N° 79 – La fibre de l’art

Service de l’Artisanat Traditionnel – Pu Ohipa Rima’i

Rencontre avec les artisanes

Offertes par la nature et métamorphosées avec habileté, les fibres végétales sont à la base de l’artisanat polynésien : ce sont avec elles que sont réalisés chapeaux, colliers, bracelets, more, coiffes et bien d’autres objets, des plus basiques aux plus aboutis. Mais avant de pouvoir être exploitées avec tant de finesse, ces matières premières nécessitent une longue et minutieuse préparation. Car leur richesse et leurs mille et une possibilités ne s’offrent qu’à ceux qui savent les travailler ! Et quand l’inspiration se mêle au savoir-faire, cela donne des créations étonnantes.

 

Hiro’a vous emmène à la découverte de ces fibres familières et méconnues, parmi les plus utilisées en Polynésie.

 

• Le ni’au blanc

Cette matière est issue du palmier, et plus précisément de jeunes palmes. Après un tri minutieux des folioles*, dont on ne garde que les plus exploitables, il s’agit d’enlever la nervure centrale et la souche de chacune d’entre elles. Vient ensuite la cuisson. Les ni’au, enroulés et attachés, sont disposés dans une marmite d’eau citronnée, et cuits pendant 2 heures dans une eau en ébullition constante. C’est lors de cette étape que les folioles obtiennent leur couleur blanche, grâce à l’action du citron associée à celle de la cuisson. Il reste ensuite le séchage, qui prend une bonne journée. Le ni’au blanc est utilisé dans la fabrication des chapeaux, des bijoux en général, des colliers ainsi que des costumes de danse.

 

• Le pae‘ore

La variété de pandanus utilisée pour la fabrication du pae‘ore est le pandanus tectorius laevis, aux feuilles lisses, sans épines. Il faut sélectionner celles mesurant près de 2 mètres, les couper correctement, ôter leur nervure centrale, et les sécher une première fois à l’ombre pendant 3 semaines. Une fois les feuilles défraîchies, on les enroule sur elles-mêmes, afin qu’elles ne se tordent pas en séchant. Puis on les met à sécher au soleil pendant 3 à 4 jours. Une fois les feuilles bien sèches, on les enroule de manière à obtenir un rouleau épais (de 40 cm de diamètre), que l’on appelle pitata pae ‘ore.

Il existe une autre technique qui consiste à cuire les feuilles une nuit entière dans une marmite d’eau citronnée. On les laisse ensuite sécher une demi-journée avant d’en faire le pitata.

Le pae ‘ore est probablement la fibre la plus répandue, à la base de nombreux objets : couronnes, ceintures, paniers, chapeaux, pe’ue, coiffes… Son usage n’a de limite que l’imagination !

 

• Le mautini

Un peu moins connues, les tiges de potirons sont également utilisées dans l’artisanat traditionnel. Après avoir soigneusement enlevé toutes les feuilles des tiges, on les met à tremper pendant 7 jours. Ce procédé va permettre à la tige de se débarrasser de sa sève et de se fragmenter en brins. Cette étape terminée, il faut retirer les derniers résidus et rincer les brins avec une eau claire et citronnée qui apportera brillance à la matière première. Vient ensuite le séchage, qui ne dure qu’une demi-heure s’il fait grand soleil, et les brins sont prêts à être utilisés, pour la confection par exemple de fleurs qui orneront une couronne.

Dans ce cas précis, le chemin est encore long, car il faut enrouler chaque brin, un par un, sur un pique à brochette, pour les torsader. Dix torsades attachées ensemble forment une fleur, et pour une couronne entière, il en faut plus de 1 000, ce qui prend facilement trois jours de travail plein !

 

• Le tapa

La préparation du tapa, cette étoffe végétale, peut se faire à partir de l’arbre à pain, du banian et du mûrier. On dit qu’il faut couper leur tronc deux semaines après chaque nouvelle lune, car c’est là que les fibres deviennent solides. Il existe une période précise pour couper l’arbre à pain, lors de la nouvelle lune, car l’écorce est tendre. Pour commencer un tapa, il faut racler l’écorce du tronc, l’inciser et l’enlever complètement. Le battage peut ensuite commencer. Le battoir est généralement fabriqué en bois de ‘aito, pour sa solidité. Le battage peut durer entre 4 à 6 heures – plus on le bat, et plus le tapa est fin. Le séchage du tapa peut durer une journée entière, tout dépend de la technique utilisée et de la couleur souhaitée : plus elle est exposée au soleil, plus l’écorce blanchit. En plein soleil, 3 à 5 heures suffisent ; à l’ombre, il faut disposer le tapa au moins 24 heures dans un lieu ventilé. Les artisans réalisent alors de superbes tableaux, le plus souvent sur lesquels des motifs traditionnels sont représentés. La précieuse étoffe agrémente également chapeaux, sacs, couronnes, etc.

