N°104 – « Nous devons réfléchir à l’insertion dans la vie active »

Viri Taimana, Directeur du Centre des Métiers d’ArtViri Taimana

Propos recueillis par ASF.

 

Le planning du Centre des Métiers d’Art est particulièrement chargé jusqu’à la n de l’année : rencontres artistiques, formations, mise en place de nouvelles filières. Une actualité riche qui, selon son directeur, Viri Taimana, a pour objectif de valoriser le savoir-faire polynésien, mais aussi de préparer les plus jeunes à rentrer dans la vie professionnelle et ainsi faire de la culture un outil de développement économique.

Cette année est riche en rencontres, événements et même challenges pour le Centre des Métiers d’Art. Ce mois-ci, le Centre accueille trois artistes dans le prolongement du Pûtahi, rencontre culturelle et artistique océanienne. Pouvez-vous nous en parler ?

Le dernier Pûtahi a eu lieu en janvier en Nouvelle-Zélande et un des aspects de cet événement est de permettre la circulation d’artistes dans le Pacifique. Nous accueillons à partir du 8 mai trois artistes maoris pendant dix jours au Centre. Il y aura Alex Nathan spécialisé dans la gravure sur argent ; on attend aussi un spécialiste de la sculpture maorie qui s’appelle Lionel Grant, c’est un maître sculpteur ; le troisième est le professeur Donn Ratana qui est plasticien. Tous trois vont dispenser leurs savoirs et leur savoir-faire auprès de nos étudiants.

Le Pûtahi existe depuis 2010, quelle est la plus-value pour les élèves ?

Le Pûtahi, nous l’avons imaginé comme une rencontre entre artistes confirmés et artistes en devenir, c’est le partage des expériences, comme une famille. Nous sommes constamment à la recherche de nouvelles techniques, de nouvelles matières. Par exemple, Alex Nathan va venir montrer son travail sur l’argent qui est une matière que nous ne travaillons pas ici. Le Pûtahi, c’est vraiment pour nous l’idée de faire venir des spécialistes qui ont un savoir-faire qui manque au Centre. C’est une manière d’ouvrir les étudiants à d’autres pratiques et d’autres expériences.

Vous pensez déjà à d’autres artistes, d’autres spécialités pour ce type de rencontre ?

J’aimerais faire venir un spécialiste de la fabrication de papier à partir du pandanus. Nous avons identifié des spécialistes dans le Pacifique.

Au-delà de l’aspect artistique et culturel, cela pourrait initier de nouvelles filières en Polynésie française ?

Oui, dans la reconnaissance des diplômes dispensés par Centre, il y a la préparation d’un C.A.P tressage. Nous avons mis en- semble le tressage, la vannerie et le tapa, mais on pourrait rajouter la fabrication du papier ou tapie, un néologisme polynésien que nous avons inventé il y a deux ans et qui dé nit la création de papier à partir du tapa. Une expérimentation qui a été menée dans l’atelier dessin et les résultats ont été très encourageants. Cette pratique peut devenir une vraie activité économique pour nos étudiants à la sortie du CMA.

Un autre rendez-vous pour le Centre est la reconnaissance nationale du diplôme, nous en avons déjà parlé dans le Hiro’a d’avril, mais pouvez-vous nous rappeler les échéances ?

Nous sommes actuellement sur les rap- ports d’opportunités et ensuite deux inspecteurs viendront au mois de juillet pendant dix jours, pour que nous puissions préparer l’ensemble des dossiers des diplômes polynésiens à présenter au Centre National de Certification Professionnelle à Paris en décembre 2016. Ensuite, à partir de septembre 2017, ce sera la rentrée pour les formations BMA* sculpture et gravure. il aura fallu trente six années pour avoir la reconnaissance des diplômes polynésiens au niveau national !

Cette reconnaissance va entraîner un engouement pour le Centre, êtes vous en mesure d’accueillir plus d’élèves ?

Pour l’instant, nous n’avons pas l’infrastructure pour accueillir plus d’étudiants mais je pense qu’avec cette reconnaissance cela va changer et l’équipe pédagogique doit être renforcée. Cette reconnaissance va nous permettre d’être beaucoup plus exigeants sur la sélection mais aussi la sortie. Il y a un point très important sur lequel nous devons travailler et réfléchir : savoir comment ces jeunes diplômés vont s’insérer dans la vie active en créant de l’activité économique, car c’est le but. Nous allons les préparer à être autonome et les accompagner dans des projets professionnels viables.

Vous parlez de formation : en avril se sont déroulées des tables-rondes autour du métier de tatoueur. Cela a été l’occasion de parler d’une éventuelle formation de tatoueur au Centre.

Nous souhaitions ces tables-rondes car pour créer des filières, il faut d’abord aller à la rencontre des professionnels. Il fallait les questionner sur l’opportunité de mettre en place une formation pour tatoueur. La difficulté pour certains est de participer à la formation de jeunes qui deviendront un jour leurs concurrents. A mon sens, en formant les tatoueurs cela permettra d’apporter au marché du tatouage une diversité et une créativité intéressantes. Et c’est bien connu, la concurrence apporte de saines remises en question !

La concurrence est la crainte principale des tatoueurs ?

La première crainte des tatoueurs est de voir des tatoueurs non patentés à domicile qui n’ont pas toutes les contraintes des professionnels comme la location d’un espace dédié au tatouage. Ils s’opposent à la concurrence déloyale et voudraient un statut de tatoueur réglementé. Mais quand je propose un C.A.P tatouage et graphisme, là, certains craignent de voir le marché saturé.

Est-ce qu’une décision a été prise au cours de ces tables-rondes ?

Il s’agissait d’abord et pour la première fois de réunir tous les tatoueurs pour discuter, débattre de l’intérêt ou pas d’avoir cette filière. Nous sommes au début du projet ou déjà à sa fin. Au Canada, ils ont eu le même débat il y a quelques années, mais le projet ne s’est jamais concrétisé, car les tatoueurs professionnels ne se sont jamais entendus sur la question d’une formation diplômante. Nous verrons ce qui se passe en Polynésie.

Au-delà de la formation, il faudrait déjà savoir quel est le statut des tatoueurs. Sont-ils considérés comme des artistes ?

Ce sont des questions que nous avons soulevées lors de la réflexion sur le statut de l’artiste. Lorsqu’une personne décide de travailler en faisant du tatouage et que nous savons tous que le tatouage fait partie de nos traditions et de nos modes de représentation visuelle, effectivement, il est un artiste, ou Tahu’a Tatau au sens polynésien, celui qui est expert en tatouage. On a un peu tendance à ne pas trop savoir comment définir les choses et en particulier la place des tatoueurs : artiste ou artisan ? On peut tout à fait inventer le monde dans le- quel nous voulons vivre et nous organiser avec nos termes et notre manière de voir les choses et les nommer, les montrer. C’est possible, c’est une histoire de volonté !

 

 

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