N°123 – Le panier traditionnel à la rescousse de l’environnement

 

Service de l’Artisanat Traditionnel (ART) – Pu ‘ohipa rima’iAffi_Mag_W_M

Rencontre avec Laetitia Galenon-Liault, Chef de service et Patricia Tsing, agent du Service de l’artisanat traditionnel, Iaera Tefaafana et Sheila Tamarino, artisanes, et Jerry Biret, organisateur de l’événement. Texte : Elodie Largenton.

 

Le ministère de l’artisanat et le Service de l’Artisanat Traditionnel lancent une grande opération de promotion des sacs de course locaux baptisée ‘Ete. Pendant trois jours, des paniers en pandanus, mais aussi des sacs en tissu et des cabas en matériaux recyclés fabriqués par des artisans locaux seront vendus dans des supermarchés. Objectif : montrer qu’il existe des alternatives aux sacs plastiques à usage unique.

En juillet dernier, le gouvernement a lancé une étude sur la production et la distribution des sacs plastiques au fenua. L’idée est d’évaluer les impacts « économiques, sociaux et environnementaux » d’une interdiction des sacs à usage unique, réutilisables, échangeables et oxo-dégradables. À terme, un projet de loi pourrait être mis en place.  « Dans l’attente de cette réglementation, c’est l’occasion de commencer à chercher des alternatives au sac plastique à usage unique », comme le souligne Laetitia Galenon-Liault, chef du Service de l’Artisanat Traditionnel.

Des animations commerciales au programme

L’artisanat local apporte déjà de nombreuses solutions et c’est ce que va prouver l’opération ‘Ete. Du 1er au 3 décembre inclus, des produits issus de l’artisanat local seront présentés et vendus dans quatre supermarchés de Tahiti. Paniers traditionnels, sacs en tissu, ou encore cabas en matériaux recyclés… Tous seront fabriqués par des artisans locaux. « On veut montrer qu’on peut proposer des produits pratiques, intéressants et sympa à utiliser », explique Jerry Biret, chargé d’organiser l’opération. Même si ce n’est pas en grande surface qu’on trouve le plus de sacs plastiques à usage unique, à part au rayon fruits et légumes, l’idée est d’abord de sensibiliser la population. « Il y a beaucoup de monde dans les galeries marchandes et on sera au début de la période de Noël, donc c’est idéal pour toucher un maximum de personnes, qui pourront ensuite diffuser l’information », précise Jerry Biret. Pour cette opération, l’organisateur a décidé de « ne pas mobiliser les artisans sur la vente. On engage des professionnels, qui ont un argumentaire de vente et qui vont aller au-devant du client, c’est une vraie animation commerciale. » Les artisans animeront d’ailleurs des ateliers créatifs, lors desquels « ils feront découvrir leurs techniques afin de permettre aux gens de créer leur propre sac de course », précise Laetitia Galenon-Liault. Avant cela, ils devront fabriquer des dizaines de sacs. Sheila Tamarino, artisane, membre de l’association Punarei de Faa’a, a prévu de préparer une vingtaine de paniers. Depuis quelques années, elle a « un gabarit spécial panier marché ». Pour elle, cette opération permet à la fois d’aider à préserver l’environnement et de gagner de nouveaux clients. « C’est pour la bonne cause, et après, cela nous fait travailler, nous sommes aussi gagnants », reconnaît-elle. Comme Iaera Tefaafana, une autre artisane qui participe à l’opération, elle rêve de « voir des paniers partout, et pas que dans les supermarchés ».

Une image moderne de l’artisanat

Pour inciter les gens à préférer les produits de l’artisanat local quand ils font leurs courses au marché ou dans des magasins de proximité, l’opération s’accompagne d’une campagne de communication centrée autour du mot ‘ete, réceptacle, panier. « Ce mot est facile à prononcer pour ceux qui ne parlent pas tahitien, et ça évoque le soleil. ‘ Ete peut aussi être rattaché au mot ‘ ite, le savoir, c’est le sac des savoir-faire traditionnels », souligne Laetitia Galenon-Liault. Mais il ne s’agit pas là que de jeux de mots, la chef du Service de l’Artisanat Traditionnel aimerait, à terme, entendre l’expression « prendre son ‘ete » pour aller faire ses courses. Aujourd’hui, elle le reconnaît, il est difficile d’imaginer aller au supermarché avec son panier pae’ore*, pas parce que ce n’est pas pratique, mais parce qu’ils sont « trop beaux » ! Sheila Tamarino préfère aussi prendre un panier en tissu pour ses courses ; « le panier marché, je l’utilise plus pour aller en randonnée, pour aller dans la montagne », raconte-t-elle. L’artisane de Faa’a ajoute que « certaines personnes ne prennent leurs paniers que pour aller à la messe. Cette opération va peut-être réveiller les consciences, montrer que le panier traditionnel, c’est aussi pour la vie de tous les jours ». Pour sauter le pas, on pourra commencer par acheter des porte-cartes ou des porte-monnaie fabriqués par des artisans locaux. « On ne veut pas se limiter aux paniers. En proposant des produits divers dans un cadre différent de celui des salons de l’artisanat, on espère attirer des gens qui n’achètent pas ce genre de produits habituellement. On veut redonner une image moderne à l’artisanat », explique Jerry Biret.

