N°90 – « Les sépultures anciennes sont une source d’informations extrêmement précieuse »

ValentinFredFrédérique Valentin, archéo-anthropologue

Propos recueillis par ASF.

 

Comme le personnage principal de la série « Bones », Frédérique Valentin, archéo-anthropologue, examine les squelettes afin de déterminer les circonstances de leur mort et surtout afin de reconstituer leur mode de vie. Chargée de recherche au CNRS au sein de l’équipe d’ethnologie préhistorique ARSCAN*, Frédérique Valentin s’intéresse aux premiers peuplements du Pacifique en fouillant des sites funéraires. De passage à Tahiti avant de rejoindre Tonga, elle nous parle de son métier.

 

Vous vous intéressez à la civilisation Lapita**, pouvez-vous nous en dire plus sur votre sujet de recherche ?

Mon sujet de recherche est axé sur les tout premiers peuplements du Pacifique avec l’étude des groupes humains Lapita, associés à la poterie et à l’ensemble culturel Lapita. J’ai ciblé la Mélanésie du sud et la Polynésie occidentale parce que les groupes Lapita sont les premiers à être arrivés dans ces archipels. Je me suis attachée au premier peuplement afin de savoir qui sont les ancêtres des gens qui occupent actuellement les îles du Pacifique. Mon centre d’intérêt principal est le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, les Fidji, Tonga et Samoa.

 

En quoi consistent vos fouilles archéologiques, cela ressemble à une police scientifique des temps anciens ?

Cela relève de l’enquête, comme tout travail archéologique. On cherche des indices, on construit des hypothèses. C’est le même raisonnement que l’enquête de police. Il s’agit de collecter le maximum d’indices  visibles à l’échelle macroscopique et microscopique. On peut, par exemple, observer des traces de découpe ou de fracture qui pourraient témoigner d’une violence sur une personne ; d’autres peuvent témoigner de rites funéraires particuliers. On peut retrouver des squelettes complets, des fragments d’os, des dents …D’ailleurs les dents se conservent très bien.

 

C’est donc aussi un travail de biologiste ?

Oui, c’est un travail de biologiste, mais cela peut aussi être un travail de chimiste, parce qu’on peut  faire des analyses biogéochimiques des os : on prend un petit fragment d’os et à partir de là, on peut reconstituer le régime alimentaire d’une personne, d’un groupe humain, d’une société, d’une population.

 

Les morts font parler le monde des vivants des temps anciens ?

Tout à fait : on fait parler les morts.

 

Est-ce que la génétique a sa place dans ces recherches ?

On peut faire des analyses d’ADN ancien. Jusqu’à présent, les résultats obtenus pour les îles du Pacifique sont extrêmement modestes, voire quasi-nuls. Nous avons encore un problème de conservation. Les vestiges Lapita ne recelaient pas d’ADN ancien.

 

 

Quelle a été votre plus belle découverte ?

C’est en l’analysant qu’on prend conscience parfois de sa découverte. J’ai eu la chance de travailler sur le site Lapita de Teouma au Vanuatu. Nous y avons fait une découverte exceptionnelle. Avec ma collègue Hallie Buckley de l’université d’Otago en Nouvelle-Zélande, nous avons été en mesure de révéler des choses incroyables sur le passé de ces plus anciens occupants du Pacifique. Ce site est celui qui a livré les os les plus anciens pour le Pacifique, hormis en Papouasie Nouvelle-Guinée. Ma collègue a identifié une maladie dégénérative des articulations et elle a réussi à diagnostiquer que cela s’apparentait à la goutte. Cela signifie quelque chose de très important : que la goutte n’a pas été apportée par les Européens, mais est très ancienne dans les populations du Pacifique. Cette découverte offre une perspective sur la compréhension d’une certaine pathologie affectant actuellement les gens.

 

Du coup, cette découverte réécrit l’histoire ?

Oui et chaque découverte modifie l’histoire, ou plutôt modifie ce que nous pensons être l’histoire.

 

Sur le Pacifique, reste-t-il beaucoup de questions en suspens ? Des découvertes à faire ?

Dans ma spécialité, je pense que oui. Si l’on s’intéresse aux sépultures les plus anciennes, celles datées d’avant le Christ – donc, d’il y a plus de 2000 ans – on en connaît très peu. Pourtant c’est là que l’on aura une source d’informations extrêmement précieuse pour discuter de sujets qui passionnent encore aujourd’hui tout le monde : quelle est l’origine des Polynésiens ? Qui sont les Mélanésiens ? Qui sont les Micronésiens ? Nous avons de multiples interrogations aujourd’hui encore.

J’espère que l’on pourra un jour répondre à ces questions de manière scientifique. Mais, pour cela, il faut avoir une base documentaire importante qui est, pour moi, le squelette.

 

Comment sont perçues les fouilles sur des sites funéraires par la population ? Le rapport à la mort, aux ancêtres a-t-il une influence ?

C’est variable suivant les pays, suivant l’ancienneté du site étudié. Si je prends l’exemple du Vanuatu, le pays était extrêmement fier d’avoir permis la découverte de ce groupe Lapita. Pour eux, c’est formidable. Sinon, c’est toujours du cas par cas. C’est discuté avec les propriétaires du terrain, les familles qui vivent sur place. On ne travaille pas sur un site sans leur accord. Parfois on a l’autorisation de fouiller, mais pas d’extraire les squelettes, donc on les laisse en place et on referme une fois le travail terminé, on ne prend qu’un échantillon pour les analyses.

 

Vous avez déjà participé à des fouilles en Polynésie française ?

Oui, je suis venue la première fois en 2002 pour travailler avec l’archéologue Pierre Ottino, aux Marquises. Mais la Polynésie reste marginale dans mes recherches.

 

 

*ARSCAN : Archéologies et Sciences de l’Antiquité

** La civilisation Lapita serait née de la première implantation des populations de langues austronésiennes dans le Pacifique sud-ouest dès le milieu du deuxième millénaire avant J.-C. 

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