N°100 – Ma vie après le Conservatoire, saison 2

Conservatoire Artistique de Polynésie française – Te Fare Upa Rau1 SOLO JOACHIM

Rencontre avec Tuarii Tracqui, danseur de ‘ori tahiti, Joachim Villedieu musicien au Conservatoire.

Propos recueillis par FC et IB.

 

Ils sont tous les deux des prodiges dans leur discipline respective : Tuarii Tracqui, 24 ans, danseur de ‘ori tahiti et Joachim Villedieu, 18 ans, violoncelliste, ont démarré leur apprentissage au Conservatoire. Aujourd’hui, ils poursuivent tous les deux dans cette voie qui détermine l’essentiel de leur vie.

 

Tuarii Tracqui : « on doit mériter les titres »

Tuarii, tu es le dernier garçon diplômé du Conservatoire et la même année tu as gagné le concours de meilleur danseur du Heiva, en 2012. Avec le recul, comment as-tu vécu ces moments exceptionnels ?

Ces moments sont parmi les plus beaux de ma vie. Mes rêves, mes objectifs se concrétisaient. Mais la pression de l’examen du Conservatoire et du concours de Heiva n’était pas du tout la même. Le concours du Heiva est un « one shot », pendant lequel tu es seul dans la lumière sur une scène immense, sous le regard d’un large public que tu distingues à peine. Et tu as deux minutes trente pour convaincre le jury. Tu portes aussi les espoirs d’un groupe qui a accepté de te présenter. Le stress est omniprésent. Pendant 2 mois, j’ai travaillé des combinaisons de pas et j’ai eu 1 mois pour les mettre sur la musique. J’étais vraiment heureux de concourir et j’ai donné le meilleur de moi même.
Le diplôme du Conservatoire a récompensé un travail de 7 années dans plusieurs disciplines associées, la danse bien sûr mais aussi la culture générale, les percussions et les cordes. L’assiduité et l’investissement aux cours dispensés par de bons professeurs m’ont permis d’aborder le diplôme avec beaucoup plus de sérénité, moins de stress que le Heiva.

Lors du passage de ton examen, un membre du jury t’a dit : « c’est maintenant que tout commence ». Comment comprends-tu ce message ?

Ce membre du jury avait raison car depuis j’ai la chance de vivre de la danse, de ma passion. Je voyage beaucoup et je m’enrichis en rencontrant de nombreux artistes qui partagent cet amour du ‘ori tahiti, et j’apprends également tous les jours à leur contact. Je découvre d’autres cultures et d’autres façons de vivre et voir le monde. Et tout cela s’est enclenché grâce à ces titres. Mais ce commentaire signifiait aussi que je devais mériter ces titres. J’essaye d’être à la hauteur, c’est beaucoup de travail, mais encore une fois je m’estime vraiment chanceux et je fais tout ce que je peux pour faire honneur au ‘ori et au fenua.

Quel est le regard que tu portes sur les enseignements que tu as reçu ? En quoi t’aident-ils dans ta démarche actuelle ?

C’est au Conservatoire que j’ai le plus appris. Je suis pour cela à jamais reconnaissant envers cet établissement et ses enseignants. Mais je n’oublie pas tous les groupes dans lesquels j’ai eu l’opportunité de danser et qui ont bien sûr énormément contribué à ma formation.
Aujourd’hui, quand j’enseigne le ‘ori tahiti, je me sers essentiellement des bases apprises au Conservatoire et je les enrichis de ce que j’apprends des chorégraphes de Hitireva, Tahiti Ora, Toakura, Pina’ina’i, ‘Ori i Tahiti, Hei Tahiti… qui ont chacun leur manière de faire.

Que souhaites tu apporter au monde des arts traditionnels et au ‘ori tahiti ?

