N°127 – À la découverte de la pierre-baleine/cachalot de Taputapuātea

 

Service de la Culture et du Patrimoine (SCP) – Te pu no te ta’ere e no te faufa’a tumuDSCN0661

Rencontre avec Edmée Hopuu, agent du bureau des Traditions orales au Service de la Culture et du Patrimoine. Texte Elodie Largenton. Photos Edmée Hopuu.

 

Le paysage culturel Taputapuātea inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco recèle de trésors méconnus, dont des pierres légendaires représentant des animaux sacrés. Il y a notamment une pierre-baleine/cachalot, qui serait directement liée à la légende des baleineaux de la presqu’île de Tahiti.

Chaque année, les habitants de Opoa observent les baleines entrant dans la passe sacrée Te ava mo’a, puis se dirigeant vers la passe de Taha’a avant de revenir et de repartir vers la presqu’île de Tahiti. Autrement dit, raconte Edmée Hopuu, agent du bureau des Traditions orales au Service de la Culture et du Patrimoine, les baleines « vont voir leur pierre, elles se dirigent vers Taputapuātea, puis vers Taha’a, où il y a aussi un marae Taputapuātea ». Cette pierre sacrée – dont la forme allongée rappelle le corps d’une baleine ou d’un cachalot – se trouve à la limite des terres ‘Ati’apiti et Mātārepetā. D’une longueur d’1,50 m et d’une hauteur de 45 cm pour 43 cm de large, elle repose sous le couvert des pūrau à l’entrée du sentier éco-patrimonial Te-Ara-Hiti-Ni’a (en cours de construction), et elle est orientée vers Te ava mo’a, la porte sacrée qui mène depuis le monde des Origines Te-Pō jusqu’aux confins des multiples espaces de vie des femmes et des hommes de Te-Mōana-Nui-ō-Hīvā.

Légende des baleineaux

Les pierres sacrées sont toujours liées aux alliances entre les îles, et entre les archipels, explique Edmée Hopuu. Dans le cas de la pierre-baleine/cachalot, il s’agit de l’alliance des familles de Tahiti avec des familles de Raiatea. « Ce sont les sages de Opoa qui nous ont raconté l’histoire de cette pierre », confie t-elle. D’après les frères Kaina (papa Maraehau) et Timi Tavaearii, personnes sources du district, la pierre sacrée est liée à la légende des baleineaux de la presqu’île de Tahiti. Cette légende a été racontée sur les ondes de Radio Tahiti par Pouira ā Teauna dit Te-ara-pō en décembre 1962. L’enregistrement de l’émission a fait l’objet d’une transcription réalisée et mise en valeur par le bureau des traditions orales du Centre polynésien des sciences humaines (CPSH), dont le SCP est l’héritier. Dans cette version, les baleineaux se nomment Tuitui-i-ni’a (le grand frère) et To’a-mutumutu (la sœurette). L’histoire raconte qu’ils « voyagèrent dans les airs et jusqu’à Ra’iātea dans le district d’Ōpōa. Après qu’ils eurent accompli leur rituel de bénédiction à Taputapuātea, ils s’envolèrent pour Ūpōrū, c’est-à-dire Taha’a, jusque sur la terre To’ahotu ».

 

Passage sacré

Edmée Hopuu précise que cette pierre était « considérée comme un mémorial », la marque de l’alliance scellée entre les familles. La pierre n’était pas déplacée, mais des cérémonies étaient organisées autour de l’image de la baleine, animal totémique protecteur et civilisateur, « mémoire des humains, bibliothèque vivante » et émanation de Ta’aroa-Nui, le Grand esprit créateur. Lors de ces cérémonies, un morceau de bois sur lequel était représenté une tête de baleine ou de cachalot était « déposé sur la partie la plus sacrée du marae », raconte Edmée Hopuu. Ces mammifères marins apparaissent aussi dans les mythes initiatiques polynésiens analogues à celui du personnage biblique de Jonas. Ainsi, entrer dans le ventre d’une baleine serait une allusion au séjour de l’homme dans une période d’obscurité, nécessaire à la compréhension et à l’accès à la lumière, à la connaissance. L’adage mā’ohi le dit bien : nō roto mai te pōuri te māramarama, Des ténèbres, paraît la lumière. Aujourd’hui encore, explique le Service de la Culture et du Patrimoine, la pierre-baleine/cachalot, Te ‘Ōfa’i parāōa/tohorā, montre « au voyageur égaré ou en partance, le passage (ōa) sacré de Te ava mo’a, qui révèle les multiples (parā) et grandes routes mythiques qu’ouvrirent durant la période d’expansion civilisatrice les huit fondateurs Nā-Papa-e-Va’u, sur le grand océan de Hīvā ». L’histoire de cette pierre basaltique, de sa symbolique universelle et de ses fonctions, va être synthétisée et retranscrite sur des panneaux qui seront installés sur le site classé Taputapuātea. Des études scientifiques seront entreprises par la suite pour savoir, notamment, de quand date la pierre. « Nous sommes en train de mettre en place un plan d’actions avec le Comité de gestion de Taputapuātea », précise Edmée Hopuu. Le paysage culturel abrite aussi une pierre-chien et une pierre-cochon, liée aux ‘Arioi.

 

Les Maoris aussi ont des pierres-baleine

L’histoire de Pai, une petite fille de la lignée de l’ancêtre mythique Kahutia Te Rangi, alias Paikea, « le chevaucheur de baleine », a été contée par l’écrivain néo-zélandais Witi Ihimaera dans The Whale Rider. Le récit de cette fillette qui sauve son village grâce à ses relations privilégiées avec une baleine a ensuite été adapté avec succès au cinéma par la réalisatrice Niki Caro, sous le titre Paï : l’élue d’un peuple nouveau. Derrière cette légende qui a fait rêver des milliers de lecteurs et de spectateurs, il y a l’Histoire. Edmée Hopuu raconte que « cette tribu maorie liée aux baleines vient de Tahiti. Ils le disent là-bas, l’origine de Pai, c’est la Polynésie française ». Les maoris ont d’ailleurs, eux aussi, des pierres-baleine, précise-t-elle.

 

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