N° 83 – De la symbolique du myconia aux vagues de l’Océan

Maison de la Culture – Te Fare Tauhiti Nui

 

Rencontre avec Freddy Fagu, costumier de Tahiti Ora, et Arsène Hatitio, chef du groupe Pupu Tuhaa Pae.

Rédaction : VH

 

Ils subjuguent par leur créativité, leur finesse et leur puissance d’évocation : les costumes de danse des danseurs du Heiva sont plus qu’un attribut, ils soutiennent la beauté d’un spectacle, dans le respect du thème choisi par le groupe. Chaque année apporte son lot de costumes exceptionnels, tantôt réalisés dans la tradition, tantôt dans l’air du temps, mais toujours rivalisant d’esthétisme. Cette année, le prix du plus beau costume végétal a été attribué à Tahiti Ora, pour sa tenue tout en myconia. Le prix du plus beau costume traditionnel revient quant à lui à Pupu Tuhaa Pae, qui a souhaité rendre hommage aux différents tressages des Australes.

 

 

Myconia, symbole du mal

 

Tahiti Ora a fait sensation sur les planches de To’ata avec son costume tout en myconia, une plante invasive qui n’est habituellement pas vue d’un très bon œil ! Son créateur, Freddy Fagu, explique que la feuille de myconia lui est apparu comme la matière la plus adéquate pour servir le thème du groupe, basé sur la malédiction. « Le spectacle de Tahiti Ora parle de prophétie, de malédiction et de combat entre deux clans. Dans l’un des clans, une femme accouche de jumeaux, dont l’un naît avec une tâche de vin sur le visage. Autrefois, cette simple malformation était perçue comme une malédiction, condamnant à mort les nouveaux-nés qui en avait une. J’ai choisi le myconia parce que le verso de la feuille est mauve, comme une tâche de vin. De plus, le bébé est à l’image du myconia que l’on cherche à éradiquer. »

La symbolique du costume va encore plus loin. Il représente également la bataille entre les deux clans, celui de la nature, représenté par le côté vert de la feuille, et celui de la terre, illustré par le côté sombre. « L’issue du spectacle étant heureuse, j’ai eu l’idée d’imaginer des coiffes lumineuses qui tranchent avec l’aspect sombre du reste du costume, comme un rayon de soleil, explique Freddy. D’où le choix d’oiseaux de paradis à la couleur quasi fluorescente et agencés un arceau. Au milieu, les tiare tahiti représentent le noyau du soleil ainsi que le bonheur, évoqué par leur couleur blanche. »

La réalisation de ce costume, confié à chaque danseur, a été l’occasion de resserrer les liens du groupe. « Les danseurs avaient pour mission de récupérer 300 feuilles dans les vallées et de les garder dans l’eau. Une semaine avant de passer sur To’ata, tout le monde a commencé à faire sa randonnée entre Papenoo et Papeari, ça a été une bonne expérience pour tous. Ensuite, selon l’habilité de chacun, ils ont mis un à deux jours pour réaliser leur costume selon un modèle que je leur avais présenté. »

 

 

L’océan représenté dans un grand costume

 

Le grand costume du groupe Pupu Tuhaa Pae illustre l’histoire de Tarei de Tururaroitera’i à To’ata, un ‘aito de Rurutu venu défier un guerrier de Tahiti. « Ce grand costume, je l’ai rêvé, confie Arsène Hatitio, le chef de groupe. J’ai vu notre ‘aito traversant la mer, le costume prend donc des allures de vague, de récif ou de filets de pêche… Au niveau des matières, nous avons utilisé de la corde de purau pour les more, enroulée sur ce que nous appelons le roro, une matière qui protège les jeunes coco. Il y a aussi des pipi shell et de la nacre gravée, en forme de poisson pour les garçons et en forme d’étoile de mer pour les filles. On a également utilisé du roseau des montagnes, qui vient de Rapa. » Une dizaine d’artisanes des Australes ont travaillé pendant 6 mois à la réalisation de ce costume pour tous les membres du groupe. Le chapeau, une pièce magnifique, représente le plus gros du travail. Il comprend de nombreuses sortes de tresses spécifiques aux îles des Australes. Un travail minutieux et précis, assemblé brin par brin, pièce par pièce. « Rien pour les chapeaux, nous avons du dépenser à peu près 2 millions de Fcfp, confie le chef de groupe. Mais ce n’est pas ça qui compte. Ce qui importe, c’est que par ce costume, nous avons souhaité soutenir et rendre hommage au travail des Tuhaa Pae, parce qu’une grande partie de notre population vit du tressage qui est ainsi préservé et transmis aux jeunes générations. »

 

 

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