N°129 – « Amener les élèves à être des personnes libres »

Conservatoire artistique de Polynésie française (CAPF) – Te Fare Upa Rau129 - 10 questions à Christine Bennett - photo Elodie 01

 

10 questions à Christine Bennett, professeure d’arts dramatiques. Texte : Élodie Largenton.

 

Les élèves avancés et adolescents de la classe d’art dramatique du conservatoire vont jouer le célèbre Hamlet, de Shakespeare, le samedi 9 juin, sur le paepae a Maco Tevane. Une pièce ambitieuse choisie par leur professeure, Christine Bennett, qui porte ses élèves avec bienveillance et passion.

 

Pourquoi avoir choisi Hamlet, une pièce qui peut sembler difficile pour des adolescents ?

Shakespeare est mon auteur préféré, avec Molière. Hamlet, c’est un peu la matrice de toutes les pièces. Il y a l’amour, la mort, la folie, le pouvoir, la trahison… En début d’année, j’avais donné le monologue « To be or not to be, être ou ne pas être » à préparer à un adolescent, Brieux. En le voyant, ça a fait tilt, je me suis dit qu’il fallait vraiment que je monte la pièce, même si c’était un challenge de le faire avec des jeunes de 15 à 18 ans. Il faut être à même de jouer les gens qui souffrent, les gens qui tuent… Ils en voient beaucoup à la télévision, mais ça ne veut pas dire qu’ils ont une compréhension complexe de ce que vivent les personnages. L’intensité, c’est ça que j’essaie d’amener pour qu’ils s’approchent au plus près du destin de ces héros, ou non-héros. Je voulais aussi qu’ils aient un beau texte à se mettre sous la dent pour redresser un peu le niveau de langage quotidien…

Les élèves vont-ils jouer en costume ?

Oui, je ne suis pas pour jouer Hamlet en jean, parce que je trouve que pour eux, c’est un voyage dans l’Histoire et on ne se comporte pas de la même manière quand on porte un vêtement d’époque.

Vous allez jouer sur le nouveau paepae. Comment avez-vous adapté la pièce à cette scène particulière ?

On a de la chance, il y a déjà eu un concert sur le paepae dans le cadre du festival de jazz, donc les réglages ont été faits, la sono, les lumières, les praticables… On va poser des rideaux noirs et placer un praticable qui va traverser toute la scène et qui va permettre des rencontres, par exemple entre Hamlet et le spectre. On pourra jouer très près des gens et même passer parmi les spectateurs. Il y aura aussi des spots et des flambeaux au premier étage. C’est une première expérience en extérieur, on verra ce que ça donne, mais par une belle nuit étoilée, avec les torches, les flambeaux… ça peut vraiment être sympa.

Comment avez-vous préparé cette pièce avec les élèves ?

On commence par décortiquer le texte. C’est ce qu’on a fait pendant une dizaine de jours, tous ensemble, lors d’un stage. Il y a une chose qui marche très bien, c’est la visualisation, le fait de regarder des films, des pièces. On a vu le film de Franco Zeffirelli avec Mel Gibson et Glenn Close, regardé la mise en scène de Patrice Chéreau à Avignon, et plus récemment celle de Daniel Mesguich. Là, on est dans des interprétations assez intenses.

Quel est votre rôle en tant que professeure de théâtre ?

C’est non seulement de familiariser les jeunes avec le métier d’acteur, le théâtre, les textes… mais, plus important, c’est de déverrouiller tous les blocages émotionnels, qui vont les amener à être des personnes « libres » et, plus tard, s’ils le souhaitent, des acteurs. Un acteur, quand il arrive dans une audition, c’est quelqu’un qui est capable de pleurer, de rire, de séduire, de faire peur, d’avoir une puissance ou une faiblesse. Et il faut que l’instrument, comme un piano, comme un violon, soit bien accordé et qu’il soit capable de tout jouer. J’ai des élèves qui veulent postuler pour jouer dans des séries d’ados ; cela implique des scènes de contact entre jeunes, des scènes de séduction, de rupture, des scènes où ils pleurent, où ils sont en colère, où ils se chamaillent et ça, il faut que ce soit là tout de suite.

