N°92 – « Les enfants du Levant », un opéra pour tous

Conservatoire Artistique de la Polynésie française – Te Fare Upa Raugroupe 1

Maison de la Culture – Te FareTauhiti Nui

Rencontre avec Christine Bennett, professeur d’art dramatique au Conservatoire, Stéphane Lecoutre, directeur de la chorale du Conservatoire, Vaitiare Mervin, chorégraphe et Marie-Odile Dantin, comédienne, chanteuse et costumière.

Texte : ASF. Photos : ASF – Christian Durocher – CAPF

 

Raconter sur scène une histoire d’enfants maltraités et exploités, c’est le pari osé des élèves et des enseignants du Conservatoire Artistique de la Polynésie française avec l’opéra «Les enfants du Levant », qui se tiendra les 15 et 16 mai au Grand Théâtre de la Maison de la Culture, en partenariat avec l’Etablissement. Un sujet fort et poignant qui devrait nous transporter.

 

Dans l’auditorium du Conservatoire, des enfants, debout sur une table, répètent une scène en tenue de bagnard sous la houlette de Christine Bennett, professeur d’art dramatique. Un peu plus loin, dans une autre salle, ce sont les voix de la chorale dirigée par Stéphane Lecoutre qui résonnent, accompagnés de quatorze musiciens et du chef d’orchestre Guillaume Dor. Depuis septembre 2014, les trois disciplines que sont le chant, le théâtre et la musique se mobilisent pour présenter les 15 et les 16 mai prochains, sur la scène du Grand Théâtre de la Maison de la Culture, l’opéra pour enfants, « Les enfants du Levant » qui raconte la dureté de la vie au bagne pour les gosses des rues à la fin du XIXèmesiècle. Un sujet fort et poignant qui pouvait sembler bien loin des préoccupations des enfants de Tahiti, mais qui,finalement, a été l’occasion de reparler des droits de l’enfant et de rappeler qu’aujourd’hui encore des enfants sont exploités, comme le souligne Stéphane Lecoutre. C’est d’ailleurs lui, le directeur de chorale, qui est à l’origine du projet. L’homme aime à travailler avec les créations de la compositrice Isabelle Aboulker, un nom indissociable des opéras pour enfants, dont les spectacles se jouent sur les grandes scènes françaises et étrangères. A Tahiti, ils seront quarante-deuxenfants entre 6 et 13 ans et une dizaine d’adultes -dont Marie-Odile Dantin et Heiarii Boosie, tous les deux élèves d’Emmanuelle Vidal- pour porter cette histoire devant le public.

Une adaptation musicale, théâtrale et chorégraphique

Christine Bennett, s’est chargée de la mise en scène et a revisité le spectacle pour lui apporter un peu de légèreté et enlever également ce qui lui semblait trop sombre pour être joué par de jeunes enfants. Un gros travail de réécriture a été fait dans ce sens. Côté musique, la partition a également été réécrite, car certains instruments manquaient à l’appel. Si le Conservatoire a choisi de monter cet opéra en s’appuyant sur plusieurs disciplines dispensées au sein de l’établissement public -le chant, la musique et le théâtre – on note aussi la présence de Vaitiare Mervin, chorégraphe  spécialisée dans le street dance. Ici, pas de hip-hop, mais beaucoup d’expression corporelle comme nous l’explique Vaitiare dont c’était la première participation à un tel projet : «  On a travaillé sur l’occupation de l’espace, sur l’expression corporelle, mais il y a aussi quelques chorégraphies. On a mis des pas assez modernes, en faisant toujours attention de respecter l’émotion que l’on voulait partager. Et puis, il ne s’agit pas de danseurs, donc mon travail a aussi été de trouver des choses faciles à assimiler pour eux. »Car c’est bien là aussi l’enjeu et la prouesse d’un travail pluridisciplinaire : demander à des chanteurs de jouer la comédie, à des comédiens de chanter et danser. Pour cela, enseignants et élèves ont déployé une énergie incroyable. Pour Loana, presque 10 ans, ce grand spectacle est une première, mais elle ne semble pas impressionnée par les trois rôles qui l’attendent. Depuis trois ans qu’elle prend des cours de théâtre au Conservatoire, elle est heureuse de pouvoir ainsi assouvir sur scène une autre de ses passions, la danse. Un enthousiasme partagé par tous qui ne manquera pas d’enchanter le public.