Proposer des alternatives

Cela peut également être l’occasion d’attirer « les jeunes dans ce créneau », ajoute l’organisateur de l’événement. « J’espère que ça va déboucher sur des niches, que des gens vont venir créer d’autres sacs qui n’existent pas encore, qu’ils vont trouver une solution pour transporter les tas de citrons ou le poisson », le rejoint Laetitia Galenon-Liault. Elle raconte qu’avant, les mape n’étaient pas emballés dans du plastique, mais piqués sur une tige de niau. Si le gouvernement décide d’interdire les sacs plastiques à usage unique, « les commerçants vont devoir rivaliser d’imagination pour chercher des alternatives ». Les artisans vont pouvoir ? montrer, en ce début du mois de décembre, qu’ils regorgent d’idées pour un avenir plus durable.

* pae’ore : pandanus

 

Des initiatives similaires chez nos voisins du Pacifique

Plusieurs pays océaniens ont déjà pris des mesures pour interdire les sacs plastiques à usage unique. C’est le cas, par exemple, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui a sauté le pas en 2016. Dans le même temps, le gouvernement a fait la promotion des bilums, ces sacs traditionnels en fibres naturelles. À l’époque, Florence Jaukae Kamel, qui travaille à la promotion des bilums et aide à leur fabrication au sein d’une association, se réjouissait à l’idée de « voir plein de bilums de couleurs différentes, de tailles différentes portées par des gens différents au marché et dans les magasins ». Elle précisait au micro de la chaîne australienne ABC que les « bilums permettent de tout transporter, peu importe le poids des marchandises ». Les athlètes qui ont participé aux Jeux du Pacifique en 2015, à Port-Moresby, s’en souviennent peut-être : les médaillés sont repartis avec un bilum en guise de bouquet de fleurs.

Valoriser les paniers traditionnels

Le Vanuatu veut aller encore plus loin. Dans son discours prononcé le 30 juillet dernier à l’occasion de la fête de l’indépendance, le Premier ministre Charlot Salwaï a annoncé son intention d’interdire non seulement les sacs plastiques, mais aussi les bouteilles d’eau en plastiques à usage unique. Jerry Biret a suivi cette actualité et il remarque que, s’agissant des sacs, les autorités ont immédiatement cherché à valoriser les paniers traditionnels. « Une sorte de foire agricole a été organisée récemment et ils ont regroupé tous les producteurs de paniers pour les mettre en avant. Et à l’occasion d’une conférence internationale, ils ont fait produire plusieurs dizaines de paniers traditionnels pour les distribuer aux participants », rapporte l’organisateur de l’opération ‘ete. La logique est donc la même chez nos voisins : pour remplacer les sacs plastiques qui polluent notre environnement, le plus simple, c’est d’utiliser les paniers traditionnels, aussi beaux que robustes.

 

Des gardiens de la tradition très Game of Thrones

Pour les affiches de l’événement, Jerry Biret voulait « quelque chose qui sorte de l’ordinaire pour bousculer tout le monde ». Il a confié cette mission au photographe Matorai Ellacott, dont l’univers est « très rock, assez sombre, avec un côté heroic fantasy », explique Jerry Biret. S’inspirant de la série télévisée à succès Game of Thrones, le photographe a fait poser des modèles tatoués, dévêtus, et Roonui Krause, le chef décorateur, a fabriqué un trône de paniers à partir d’une simple chaise de jardin. L’atmosphère a fini de prendre forme grâce au maquillage et surtout au lieu choisi pour la séance photo, le marae Arahurahu à Paea. « Au départ, on cherchait juste un endroit calme, mais le hasard fait bien les choses, toute la symbolique s’est mise en place au marae », raconte Jerry Biret.

Une belle guerre

Le résultat est riche, avec diverses interprétations possibles. « On a fait des tests auprès de différentes personnes et selon leurs intérêts, elles perçoivent des messages différents », remarque Jerry Biret. Pour certains, on voit d’abord sur ces affiches « les gardiens des savoir-faire traditionnels, ils sont là pour assurer la préservation de la tradition dans un endroit sacré ». Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une femme et d’un homme déterminés qui « partent en guerre contre le plastique ; c’est une belle guerre ».

