N°89 – Le FIFO, levier de la création audiovisuelle

2015Dossier

Maison de la Culture – Te FareTauhiti Nui

rencontre avec Marie Kops, organisatrice du FIFO, Jacques Navarro-Rovira, réalisateur et membre du jury du FIFO, Laurent Mini, producteur associé de La Compagnie des taxi-brousse, Anouk Ride, productrice de Sukwadi Media, Raphaël Millet et Jean-Philippe Joaquim, réalisateurs.

Rédaction : ASF.

Projeter au grand public des films dédiés à l’Océanie, c’est bien. Motiver et soutenir le développement de la création audiovisuelle en est un complément. Le Festival International du Film documentaire Océanien a, depuis toujours, à cœur de remplir cette tâche.

Bien sûr, le FIFO c’est la possibilité pour des dizaines de films documentaires de rencontrer un public. C’est aussi l’occasion de promouvoir la vision océanienne, de la découvrir pour certains, de l’apprécier et de la partager. Mais au-delà de ce rôle de diffuseur, Le FIFO, c’est également – et peut-être avant tout – un outil à part entière dans le processus de création grâce à un panel d’ateliers gratuits ouverts au public et aux professionnels. Pour preuve, 3 films présents cette année ont d’abord rencontré le festival à l’état embryonnaire. « Tatau, la culture d’un art » de Jean-Philippe Joachim, « Le Test, chronique d’une initiation » d’Adilah Dolaiano et « Le voyage cinématographique de Gaston Méliès à Tahiti », réalisé par Raphaël Millet, ont en effet comme dénominateur commun leur participation à une des sessions de l’Oceania Pitch proposées dans le cadre du FIFO. Si cette année la formule change, avec la création du « Pitch-dating », la finalité reste la même : permettre à des porteurs de projet de séduire et convaincre des diffuseurs de poursuivre l’aventure avec eux en transformant leur idée en un documentaire.

Un tremplin pour les petits pays

Jusqu’à l’année dernière, les participants bénéficiaient d’une préparation à cet exercice difficile. « Le pitch doit à la fois donner envie et convaincre tant sur la forme que sur le fond. La durée de l’exercice est courte et ne souffre pas d’approximation », nous confie Laurent Mini, coach de l’Oceania Pitch 2013. Lui-même producteur associé de la Compagnie des taxi-brousse, il a été séduit par un projet des îles Salomon sélectionné pour participer à l’Oceania Pitch 2013 et s’est engagé dans le cheminement de ce film comme co-producteur. Deux ans plus tard, le film, intitulé « Le Test, chronique d’une initiation », revient en compétition. La boucle est bouclée en quelque sorte. « Initialement, le projet prévoyait une version très courte, de 13 minutes environ, qui ne correspondait pas aux standards internationaux. Le projet, par contre, méritait bien plus et pouvait avoir une réelle ambition, comme nous l’ont montré les quelques jours de session. Le projet a donc évolué pendant la préparation au pitch et a gagné en ambition. Je dois dire que tout le monde a été bluffé par la prestation d’Adilah, réalisateur de nature discrète qui s’est complètement révélé pendant la présentation. Sans le FIFO, ce documentaire n’aurait jamais vu le jour », témoigne Laurent Mini.  Des propos que confirme Anouk Ride, productrice également du film et porteuse du projet initial avec le réalisateur : « Je travaille pour une petite boîte de production appelée Sukwadi Media, basée aux îles Salomon. En gagnant le concours du pitch en 2013, nous avons eu le soutien de Pacific television networks, France Télévisions, la société de production La Compagnie des taxi-brousse ainsi que CBA Worldview. Autant dire que le succès rencontré à l’Oceania Pitch a été déterminant pour notre projet. Les liens que nous avons tissés au FIFO nous ont permis de réaliser un film de qualité sur les îles Salomon qui, je l’espère, pourra être vu par le plus grand nombre dans le monde. Le FIFO est une opportunité incroyable pour tous les cinéastes, mais plus particulièrement pour ceux originaires de petits pays comme les îles Salomon, car nous avons très peu de relations avec l’industrie du film. »

« L’an 1 » de la production locale

 