 

 

Christine Bennett, professeur d’art dramatique au Conservatoire

« Je veux travailler la profondeur de l’émotion chez l’enfant »

Comment ce projet s’est-il présenté à vous ?

C’est Stéphane Lecoutre, le directeur de la chorale, qui a amené ce projet au Conservatoire. Bien que le sujet soit difficile – on parle de la cruauté exercée sur les enfants – j’ai pensé qu’il était intéressant de le mettre en scène car le message est fort.

 

Qu’est-ce qui vous a convaincue ?

Nous avions déjà travaillé ensemble, avec Stéphane, sur un autre opéra d’Isabelle Aboulker, « Si Molière nous était chanté », et j’avais donné également un coup de main sur un autre opéra « Le Petit Poucet ». Nos collaborations ont toujours fonctionné.

« Les enfants du Levant » est un sujet grave et pourtant vous avez choisi de ne pas faire un spectacle trop lourd émotionnellement, d’abord pour les enfants qui jouent, mais aussi pour les spectateurs.

Oui, j’ai tourné ce projet dans tous les sens en m’interrogeant sur la façon de monter un spectacle comme celui-ci. Dans un contexte de crise, comment montrer des enfants malheureux, battus, etc. J’ai pensé que si on voulait aborder un sujet aussi intense émotionnellement, il fallait créer des respirations et un peu d’espoir sur lequel on pouvait se raccrocher.

En quoi consistent ces respirations ?

On travaille des évasions. A un moment on est en mode musique de dessin-animé avec une scène justement d’évasion. Il y a des scènes de plage, mais aussi une farandole et surtout une scène de révolte à la fin où les enfants se lâchent, ils adorent.

Vous avez fait appel à une chorégraphe ?

J’ai suggéré à notre directeur, Fabien Dinard, de faire un travail corporel, physique dans lequel les enfants pouvaient prendre de l’ampleur au niveau de l’intensité des émotions. Fabien Dinard a donc fait appel à Vaitiare Mervin qui apporte quelque chose de très intéressant à l’œuvre par sa modernité. Le sujet du spectacle est triste, mais les enfants, eux, s’éclatent physiquement sur scène. Ça aussi c’est une respiration.

Comment les enfants ont perçu ce thème de l’enfance maltraitée ?

Pour certains, c’est une découverte. Ils sont très protégés par leurs parents et ne perçoivent pas toujours la violence qui peut exister de par le monde. Pour les plus grands, cela a été intéressant, c’est l’occasion d’aborder des sujets graves.

N’est-ce pas compliqué de faire jouer certaines émotions à des enfants ?

Je m’attache à travailler la profondeur de l’émotion chez l’enfant. C’est un exercice difficile, car parfois il s’agit d’une émotion qu’il n’a jamais vécue. Dans cette histoire, par exemple, une petite fille joue une scène où elle meurt, ce typed’émotionest difficile à transmettre pour les enfants, mais on travaille certaines techniques.

 

Soixante-quinze costumes sur scène !

Marie-Odile Dantin n’est pas seulement sur la scène en tant que comédienne et chanteuse, elle endosse aussi, pour ce spectacle, le rôle de la costumière. Avec l’aide d’un ami couturier, Patrick, elle a imaginé et créé 75 costumes sur mesure. « Ce ne sont pas des déguisements, mais des costumes de théâtre » tient à souligner Marie-Odile qui avoue ne plus compter les heures de travail. En amont, il y a eu une recherche sur la période 1850-1900, pour identifier les tenues d’époque. « Nous ne sommes pas dans la reconstitution historique comme pour l’opéra ‘’Si Molière nous était chanté’’, mais on est dans l’air du temps. Les ombrelles, les costumes de bain, les robes Louis-Philippe et les petits chapeaux de paille, nous plongent immédiatement dans l’époque du récit. ». Là, on croise un bagnard, salopette et casquette à la Gavroche vissée sur la tête, ici c’est un petit Savoyard qui a des airs de ramoneur, un curé porte encore la soutane et les tissus Liberty font les petites filles modèles.