« Les visuels sont emblématiques de cette campagne, chacun va y trouver un sens », résume Jerry Biret. Le principal, selon lui, est d’amener les gens à se poser des questions : « Il faut que ça génère des échanges, qu’on en parle. » C’est pour cela que sur les premières affiches aperçues à Tahiti, il n’y avait que le mot ‘ete et les dates de l’opération, sans plus de précisions, pour attirer l’attention des gens, qu’ils se demandent de quoi il s’agit. Les affiches mettent en valeur uniquement des paniers pae’ore, « mais dans les vidéos, on présente des sacs moins traditionnels, tous fabriqués localement, par des artisans polynésiens », précise Laetitia Galenon-Liault. Au verso des flyers distribués pour l’occasion, on peut trouver la liste des artisans participant à l’opération, ce qui permet aux gens de prendre contact avec eux s’ils ont repéré des paniers qui pourraient remplacer demain leurs sacs plastiques.

3 questions à Iaera Tefaafana, présidente du COEA, Comité organisateur des expositions artisanales des Îles Australes, et de l’association Te ve’a nui, de Rimatara.

Avez-vous tout de suite adhéré au projet ?

Jerry Biret est passé me voir pendant le salon des Australes, dans le hall de l’Assemblée de Polynésie française. Il m’a expliqué le projet, en précisant qu’il y aurait différentes tailles et différents modèles de paniers tressés en pandanus, et que l’objectif était de promouvoir les différents ‘ete. J’aime beaucoup qu’on fasse la promotion de nos produits, donc j’ai tout de suite dit ‘oui, je m’engage’. Il faut dire aussi que ça fait des années qu’on essaie de mettre en place, de notre côté, au sein de notre association de Rimatara, un projet similaire. On veut vendre des paniers marché dans les grandes surfaces à la place des sacs plastiques. Il y a quelques semaines, j’ai démarché un magasin pour exposer mes paniers ‘ete dans un curios, dans l’allée centrale du centre commercial, mais je n’ai pas encore eu mon rendez-vous. Et depuis que Jerry m’a parlé de son projet, mon rêve va être réalisé ! Cette fois, ce sera au sein d’un grand groupe, mais après, je veux poursuivre mes démarches pour placer mes paniers dans le rayon où ils vendent des produits artisanaux. J’ai vu qu’une créatrice locale de vêtements pour enfants vendait ses produits là-bas. Si elle y arrive, pourquoi pas moi ?

Vous servez-vous de votre panier pae’ore pour faire vos courses ?

Oui, je fais mes courses avec mes paniers. Celui que j’ai aujourd’hui, cela fait deux ans que je l’ai et il est résistant. On y met des tas de bananes, de mangue, des cocos… Certains paniers « marché » ont des anses renforcées, qui font le tour du panier. Il y a un double tressage avec du carton à l’intérieur, donc c’est très costaud. Quand on va au supermarché, on se dit qu’on ne va pas prendre un panier, on prend le sac pastique, on paie 100 Fcfp, c’est une habitude. Pour changer cela, il faut d’abord commencer par soi, prendre son panier marché et faire ses courses avec. C’est une question d’attitude, si on veut mettre en avant les paniers ‘ete, il faut commencer par nous, les artisans. Lors des salons, on conseille d’ailleurs à nos artisans d’utiliser leurs sacs à main en pandanus, au lieu de prendre des sacs importés.

Le prix des paniers peut-il être un frein ?

Quand j’ai démarché les grandes surfaces pour y vendre nos paniers, on nous a demandé de fixer un prix. On est arrivé à 700 Fcfp le panier, ce qui, je pense, était peut-être trop cher. Le problème, c’est que je peux tresser une dizaine de paniers par jour si je ne fais que ça. Mais tout le monde pense que le temps de travail, ce n’est que le tressage du pandanus, les gens oublient le temps que l’on passe à chercher et à traiter notre matière première. Du découpage au séchage, sans oublier la commercialisation, ce sont des heures de travail qui ne sont pas comptabilisées. Et même si on ne prend en compte que le temps que passe l’artisan à tresser, un panier marché a un prix de base qui varie de 500 à 1 400 Fcfp, selon son format.

 

Pratique

Opération ‘Ete, du 1er au 3 décembre inclus dans les magasins Carrefour Punaauia, Faa’a, Taravao et Champion Mahina. Les prix sont fixés par les artisans, qui reçoivent la totalité des revenus générés par la vente.

Plus d’informations sur la page Facebook : Service de l’Artisanat Traditionnel.

 

 

 

 

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