 

• Le purau

Le purau, ou hibiscus tiliaceus, est principalement utilisé pour la fabrication du traditionnel more de danse. Les arbres âgés et / ou trop chargés en branches sont à proscrire. Il faut utiliser des jeunes troncs bien droits et bien lisses afin d’éviter d’avoir une écorce trouée ; un véritable gaspillage de temps et de matière…

Dans la pratique, il faut détacher l’écorce du tronc et se débarrasser de la couche supérieure de l’écorce pour ne garder que la liane, tout en sachant qu’un more nécessite des lianes d’au moins 2 mètres de long. L’étape suivante est de laisser tremper ces lianes pendant 2 semaines, afin que la substance visqueuse se retire complètement et qu’il ne reste qu’une petite corde. Ces cordelettes devront être bien nettoyées à l’eau citronnée afin de les rendre brillantes. Ne restera plus qu’à les sécher.

Avec ces cordelettes, on peut également fabriquer des couronnes ou des fleurs. Pour la confection du célèbre more, il faut commencer par tresser la ceinture, sur laquelle on ajoutera au fur et à mesure les autres cordelettes qui feront la jupe de la danseuse ou du danseur. Selon la vitesse d’exécution et la dextérité du confectionneur, un more peut être réalisé en une demi-journée.

 

• Le ure fara

La racine du pandanus, également appelée ure fara (sexe du pandanus), n’est pas une racine venant du sol, mais une racine aérienne. Selon ce que l’on désire créer avec sa fibre, il faut des racines plus ou moins longues. Pour la préparer, on commence par enlever l’écorce pour ne garder que l’intérieur. La racine est ensuite battue à l’aide d’une grosse pierre avant d’être mise à tremper pendant deux semaines pour la débarrasser de sa sève. Une fois les racines trempées, l’eau devient trouble et il faut veiller à la changer avant de laisser de nouveau les racines tremper encore une semaine. Vient ensuite le rinçage avec de l’eau citronnée afin de parfumer les fibres blanches obtenues et les rendre plus brillantes. Il suffit enfin de les sécher au soleil en veillant à bien les étaler.

Avec ces fibres, les artisans réalisent tous types d’accessoires.

 

• Le ‘ofe

Le ‘ofe, ou bambou, doit être coupé à une période précise, entre avril et juin – la période où les jeunes cannes poussent –, et ne seront retenues que les jeunes cannes qui comptent cinq nœuds (pona), depuis le sol. Il faut justement couper les pona et récupérer le milieu dont on enlèvera l’écorce. Une attention toute particulière est nécessaire à cette étape, car la fine écorce du bambou est coupante. Une fois cette étape terminée, il s’agit de fendre les cannes dans le sens de la longueur et de les mettre à sécher au soleil pendant 2 à 6 heures. Lorsque la canne est séchée, il faut l’inciser à l’une de ses extrémités pour en détacher de fines feuilles. Avec une seule canne d’un entre-nœud, il est possible d’obtenir 4 à 5 feuilles. Comme pour les autres matières, on termine l’opération en trempant les cannes dans de l’eau citronnée, pendant seulement 15 minutes. Après avoir raclé les substances visqueuses, on les remet à tremper 30 minutes avant de les sécher au soleil pendant 2 heures. A l’issue du séchage, les feuilles de canne sont prêtes et nécessitent juste d’être divisées en plusieurs brins, à assouplir à la main, avec une paire de ciseaux ou un couteau, pour pouvoir ensuite être tressées.

On en fait ensuite des chapeaux, des bracelets, et bien d’autres objets artisanaux d’une grande délicatesse.

 

Les teintures naturelles

Toutes les matières premières listées ici sont blanches à l’issue de leur traitement. Pour leur donner de la couleur, aux more des danseurs par exemple, on peut préparer plusieurs teintures à base de fleurs. Rouge, violet, jaune, noir, gris, vert, orange, marron, etc., tout est possible ou presque. Par exemple, pour obtenir du rouge, il suffit de plonger des fleurs d’hibiscus pompon rouges 2 minutes dans une casserole où l’eau a été portée à ébullition, tamiser le tout et y ajouter du citron. La fibre devient alors d’un rouge éclatant.

Pour la couleur jaune, on utilise du gingembre rouge, ou re’a tahiti, à râper et à diluer dans un peu d’eau. Après le filtrage de la mixture, on obtient la teinture désirée.

Il ne reste plus qu’à tremper les fibres dans la teinture naturelle et à les laisser sécher au soleil. Quand elles sont faites dans les règles de l’art, les teintures naturelles tiennent très longtemps.

 

* Les folioles sont les feuilles qui composent la palme.

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