A Tahiti aussi, on reconnaît l’impact du festival sur la création audiovisuelle. « Pour moi, le FIFO, qui a démarré en 2004, c’est l’an 1 de la production de films documentaires en Polynésie française », assure Jacques Navarro-Rovira, réalisateur trois fois primé au festival et membre du jury cette année. Il faut se souvenir que lors de la 1èreédition du FIFO, il n’y avait aucun film polynésien en sélection. Une réalité difficilement acceptable pour la profession et une situation incongrue pour un festival international, qui n’avait reçu aucune production locale. « Le FIFO a fait en sorte que les professionnels se réunissent rapidement au sein d’une association intitulée ATPA*; depuis, deux autres associations ont vu le jour. Le but était de s’unir pour sensibiliser les politiques en représentant la quasi-totalité des professionnels en Polynésie française », se souvient Jacques Navarro-Rovira. A l’issue de la 4ème édition du FIFO, le gouvernement polynésien a créé un fonds de soutien à l’audiovisuel qui représente une enveloppe de près de 100 millions de Fcfp chaque année (dispositif APAC**et maintenant SCAN***).

 

Structurer la filière

 

Plus récemment, les différentes associations, en coordination avec le Pays et le ministère de la Culture à Paris, ont œuvré pour permettre aux producteurs locaux d’accéder aux aides du Centre National du Cinéma (CNC), jusque- là réservées uniquement aux métropolitains. « Aujourd’hui, si on parle des budgets, les productions polynésiennes se hissent au niveau des productions internationales de taille moyenne, entre 80 000 et 150 000 euros (moins de 18 millions de Fcfp). Techniquement, on a les moyens de rivaliser avec des productions australiennes et néo-zélandaises. Et puis, les réalisateurs et les techniciens peuvent maintenant vivre de leur métier, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. Le FIFO a été à l’origine de tout cela et a permis de structurer la filière », précise encore Jacques Navarro-Rovira. Par ailleurs, et au-delà des divers ateliers de formation organisés pendant le festival, cet événement a créé des vocations chez les plus jeunes : quelques établissements scolaires ont ouvert des options ou des filières audiovisuelles. « Quelques jeunes commencent à produire. Il ne s’agit pas forcément de documentaire, car c’est plus compliqué pour commencer, mais ils sont présents sur des programmes courts », selon le réalisateur.

 

* ATPA : Association Tahitienne des Professionnels de l’Audiovisuel

** APAC : Aide à la Production Audiovisuelle et Cinématographique

***SCAN : Soutien à la Création Audiovisuelle et Numérique

 

 

 

Raphaël Millet, réalisateur : « C’est là que se joue la destinée d’un projet »

Raphaël Millet, réalisateur du documentaire « Le voyage cinématographique de Gaston Méliès à Tahiti » présenté cette année dans la catégorie hors compétition, a participé en 2012 à l’Oceania Pitch pour ce projet.

Vous avez participé à l’Oceania Pitch de 2012, est-ce que le projet initial a évolué après votre passage au FIFO ?
Le projet était légèrement différent, puisque je suis venu à l’Oceania Pitch avec un projet intitulé  « L’Extraordinaire voyage cinématographique de Gaston Méliès dans les mers du Sud et en Extrême-Orient », couvrant la totalité du voyage de Gaston Méliès effectué entre juillet 1912 et mai 1913. Il ne s’agissait pas encore exactement du projet documentaire consacré uniquement au séjour de Gaston Méliès en Polynésie en août 1912…

Qu’est ce qui vous a fait réduire votre champ d’action à la Polynésie ?
À la fin du pitch, les représentants de France Télévisions (ceux de Polynésie 1ère, mais aussi ceux venus de métropole à l’occasion du FIFO) sont venus me voir pour me demander si j’avais assez de matière pour composer un documentaire uniquement consacré au séjour de Gaston Méliès en Polynésie. J’ai répondu oui immédiatement, car, de fait, c’est sur l’étape polynésienne, et plus particulièrement tahitienne, du voyage de Gaston Méliès qu’il reste les archives les plus importantes. Par ailleurs, des repérages effectués à Tahiti même quelques jours avant l’Oceania Pitch m’avaient permis de retrouver et identifier avec certitude certains des lieux où Méliès, avec l’aide de la famille Salmon, avait filmé. Grâce à Michèle de Chazeaux, j’avais même pu obtenir le contact d’une descendante de Tati Salmon, Ana Holozet, vivant à Papara, que j’avais finalement rencontrée sur place. Il était donc tout à fait possible de faire un film entièrement sur l’étape polynésienne de Gaston Méliès. À vrai dire, c’était même souhaitable, au regard de la richesse du sujet et de la variété des archives dont je disposais.

