N°95 – COCO HOTAHOTA, CHEF DU GROUPE TEMAEVA

 

Coco Hotahota@E2MPropos recueillis par SF.

 

« Nous pouvons revenir vers les traditions tout en vivant dans le monde moderne »

 

A 75 ans, avec sa troupe historique Temaeva, Coco Hotahota vient de remporter le grand prix de ce Heiva i Tahiti 2015. Pour le Hiro’a, cette figure de la culture polynésienne revient sur la préparation difficile et minutieuse du spectacle ainsi que sur sa philosophie du ‘ori tahiti.

 

Quels sont vos premiers sentiments après avoir remporté ce premier prix en Hura Tau ?

 

Au-delà du bonheur et de la fierté que cela représente, je suis d’abord très reconnaissant envers ceux qui m’ont soutenu et aidé mais aussi envers ceux avec qui j’ai appris. Je pense notamment à tous ces maîtres de danse que j’ai rencontrés pour penser, concevoir et écrire le thème de ce Heiva 2015. Pour mon spectacle, je suis allé voir les anciens de Papenoo, de Vairao, de Tautira et de Huahine. Compte tenu de la fragilité de notre patrimoine, il a fallu réaliser un véritable travail de recherche et de rencontres pour écrire et porter comme il se devait ce thème du Heiva jusqu’au bout.

 

Cette année, vous avez décidé de monter sur To’ata justement avec le thème du Heiva, pouvez-vous nous raconter plus précisément l’histoire ?

 

Le Heiva, c’est le divertissement, la joie, l’amour. Nous avons décidé de diviser ce Heiva en quatre tableaux. Le premier pose une question : quel est le lien entre la femme et la fleur ? Le deuxième thème raconte un combat de coqs. Dans cette danse, ce sont les rythmes du to’ere qui sont importants et expriment l’histoire, les danseurs en sont les exécutants. Le troisième tableau est une danse de l’amour. La première fois qu’elle a été dansée, c’était par une troupe de Papenoo à la fin des années 50. Le quatrième tableau met en avant un cerf-volant. Pas n’importe lequel, celui de Tahiti, le pauma. Un ancien de Papenoo m’a raconté qu’en réalité il symbolisait l’âme, et sa corde, son nombril. Si tu perds la corde, tu perds ton âme et tu meurs.

 

Partir à la recherche des histoires anciennes et rencontrer les anciens semblent être des étapes nécessaires dans l’élaboration du thème et dans la construction du spectacle ?

 

Oui, ça l’est. Il faut connaître le passé pour comprendre sa culture et la faire évoluer. Ce sont les anciens qui m’ont appris par exemple comment se faisait la coiffe de l’époque pour la danse du coq. On empalait l’oiseau avec du coton pour contenir l’odeur de décomposition… Ce sont aussi eux qui m’ont expliqué la danse de l’échafaudage. Pour l’anecdote : au départ, j’avais trouvé cela ennuyeux, j’ai donc voulu quelque chose de plus moderne. Résultat : l’échafaudage s’est effondré. On a finalement appliqué les conseils des anciens.

 

C’est une démarche que vous réalisez avec vos jeunes apprentis. En quoi est-ce important de transmettre cette connaissance et ce patrimoine ?

Je veux passer le relais. J’ai 75 ans, le plus bel âge, mais je sais que bientôt je ne serai plus là. Je ne veux pas que Temaeva disparaisse avec moi. Je dois avoir un remplaçant, et je pense aujourd’hui l’avoir trouvé en la personne de Rita, mon maître de danse. Avec moi, elle se plonge dans le passé, c’est essentiel pour mieux construire l’avenir. C’est comme la Bible : si il n’y avait pas eu d’Ancien Testament, il n’y en aurait pas un Nouveau !

 

Vous écrivez vous-même le thème et les paroles des chants, qui s’occupe de la danse ?

Les pas et gestes de danse, je les pense avec mes maîtres danseurs. Je n’aime pas le mot chorégraphe car, pour moi, le chorégraphe pense une danse de manière esthétique et non pour son sens. Je fais l’inverse. Nous avons d’abord défini le thème, j’ai ensuite écrit les paroles, puis nous avons construit les mouvements et les pas ensemble. Cela a demandé des heures de travail et de discussion et ce sur plusieurs mois. Mon rôle est d’accompagner les maîtres de danse et de prendre le temps de leur expliquer ce que j’ai moi-même pu apprendre.

 

Pour la musique, vous vous êtes entouré de Patrick Noble, un fidèle compagnon…

Il suit la troupe depuis des années. J’ai toujours écrit les paroles et lui la musique, et cela a toujours très bien fonctionné. J’apprécie beaucoup son travail, notamment sur le ‘aparima. Pour la partie instrumentale, c’est notre chef d’orchestre Roméo le responsable. Il s’agit de la partie la plus difficile à construire : une fois l’écriture terminée, il faut la transformer en musique, il faut « faire parler les to’ere » comme on dit dans notre jargon.

 

Tout cela fait partie de la préparation du Heiva. Justement, comment s’est déroulée celle de cette année ?

Comme à chaque fois, c’est un travail d’équipe et de longue haleine. Le plus dur est, finalement, de supporter les états d’âme de chaque membre de la troupe ! Ce qui est aussi fastidieux, c’est la confection des costumes. Il faut les imaginer, puis trouver les matériaux et les concevoir. Parfois, on les commande, parfois on les cueille dans notre environnement…L’un des costumes les plus difficile à réaliser a été notamment celui composé de riri* blanc, une fleur de plus en plus rare de nos jours. Celui du pauma a aussi été complexe, nous avons dû faire plusieurs essais pour enfin trouver la bonne matière : on a finalement utilisé du plastique !

 

Après une traversée du désert, vous venez enfin de remporter le grand prix. Quel a été votre secret pour cette réussite ?

La remise en question. En 2002, nous avions raflé tous les prix sauf le grand prix. À l’époque, je n’ai pas compris, et j’ai eu beau me remettre en question, je n’ai d’abord pas trouvé d’explication. Puis, au fil des ans, à force d’observer et de s’interroger, j’ai accepté. J’ai gardé le cap : se ré-approprier notre histoire tout en la questionnant, pour mieux intégrer le monde moderne et faire évoluer la culture.

 

Pourquoi pensez-vous que le jury a récompensé votre spectacle ?

Je crois qu’ils ont souhaité valoriser les traditions. Après 53 ans d’un travail acharné dans ce sens avec ma troupe, ils ont enfin compris ! Tout cela est très positif pour l’avenir. Cela montre également aux groupes de danse professionnels comme amateurs que nous pouvons revenir vers les traditions tout en vivant dans le monde moderne.

 

Un petit mot de fin ?

Je suis fier de voir toute cette jeunesse monter sur scène pour exprimer et partager leur culture. Je suis fier de voir ces belles et beaux danseurs talentueux, aux origines différentes et d’une extraordinaire diversité, danser dans un des plus grands festivals de danse du monde. C’est formidable de voir cette jeunesse s’investir comme elle le fait !

 

*Riri : Cryneum asiaticum, appelé également « faux lis » et souvent planté en haies le long du bord de mer. Source : Académie Tahitienne.

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