N°81 – Un amour d’histoire…

Hiro’a a demandé à quelques écrivains présents lors du salon « Lire en Polynésie », dédié pour sa 14ème édition aux histoires d’amour, de nous révéler le dernier récit d’amour les ayant touché… Une correspondance, un pays, une rencontre, des sentiments de plénitude ou contrariés : dans les livres comme dans la vie, il y a autant d’histoires d’amour que d’amoureux.

Janet Skeslien Charles (Etats-Unis – France)
« J’ai adoré lire les lettres entre Juliet Ashton et Dawsey Adams »
« Mon histoire d’amour préférée ces derniers temps est un roman qui se passe sur une île : ‘’The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society’’, de Mary Ann Shaffer et sa nièce Annie Barrows. D’abord, en lisant ce roman, je ressens la passion absolue que les auteurs ont pour leur histoire et leurs personnages. J’ai adoré lire les lettres entre Juliet Ashton, une écrivaine anglaise, et son Roméo, Dawsey Adams, un modeste fermier qui, comme les autres habitants de Guernesey, doit contourner les Nazis qui occupaient l’île. C’est un chapitre peu connu de la Seconde Guerre Mondiale, je ne savais pas que ces îliens avaient été coupés du monde (pas de poste, pas de radio ou de nouvelles) pendant plusieurs années, et cela voulait dire qu’ils ont été séparés de leurs enfants, envoyés en Angleterre pour être plus en sécurité. Des personnages nuancés, un brin de suspense, l’espoir violent, cette histoire d’amour est aussi une vraie ode d’amour à la littérature ».

Jill Dawson (Anglettere)
« L’histoire d’amour entre Rupert Brooke et Taatamata »
« Dans mon roman ‘’The great lover’’, j’ai écrit sur l’histoire d’amour entre le poète britannique Rupert Brooke et une tahitienne, Taatamata. Lors de son aventure dans les mers du sud en 1913, Brooke écrit qu’il est tombé amoureux. Il décrit Taatamata comme : ‘’une fille avec des yeux merveilleux, la démarche d’une déesse et le coeur d’un ange, qui est, heureusement, voué à moi’’, ajoutant, taquin : « je crois que je vais écrire un livre sur elle ». Après que Brooke ait quitté Tahiti au printemps 1914, Taatamata lui écrit une lettre dans laquelle elle dit : « Je grossis tout le temps mon amour ». Était-elle enceinte ? La lettre a été remise à un voyageur qui devait la poster mais elle a coulé avec le bateau « The Empress of Ireland » dans le fleuve Saint-Laurent. Etonnamment, elle a été retrouvée intacte dans une malle scellée et Brooke l’a reçu un an après, à Blandford. Sa réponse est curieuse : ‘’Je ne décèle rien qui laisse penser à un bébé’’, écrit-il, révélant que ce devait être dans son esprit. Je suis venue à Tahiti en 2006 afin de vérifier l’hypothèse que Brooke ait laissé une fille à Tahiti. Et si je n’ai rien trouvé de concret, j’ai tout de même écrit l’histoire, et je suis tombée amoureuse de Tahiti en passant ! Je suis ravie de revenir… »