 

Finalement, cet accompagnement dans le cadre du FIFO vous a permis de ne pas vous éparpiller ?

Avant le Pitch, je me demandais comment faire pour utiliser et valoriser du mieux possible tout ce que j’avais retrouvé dans le cadre de mes recherches. Ma crainte était que dans un documentaire consacré à la totalité du voyage de Méliès autour du Pacifique, je ne puisse finalement consacrer qu’une douzaine de minutes à la Polynésie, pour aussi pouvoir évoquer, de manière proportionnée, son passage en Nouvelle-Zélande, en Australie et sa remontée jusqu’au Japon. La proposition de France Télévisions est donc venue à point nommé, permettant de pleinement redécouvrir ce petit épisode presque totalement inconnu des premiers temps de l’histoire cinématographique de la Polynésie, et de donner à voir aux Polynésiens parmi les plus anciennes images animées de Tahiti ! En cela, l’Oceania Pitch organisé par le FIFO a été déterminant, en donnant un tour nouveau au projet.

 

C’est ce que vous escomptiez en venant au FIFO ?
Je souhaitais, tout simplement, trouver une ou des chaîne(s) de télévision pour préacheter le projet et ainsi en rendre possible le financement. L’Oceania Pitch a donc très bien fonctionné pour moi, prouvant à quel point le système du pitch organisé au festival est essentiel à l’économie cinématographique et audiovisuelle, car c’est souvent là que se joue la destinée d’un projet. Je n’ai pas pour autant abandonné mon projet initial, celui intitulé  « L’Extraordinaire voyage cinématographique de Gaston Méliès dans les mers du Sud et en Extrême-Orient ». Au contraire, j’ai pu le poursuivre à mon rythme, en toute sérénité, sans plus avoir à m’inquiéter de devoir à regret laisser de côté de belles archives. Et de fait, je suis actuellement en train de terminer ce deuxième film documentaire. J’ai pu trouver pour ce projet un autre diffuseur, la chaîne Ciné+, qui a bien voulu le préacheter. Il ne me reste plus qu’à en faire le montage, ce que je ferai après le FIFO 2015. La boucle sera ainsi complètement bouclée, et j’aurai pu faire deux films au lieu d’un, ce qui est une grande chance pour un réalisateur. »

 

Jean-Philippe Joachim : « J’attends beaucoup du FIFO en terme de distribution du film à l’international »

 

Jean-Philippe Joachim a réalisé le film en compétition “Tatau, la culture d’un art ». Il avait auparavant participé à l’Oceania Pitch de 2012.

 

Dans quel état d’esprit étiez-vous en participant à l’Oceania Pitch proposé au sein du FIFO ?

J’étais un réel néophyte en ce qui concerne le “Pitching” à l’époque, donc j’y allais en découverte totale, j’attendais surtout de voir dans quelle mesure on pouvait vraiment trouver des débouchés pour un film dans ce cadre. “Pitcher”, c’est avant tout jouer un véritable rôle devant une assemblée, et j’ai alors pu constater que les Anglo-saxons étaient bien mieux préparés que nous, plus habitués à ce genre de défi. C’était donc un exercice très formateur.

 

Dans quelle mesure le FIFO a permis à votre projet de se concrétiser ?

En réalité, le Pitch auquel j’ai participé en 2012 m’a surtout montré à quel point mon projet n’était pas assez mûr. J’ai donc dû abandonner cette idée à l’époque. Le retour d’un projet de documentaire sur le tatouage en 2014 n’a plus aucun lien avec le précédent.

 

Le festival a-t-il permis de faire des rencontres déterminantes pour mener à bien votre film ?

