N°90 – De la récolte à l’herbier

VH-part-conservees

Musée de Tahiti et des Îles – Te Fare Manaha

 

Rencontre avec Corinne Ollier, agent de l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD) et Théano Jaillet, directrice du Musée de Tahiti et des Îles.

Rédaction et photos : VH.

 

L’herbier de la Polynésie française, reconnu internationalement, est conservé depuis 1994 dans les réserves du Musée de Tahiti et des îles. Il recèle aujourd’hui plus de 19 000 échantillons, représentant environ 1 000 espèces de plantes. Il continue à être alimenté ponctuellement par les botanistes. Mais avant de rejoindre les armoires de l’herbier, les nouveaux échantillons doivent passer par tout un processus que nous vous proposons de découvrir ici.

 

 

Toute collection de plantes séchées, préparées pour être étudiées, s’appelle un « herbier ». Celui de la Polynésie française ressemble à une petite salle d’archives où est entreposée une dizaine d’armoires. Les collections de plantes sont rangées à l’intérieur, par ordre alphabétique, la plupart dans des dossiers cartonnés, et certaines dans des flacons d’alcool. Mais avant de rejoindre ces armoires, les plantes doivent subir un rituel de préparation bien défini et indispensable à leur bonne conservation.

 

Le séchage des plantes

Lorsque le botaniste revient du terrain avec des récoltes, celui-ci doit préparer ses presses. Cela consiste à disposer la plante récoltée dans du papier journal, avant de l’insérer entre deux planches de bois maintenues par des sangles. Ces presses doivent ensuite être rangées dans un séchoir à ampoules. Le botaniste peut demander que le conservateur ou l’agent en charge de l’herbier resserre les sangles des presses dès le lendemain, puis à chaque fois que nécessaire, et retire les plantes du séchoir au bout d’un temps déterminé.

 

L’étiquetage

Pendant ce temps, le botaniste doit préparer les étiquettes de ses récoltes. Sur cette dernière doivent figurer  le nom du collecteur ; son numéro de récolte et la date de récolte ; les informations permettant de localiser la plante (île, commune, lieu-dit) ; autant d’indications écologiques que possible (l’altitude, le substrat, le grand type de végétation…) ; des notes concernant des caractères invisibles sur l’échantillon sec (couleurs, odeur, taille moyenne des individus dans cette population) ; le nom scientifique et le nom de la famille.

 

Traitement et montage

Une fois les plantes séchées, elles passent en traitement phytosanitaire. Elles sont d’abord congelées dans une pochette en plastique fermée hermétiquement, avant d’être désinsectisées. Arrive ensuite le montage ou « l’attachage ». Les spécimens sont alors attachés, c’est-à-dire collés, sur des feuilles cartonnées étiquetées du nom latin, du lieu de récolte, du récolteur, etc. Chaque espèce attachée est ensuite rangée dans une chemise légère sur laquelle sont notés le nom du collecteur et le numéro de l’échantillon.

 

Catalogage et inventaire

Les spécimens attachés sont enfin catalogués et inventoriés, c’est-à-dire que toutes les informations les concernant (famille, genre, espèce, variété, archipel, île, collecteur, numéro de plante, phénologie*) sont saisies dans la base de données de référence appelée « Nadeaud », où chaque nouvelle plante est dotée d’un code barre. Ce n’est qu’alors qu’elles peuvent rejoindre les armoires de l’herbier.

 

Le rangement

On pourrait croire qu’il s’agit de la partie la plus simple, et pourtant, l’insertion de chaque plante dans l’herbier nécessite de la méthode, du temps et de la réflexion. Car les plantes doivent être rangées par ordre alphabétique, en commençant par la famille, puis le genre, l’espèce, le numéro et le lieu géographique (archipel), afin de pouvoir, par la suite, localiser les plantes sans perte de temps.

Pour tout spécimen qui entre dans l’herbier, le processus est le même. Même une plante sortie temporairement de l’herbier pour étude ou pour toute autre raison doit repasser par tout ce protocole à partir de la congélation, afin d’éviter toute contamination de l’herbier. Car si l’herbier n’est pas entretenu de façon rigoureuse, les plantes se dégradent et un précieux patrimoine se décompose…

 

Bientôt un bâtiment dédié

 

L’herbier de la Polynésie française est stocké depuis 1994 dans une petite salle à l’intérieur des réserves du Musée de Tahiti et des Îles. Un emplacement loin d’être idéal puisqu’à chaque fois que les botanistes souhaitent y accéder, ils doivent traverser toutes les réserves du Musée et donc être obligatoirement accompagnés d’un conservateur. Un souci qui pourrait être résolu l’an prochain, voire dans le courant de l’année, car le Musée a obtenu la validation du projet de déplacement de l’herbier de Polynésie française dans un local qui lui sera entièrement dédié. Il s’agit d’un bâtiment déjà existant dans l’enceinte de l’établissement qui sera remodelé pour devenir l’herbier de Polynésie française. Il sera ainsi plus facilement accessible.

 

Pourquoi un herbier ?

 

Un herbier est une collection de plantes, séchées et conservées dans de bonnes conditions (climatisation, désinsectisation, humidité contrôlée, etc.). À partir des prospections effectuées dans les îles polynésiennes, cette collection d’échantillons de plantes conservées dans un herbier permet de réunir les données concernant la distribution géographique et écologique de notre flore. Elle permet également aux botanistes d’identifier et de comparer les diverses récoltes existantes dans plusieurs herbiers afin de faire une description standard, de repérer des espèces nouvelles pour les lieux étudiés, les espèces à protéger, les espèces disparues.

L’herbier de la Polynésie a donné lieu à la publication par l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement, ex-Orstom) d’un ouvrage, « Flore de la Polynésie française », composé aujourd’hui de deux volumes. On y trouve les indications concernant la répartition géographique dans le territoire, les usages passés, actuels ou possibles ; des planches illustrant une partie des espèces, d’un glossaire et d’un index des noms scientifiques et vernaculaires. Ces ouvrages sont destinés aux scientifiques, aux agriculteurs, aux agronomes, aux forestiers et peuvent servir à la gestion et à une politique d’aménagement de l’environnement, à la protection de zones naturelles riches en espèces endémiques, à l’enseignement, au tourisme…

 

 

* La phénologie est l’étude des phases de développements saisonniers des plantes : feuillaison, floraison, fructification…

Vous aimerez aussi...