Lionel Duroy (France)
« Combien les mots peuvent parfois compter dans la lente édification d’une aventure amoureuse »
« Un homme et une femme, l’un et l’autre écrivains, décident d’engager une correspondance amoureuse. Ils ne se sont jamais rencontrés, ne se connaissent que par leurs livres. D’ailleurs, cette correspondance sera leur prochain livre – un roman dont ils ne savent rien encore. Ainsi s’engage ‘’L’Absence d’oiseaux d’eau,’’ magnifique roman finalement signé de la seule Emmanuelle Pagano, puisque l’homme a sauté du navire avant la fin, emportant avec lui ses lettres. Comme saisie d’une sombre prémonition, Pagano note dès la page 17 : ‘’J’écris quelque chose et ça arrive, ça devient. J’écris notre histoire, elle grandit. Mais elle ne deviendra pas comme je l’écris, comme je la veux, parce que tu l’écris aussi’’. Elle ‘’devient’’ cependant, oui, puisque l’homme et la femme vont se rencontrer à l’issue d’une longue correspondance, entretenir une liaison… puis se séparer. Se sont-ils véritablement aimés ou n’ont-ils fait chacun que poursuivre un rêve que l’autre n’a pas su, ou pas voulu partager ? Née dans les mots, toute entière cousue de mots, ce qui nous donne à voir combien les mots peuvent parfois compter dans la lente édification d’une aventure amoureuse, l’histoire nous renvoie finalement à la part fantasmée, à l’illusion, sans laquelle sans doute aucun amour ne nous enflammerait. C’est parce que nous travaillons sans cesse à magnifier l’autre, à le charger de tous nos rêves, qu’il demeure si lumineux et précieux dans notre regard. Mais que l’un des deux s’éloigne, s’éteigne, et bientôt on se demande comment cela a même pu exister. ‘’Tu n’es pas là, tu n’as jamais été là, conclut tristement Emmanuelle Pagano, et si je me promène, même avec mon petit garçon, le paysage n’existe pas, il est faux. Un lac, deux lacs même, une étendue d’eau sans bruits d’oiseaux, sans canards, sans clac-clac-clac, sans frottements d’ailes, sans ébrouements de plumes, ça n’existe pas. C’est juste une carte postale, juste un décor de livre’’. Toutes les histoires d’amour ne sont-elles pas juste des cartes postales ? »

JP Nishi (Japon)
« Des sentiments complexes et contrariés »
« Je citerais ‘’La preuve’’ d’Agota Kristov et ‘’La plus jolie fille de la ville’’ de Bukowski, parce que les personnages mis en scène sont absolument inoubliables et que dans les deux cas leur cheminement est tragique. Il s’agit d’amours jugés impossibles du point de vue même d’un des personnages qui ne croit pas possible de pouvoir être aimé, qui ne se juge pas digne de bénéficier de l’amour d’un autre (un beau-père dans un cas, la plus jolie fille de la ville dans l’autre). Ces histoires d’amour sont tout sauf romantiques et c’est cela qui est le plus émouvant, même si c’est une émotion triste. Ces romans qui décrivent des sentiments complexes et contrariés sont impossibles à effacer de sa mémoire même des années plus tard. »

Karyn Nishimura-Poupée (France –Japon)
« Les plus belles et les plus cruelles des aventures »
« Les histoires d’amour qui m’ont le plus touchées dans des romans sont assurément celles de l’œuvre de Michel Houellebecq. Je pense notamment à celles qui figurent dans ‘’La carte et le territoire’’, entre le héros Jed Martin et la Russe Olga, ou dans ‘’La possibilité d’une île’’, entre Daniel et Isabelle et entre Daniel et Ester. La façon dont Houellebecq décrit les relations amoureuses est touchante parce qu’il ne s’embarrasse pas de romantisme guimauve. Les histoires d’amour sont à la fois les plus belles et les plus cruelles des aventures, tel est son propos : il y a de la passion et des déchirures, de l’émotion et des blessures, les relations dépeintes y sont très charnelles plus que spirituelles, c’est même cette emprise sexuelle qui les guide, peut-être parce qu’elles sont présentées du point de vue d’un homme. C’est aussi pour cela qu’elles sont étonnantes pour une lectrice qui y lit aussi la conception masculine de l’amour. »

14ème Salon du Livre : Pratique
Du jeudi 5 au dimanche 8 juin, de 8h00 à 19h30 (nocturne le vendredi jusqu’à 21h30)
Expo-vente, rencontres, débats, dédicaces, jeux, animations, projections, contes, slam, ateliers pour enfants et adultes, des surprises et des cadeaux !
Entrée libre
Jardins et espaces de la Maison de la Culture
Renseignements au 544 544 – 50 95 50 – www.lireenpolynesie.pf

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