 

 

Une histoire vraie, une page sombre de l’Histoire

Pour écrire cet opéra-théâtre, Isabelle Aboulker et Christian Eymery se sont inspirés d’une histoire vraie, elle-même racontée dans un roman de Claude Gritti. Tout commence à l’hiver 1861, lorsqu’un convoi d’une soixantaine d’enfants de 5 à 20 ans sort de la prison de La Roquette à Paris. Leur destination : l’île du Levant, au large de Toulon. Ils seront les premiers pensionnaires de la « colonie agricole » de Sainte-Anne dont le propriétaire est le comte de Pourtalès. En autorisant les bagnes privés pour mineurs, l’empereur Napoléon III entend débarrasser les villes et les campagnes des innombrables gavroches, vagabonds et orphelins qui les peuplent. Il veut également donner à ces enfants une formation qui leur permette d’apprendre un métier et de quitter la rue. Mais sur place, à l’abri des regards, ces enfants sont condamnés à exploiter les terres arides. La colonie pénitentiaire du Levant va fonctionner pendant 17 ans (1861-1878). Pendant cette période, une centaine d’enfants, soit 10 % des effectifs totaux, mourront sur l’île. Aujourd’hui,  une plaque est posée sur l’île en mémoire des victimes de cette page sombre de l’Histoire.

Dans le spectacle, il y a là Jean Devillaz, un solide savoyard qui a fui les sévices de son oncle ; Théo Gruner, matelot depuis l’âge de huit ans et arrêté à l’occasion d’une bagarre sur le port de Marseille ; Roncelin, apprenti forgeron ; Beaumais, un jeune aventurier belge … Ensemble, ils vont constituer la bande des « Vulnérables » qui défendra les plus jeunes et les plus fragiles. Ensemble, ils vont survivre aux brimades, privations, mutineries et évasions qui se succéderont jusqu’à leur libération.

 

Musique : Isabelle Aboulker / Livret : Christian Eymery
D’après le roman de Claude Gritti, « Les Enfants de l’île du Levant », J.C. Lattès

 

 

Le Conservatoire, un habitué des spectacles pluridisciplinaires

Le Conservatoiren’en est pas à son premier essai en matière de spectacles pluridisciplinaires et d’opéras pour enfants. A chaque fois, ce sont les œuvres d’Isabelle Aboulker qui sont revisitées. En 2010, l’opéra pour enfants « Le Petit Poucet », d’après Charles Perrault, a réuni sur scène le grand orchestre du Conservatoire dirigé par Frederic Rossoni, la chorale des enfants du Conservatoire, de l’école Mamao et du collège de Tipaerui, quatre solistes du Conservatoire, John Mairai comme narrateur et Christine Bennett pour la mise en scène.

En 2012, la dimension théâtrale fait son entrée avec « Si Molière nous était chanté », un opéra dont la musique est encore composée par Isabelle Aboulker. Cette féérie musicale dirigée par Christine Bennett avait mis en scène le chœur des enfants du Conservatoire, préparé par Stéphane Lecoutre, l’ensemble des vents créé pour l’occasion par Guillaume Dor, la classe de comédie de Christine Bennett, des élèves de la classe de chant lyrique d’Emmanuelle Vidal et même le club d’escrime de Bruno Sanchez.

En 2015, L’opéra « Les enfants du Levant » réunira les dix-sept choristes du chœur des enfants dirigé par Stéphane Lecoutre, auquel s’ajoutent les élèves du cours de théâtre de Christine Bennett et les quatorze musiciens dirigés par Guillaume Dor. En tout, quarante-deux enfants seront sur scène ainsi qu’une dizaine d’adultes.

 

L’opéra « Les enfants du Levant » : Pratique

–       Vendredi 15 et samedi 16 mai, 19h30

–       Au Grand Théâtre de la Maison de la Culture

–       Tarif unique : 1500 Fcfp tarif unique

–       Billets en vente sur place

–       Renseignements au 40 54 45 44 – www.maisondelaculture.pf – 40 50 14 14 – www.conservatoire.pf

 

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