Qu’est-ce qui est le plus difficile pour ces adolescents ?

C’est de le faire devant les autres, d’être bon devant les autres. Quand ils commencent à décoiffer les gens, à montrer leurs émotions, à pleurer, à se mettre en colère, ils prennent peur. Il y a une pudeur à servir tous ces grands sentiments, et il faut se débarrasser du regard des autres qui pèse sur soi. On sait très bien que les adolescents ne sont pas toujours bien dans leur peau, ils s’accrochent à des looks, à des regards, des manières de parler pour se faire accepter. C’est d’autant plus difficile à Tahiti, où on est loin des milieux professionnels. À Paris, il y a des départements théâtre dans tous les conservatoires, il y a des comédiens professionnels, des tournages, des castings, on est dedans, on sait qu’il faut mouiller sa chemise pour avoir le rôle. Ici, l’intensité est moins présente, on essaie toujours de se fondre dans la masse alors que le théâtre, c’est le contraire.

Êtes-vous parfois surprise par certains élèves qui se révèlent pendant les cours ?

Je pense à une jeune fille qui est arrivée l’année dernière, toute serrée dans son corps, mal dans sa peau. Elle a fait tomber les lunettes l’année dernière, elle a commencé à ouvrir un peu ses épaules, et cette année, elle ne se souvient même plus d’avoir été comme ça. Finalement, elle se libère. Ça paraît être un lieu commun, mais c’est tellement beau à voir ! En l’espace de quelques années, les jeunes s’ouvrent complètement. Dans les conservatoires de musique, on a plus l’habitude d’entendre les couics et les couacs des instruments, on ne s’attend pas forcément à ce que les jeunes parlent fort, qu’ils fassent des blagues, qu’ils répondent quand on leur parle… C’est tout leur être qui commence à parler, à vivre et après, le temps fera qu’ils vont tempérer tout ça, mais c’est bien que ça sorte.

Le département théâtre a ouvert en janvier 2014. Quel bilan tirez-vous de ces quatre années ?

En fait, cela fait dix ans que je suis là. J’ai commencé par louer la salle pendant six ans avant l’ouverture du département. Les quatre dernières années se sont très bien passées, j’aimerais maintenant pouvoir monter de grandes fresques, avoir accès à des projets plus ambitieux, parce qu’on a la matière pour le faire.

Certains élèves veulent-ils en faire leur métier ?

C’est un peu ma peur, j’ai un groupe d’adolescents très bons, qui veulent tous être comédiens professionnels. C’est un problème dans le sens où c’est très dur d’y arriver, que ceux qui vont aller à Paris vont se confronter à un monde dur, compétitif, qui est encore différent de celui de mon époque, qui n’était déjà pas facile. Il faut vraiment en vouloir, avoir soit un talent et un aplomb pas possible, soit un physique de rêve. Ce n’est pas à moi de les dissuader, mais je les mets en garde et je leur parle d’autres métiers comme la mise en scène, le doublage, l’écriture, le montage… Ce n’est pas parce qu’on va aller faire le conservatoire ou les cours Florent à Paris qu’on va en vivre. À côté, il faut bien se nourrir, alors soit on est caissier, soit on a travaillé un peu en amont et on peut faire du montage pour des sociétés, par exemple.

Où en est le théâtre tahitien aujourd’hui ?

On est dans le développement d’un art. Il y a eu une grande percée à un moment avec un département théâtre à l’époque de l’OTAC, avec des auteurs comme Jean-Marc Pambrun, Maco Tevane, Henri Hiro et John Mairai. Mais après, c’est tombé à l’eau. Le haut-commissariat est récemment venu proposer aux élèves des bourses pour partir étudier pendant un an au conservatoire de Limoges. Ça redémarre tout doucement.

 

Pratique

Samedi 9 juin, 19h

Paepae a Maco Tevane, CAPF

Entrée libre (300 places)

+ d’infos : 40 50 14 18, www.conservatoire.pf

 

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