Ce n’est pas dans ce sens que le FIFO 2012 m’a aidé, mais cet exercice du pitch a indirectement permis au documentaire « Tatau, la culture d’un art », de voir le jour tel qu’il est. J’attends en revanche beaucoup du FIFO à venir en termes de rencontres et de distribution du film à l’international par exemple, d’exploitations sur des chaînes étrangères aussi.

 

« Pitch-dating », où l’art de séduire en 8 minutes

Pour des raisons budgétaires, l’Oceania Pitch tel qu’il existe depuis plusieurs années n’a pu être reconduit en 2015. Rendez vous indissociable du FIFO, l’ATPA* a choisi tout de même de proposer aux professionnels une formule allégée : le « pitch-dating ». Le concept est simple, les porteurs de projet ont 8 minutes pour séduire, convaincre, défendre leur projet lors d’un tête-à-tête avec des professionnels de l’audiovisuel chargés de programme de plusieurs chaines internationales, producteurs ayant leur centre d’intérêt dans la région Pacifique et des distributeurs. Les participants ont le choix parmi 14 professionnels et ce dispositif est renforcé pour la première fois avec un petit marché au sein même du festival.

La participation au Pitch-dating est gratuite sur inscription sur www.oceaniapitch.org

 

« Inside the doc », dans les coulisses des documentaiers

« Un documentaire, c’est six mois de boulot à plein temps. Il y a des films qui prennent plusieurs années pour se concrétiser, entre l’idée et sa projection », nous expliquait le réalisateur Jacques Navarro-Rovira. Comment nait une idée de film ? Quel est son cheminement ?  Comment trouver des partenaires ? Comment le financer ? Avec « Inside the doc », le public aura l’occasion de découvrir les coulisses d’un film et d’obtenir toutes ces réponses directement du réalisateur et du producteur qui viennent partager leur passion dans le cadre de rencontres.

 

« Inside the doc » : Programme

 

Mardi 3 février 

« Le Test, Chronique d’une initiation » de 11h à 11h45

« Big Boss » de 11h45 à 12h30

« Te Honoki Aotearoa » de 16h à 16h45

« Bobby, le renouveau culturel polynésien » de 16h45 à 17h30

Mercredi 4 février 

« Destremeau, un destin polynésien » de 11h à 11h45

« Rapa Nui, l’histoire secrète de l’île de Pâques » de 11h45 à 12h30

« Kumu Hina » de 17h à 17h45

Jeudi 5 février

« Light from the shadows» de 11h à 11h45

« Le voyage cinématographique de Gaston Méliès à Tahiti » de 11h45 à 12h30

« Black Panther Woman» de 16h à 16h45

Spécial Jan Kounen de 16h45 à 17h30

Vendredi 6 février

« Au coeur de la brousse en folie » de 11h à 11h45

« Meri Markham » de 11h45 à 12h30

Samedi 7 février 

« Tatau, la culture d’un art » de 10h15 à 11h

« Henua Enana » de 14h30 à 15h15

« Out in the line up » de 16h30 à 17h15

 

Carte blanche au festival Doc Edge

Toujours dans cette idée de partage, de découverte et d’échange, le FIFO propose au public une ouverture supplémentaire sur le monde du documentaire via le Doc Edge, un festival néo-zélandais, partenaire du FIFO. Lancé en 2005, le Doc Edge est un festival de films documentaires qui a lieu à Auckland et Wellington durant une dizaine de jours. Chaque année, le festival présente une cinquantaine de films du monde entier. Un grand nombre de documentaires sont primés et reconnus par la critique internationale. Le Doc Edge propose des films variés et de grande qualité, une sélection exigeante, une belle fenêtre sur le monde, qui laissent une trace et ouvrent au dialogue. Chaque année, plus de 10 000 personnes assistent au festival. Dans le cadre de cet après-midi carte blanche, le public pourra découvrir quatre documentaires où il est question de souffrance, d’humilité, de choix de vie, mais aussi de tolérance.

Samedi 31 janvier

Au Grand théâtre de la Maison de la Culture

De 13h à 18h30

Entrée libre

FB FIFO TAHITI

Vous aimerez aussi...