Page : « En attendant votre envoi de France, je vous invite à recourir autant que possible aux aliments naturels du pays. Nos possessions éloignées ne nous offrirons d’avantages sérieux et réels que lorsqu’elles pourront se suffire, au moins pour les besoins les plus courants de la vie. Que deviendrions-nous en temps de guerre, s’il faut indéfiniment vous assurer les moyens d’existence ? J’attends de vous des études très sérieuses sur cette question. Je désire surtout que vous vous attachiez dans vos états détaillés de demandes, à ne réclamer de moi que des objets d’une absolue nécessité, et que les productions du pays ne peuvent pas suppléer. »

Comme le précise Michel Bailleul, si les vivres sont importés de France, c’est parce que, « dans l’environnement océanien des années 1850, il n’y a pas de pays où l’on puisse se
ravitailler de façon suffisante »
. La Nouvelle-Zélande, nouvellement colonisée par les Anglais, est en proie à des luttes internes. L’Australie a fort à faire pour nourrir ses colons et le pénitencier. La
côte ouest de l’Amérique du Nord commence à se développer. Seule l’Amérique du Sud est considérée comme une source potentielle par les autorités : les côtes du Chili connaissent alors un développement économique croissant et la France entretient un navire stationnaire et un consul à Valparaiso, et de nombreux Français sont installés dans ce pays.

 

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