N°123 –  » Nous voulons rester maîtres de notre danse « 

Conservatoire Artistique de Polynésie française (CAPF) – Te Fare Upa RauFABIEN DINARD DIRECTEUR DISCOURS 4

 

Dix questions à … Fabien Dinard, directeur du Conservatoire artistique de la Polynésie française. Texte Lucie Rabreaud.

 

 

Le 26 octobre, le Ministère de la Culture a reçu une bonne nouvelle : le comité du patrimoine ethnologie et immatériel français a décidé d’inscrire le ‘ori tahiti au patrimoine culturel immatériel français. Une reconnaissance qui est aussi une première étape vers l’inscription du ‘ori tahiti au patrimoine mondial de l’Unesco.

 

Quelle est la place du ‘ori tahiti dans la culture polynésienne ?

 

Je pense que la première place revient à la langue, le reo. Il est très important de connaître la langue avant d’aborder la culture de manière générale, car elle conditionne une meilleure conception de celle-ci. Mais la danse tient aussi une place essentielle. Elle se mondialise, elle est donc vue et pratiquée fortement à l’international. Les jeunes sont attirés par la danse car il y a un besoin d’être reconnu, d’être vu. La danse leur offre cette opportunité. C’est une des formes de la culture qui est considérée à l’international, à l’instar du tatouage. La danse est multidisciplinaire : elle touche à la musique, la déclamation, la langue, l’écrit, les costumes, l’histoire, la géographie, etc. La danse regroupe plusieurs pans de notre culture.

 

Que pensez-vous de l’intégration du ‘ori tahiti au patrimoine culturel français ?

 

Nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier, durant près de trois années et c’est avec beaucoup de satisfaction que nous avons appris cette reconnaissance. Il faut ici saluer les personnes qui ont œuvré afin que cela devienne une réalité. Pour que notre Ministère présente le dossier au service instructeur du Ministère national de la Culture, le Conservatoire avec les professionnels de la danse et la Fédération tahitienne de ‘ori tahiti ont dû répertorier, à partir d’un document déjà existant, les pas de danse. Ils sont nommés, expliqués, décrits, illustrés, filmés… Ce travail est très attendu par les passionnés.

 

A quoi ce travail va-t-il servir ?

 

Il faut est important que l’on parle le même langage, et de jouer sur la même partition. Aujourd’hui, tout le monde n’a pas la même interprétation de certains pas. On ne peut pas se permettre d’avoir un double langage devant l’étranger qui veut apprendre notre ‘ori, sous peine d’être discrédité et déconsidéré. Il faut également tenir compte du petit nombre d’habitants que nous sommes. Si demain, les Etats Unis, le Mexique et le Japon se réunissent pour former une fédération internationale, nous n’aurons plus grand-chose à dire. Ce travail doit servir de référence. Désormais, grâce à cette inscription au patrimoine culturel français et peut-être, prochainement à celui de l’Unesco, notre danse sera protégée.

 

La mondialisation menace le ‘ori tahiti ?

 

Au Japon, aux Etats-Unis et au Mexique, il y a beaucoup de pratiquants du ‘ori tahiti. Je suis allé visiter des écoles de danse dans ces pays, et j’ai pu constater beaucoup d’erreurs. Ces erreurs viennent principalement de personnes non formées et beaucoup viennent d’ici. J’insiste encore : il faut que l’on parle le même langage. On veut rester maître de notre ‘ori tahiti. Au Judo, le meilleur judoka de tous les temps est un Français, et beaucoup de champions du monde ne sont pas japonais, mais les règles sont faites au Japon et tous ces champions se ressourcent au Japon.

 

Ce répertoire des pas fige la danse. Cela n’est-il pas contradictoire avec cet Art vivant et ne va-t-il pas empêcher son évolution ?

 

Je suis persuadé qu’un art qui n’évolue pas est un art destiné à mourir. Si dans quelques années, les instances décident de réactualiser ce travail, on le refera. C’est uniquement un répertoire des pas de base. Les chorégraphes sont libres de créer et de rajouter des pas s’ils le souhaitent. C’est juste un document de base, une référence pour ceux que ça intéresse. Il ne faut pas oublier que notre danse est toujours rattachée à un écrit qu’il faut illustrer par des pas ou une chorégraphie. Ce répertoire n’empêchera pas l’évolution de la danse. On dit qu’avant d’aller vers son futur, il faut connaître son passé.

 

L’objectif est un classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Pourquoi est-ce nécessaire ?

 

Il n’y a pas de nécessité absolue, mais ce classement apportera une certaine reconnaissance mondiale de la culture d’un tout petit pays qui ne représente même pas 1/100000è de la population mondiale. Et ça n’est pas rien. Ce n’est pas qu’une protection, c’est aussi une manière de valoriser notre Culture et notre Pays, et peut être même qu’on ne nous confondra plus avec Haïti.

 

Quelles sont les conditions pour la réussite de cet objectif ?

 

Il faut déjà que la communauté de la danse dans son ensemble soutienne cette idée. Egalement, le ministre de la Culture au niveau national doit choisir, parmi tant d’autres, le dossier du ‘ori tahiti pour le présenter au comité d’examen de l’UNESCO. En sachant que la France ne peut présenter qu’un seul dossier par an.

 

Sa classification en tant que patrimoine culturel et immatériel doit aider à « pérenniser son ancrage » a expliqué la Présidence… qu’est-ce que cela signifie exactement ?

 

Ce travail sur les pas de base du ‘ori tahiti est une première. Ce document est comme un manuel, destiné aux pratiquants. Il y a 57 pas répertoriés, il y a la traduction de l’Académie tahitienne sur le sens des mots, le détail du positionnement des pieds et du bassin… des vidéogrammes de 2’30 » minutes ont également été réalisés sur chaque pas où celui-ci est expliqué et détaillé. On a d’abord fait ce travail pour nous et pour les générations à venir. On leur laisse un héritage. Ce répertoire des pas va être édité en livret. Il sera distribué aux professionnels dans un premier temps et il sera disponible gratuitement sur notre site internet.

 

Pourquoi selon vous cette danse connaît-elle un engouement dans les pays étrangers ?

 

Parce que nous sommes les plus beaux et notre danse est la plus belle !! (rires) Au début, les Japonais se sont mis au Hula, la danse hawaiienne. Et petit à petit ils sont venus vers le ‘ori tahiti. Il y a plus de rythme, plus d’émotion. les costumes sont beaucoup plus variés. En résumé, nous sommes sexy dans notre danse !

 

Après avoir été interdit dans le passé, le ‘ori tahiti pourrait être classé au patrimoine mondial de l’Unesco : est-ce une revanche ?

 

Ce n’est pas une revanche : c’est une belle histoire. Si elle n’avait pas été interdite, peut-être qu’elle aurait eu une toute autre trajectoire moins heureuse. On ne saura pas. Et puis, le ‘ori tahiti n’a pas disparu, la danse a survécu et a évolué au gré du vent. Elle est appréciée dans beaucoup de pays dans le monde. J’ai beaucoup voyagé grâce à la danse et je peux dire que dans certains pays, nous sommes des icônes ! On signe des autographes, on est pris en photo comme des rocks stars ! C’est bien pour nos jeunes, notamment, mais il ne faut pas oublier d’où l’on vient.

 

+ d’infos : 40 50 14 14, [email protected]

 

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