A l’étranger, je contribue à mon petit niveau à rappeler que nous sommes les héritiers légitimes du ‘ori tahiti qui trouve sa source à Tahiti. J’espère par mon comportement responsable et amical inciter ces élèves, qui deviennent des amis, à venir au fenua et participer au développement du tourisme culturel. Ici, je lis pour mieux connaître la culture des anciens polynésiens qui m’inspire pour trouver les thèmes des chorégraphies que je dois monter, et je souhaite améliorer ma connaissance de la langue – que j’ai apprise à l’UPF, où j’ai obtenu ma licence en reo ma’ohi – et l’art oratoire. Je travaille le ‘orero John Mairai et Teiva Manoi que je remercie beaucoup. En bref, je souhaite œuvrer au maximum et le plus longtemps possible pour le ‘ori tahiti et plus largement pour notre culture.

Quel message souhaites-tu communiquer aux élèves du Conservatoire qui suivent tes pas ?

Je les encourage à s’accrocher à leurs rêves et à leurs objectifs, à toujours trouver du plaisir en dansant et à porter haut les couleurs de notre école, le Conservatoire.

 

Joachim Villedieu : « la musique ne peut pas être ‘’un choix simplement raisonné’’ »…

Joachim, tu as été l’un des plus jeunes diplômés de l’histoire du Conservatoire en violoncelle et aujourd’hui, tu poursuis tes études musicales à Paris. Avec le recul comment vois-tu ce parcours et ce choix de vie ?

Je n’ai pas pu me décider à 14 ans après avoir obtenu mon DEM (Diplôme d’Etudes Musicales), malgré le souhait et les encouragements de mon professeur Simon Pillard à m’orienter dans cette voie. Ce sont les stages que j’ai eu la chance de pouvoir faire en France qui m’ont finalement aidé à poursuivre des études musicales. Et même si je suis encore au tout début du parcours, je ne regrette pas du tout de m’y être engagé.

Que peux-tu dire de l’enseignement que tu as reçu au Conservatoire de Polynésie, avec ton professeur Simon Pillard mais aussi avec les chefs d’ensemble qui t’ont  dirigé ?

J’ai en effet eu la chance d’apprendre le violoncelle avec Simon Pillard, professeur du Conservatoire diplômé du Conservatoire National de Musique de Paris. Mes parents voulaient m’inscrire en violon mais j’ai choisi le violoncelle parce que l’instrument m’attirait davantage. Très vite, j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à apprendre et à jouer, et je me souviens entre autres moments marquants de mon premier duo en public avec ma sœur Shui Len au piano en 2006, lors du gala de fin d’année du Conservatoire à To’ata. Je crois que le directeur Fabien Dinard avait souhaité pour la première fois que des élèves des disciplines classiques participent au gala des arts traditionnels et ce fut une très belle expérience.

Comment se déroulent tes études parisiennes ? Et quelles sont les différences majeures avec Tahiti ?

Je suis très heureux d’être entré au CRR (Conservatoire à Rayonnement Régional) de Rueil-Malmaison, dans la classe de Madame Véronique Marin-Queyras. C’est un travail exigeant et passionnant à la fois, dans la continuité de mes études au Conservatoire. Mais ce qui est très différent, c’est qu’à Tahiti, je faisais de la musique en parallèle avec le lycée, alors que maintenant, j’en fais à plein temps et à un rythme beaucoup plus intensif.

Comptes-tu devenir musicien professionnel ou bien enseignant ?

Je pense que c’est un peu prématuré de me fixer sur un métier. Pour l’instant, je suis encore en pleine découverte de la richesse de l’univers musical. J’essaye de me familiariser avec de nouveaux domaines pour savoir vers quoi m’orienter par la suite.

Quel message peux-tu adresser à tes amis et aux élèves du Conservatoire qui suivent ton parcours ?

C’est un choix difficile car c’est une voie très différente de celle des études supérieures « classiques », ce qui par conséquent demande une motivation personnelle très forte et profonde, notamment pour affronter les concours qui jalonnent tout le parcours des études musicales. Comme me le disait un des professeurs extraordinaires que j’ai rencontré, ça ne peut pas être un choix « simplement raisonné »…

 

 

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