N° 76 – L’atoll de Temoe : un musée à ciel ouvert

Depuis 2001, un programme de recherches archéologiques et anthropologiques est conduit sur l’atoll de Temoe, dans l’archipel des Gambier. La sixième mission a eu lieu en octobre dernier ; Guillaume Molle, archéologue et enseignant chercheur à l’Université de Polynésie, revient pour nous sur l’étude de ce site exceptionnel.

 

« Ce programme est en cours depuis maintenant 12 ans, indique l’archéologue, qui revient de l’atoll de Temoe où, avec le reste de l’équipe, il a passé près de trois semaines en quasi autarcie. Celui-ci a été initié par Eric Conte, président de l’Université de Polynésie et du CIRAP*. Le choix du site ne relève pas du hasard : Temoe est un atoll inhabité depuis plus de 150 ans, il aurait en effet été déserté en 1838, suite à l’arrivée des missionnaires aux Gambier. « Les missionnaires ont rapatrié les derniers habitants  de Temoe sur Mangareva pour éviter de conserver un groupement païen dans l’archipel ». Dès lors, l’atoll a très peu subi de perturbations extérieures, d’autant que, dépourvu de passe, son accès reste difficile. « Il est très rare en Polynésie française, pour ne pas dire unique, de pouvoir étudier des ensembles monumentaux aussi bien conservés dans un environnement semblable à celui existant durant leur période d’utilisation ». Des conditions de conservation telles que l’inventaire global a aujourd’hui, après six missions, permis d’enregistrer plus de 500 structures archéologiques : une quarantaine de marae, plusieurs grands pavages, 400 monticules coralliens dont une cinquantaine se sont révélés être des sépultures. Celles-ci ont été fouillées par l’anthropologue physique de la mission, Pascal Murail, ancien professeur à l’Université de Bordeaux-I. « On se pose la question de savoir si cet atoll servait de site funéraire pour les anciens habitants des Gambier, explique Guillaume Molle. Toutes les études effectuées, notamment des datations, devraient nous permettre de replacer dans le temps l’élaboration de ces monuments, dont le nombre et l’ampleur sont impressionnants, pour reconstituer l’histoire de l’occupation de Temoe et les rites funéraires qui pouvaient y être pratiqués. »

 

Des structures uniques en Polynésie française

 

A chaque mission sur l’atoll son lot de surprises. En 2010, les archéologues avaient fait plusieurs découvertes importantes : un nouvel ensemble comprenant 35 structures sur le motu Omeni’i et, plus étonnant, un monument funéraire collectif sur le motu Kurara, qu’ils ont pu fouiller en octobre cette année. « C’est très particulier, car nous n’avons jamais trouvé ce type de monument ailleurs en Polynésie française, admet Guillaume Molle. Les fouilles de certains petits marae ont également révélé la présence d’ossements humains, accompagnés parfois de restes d’os de poissons. Philippe Béarez, archéo-ichtyologue, les étudie actuellement (ndlr : voir notre interview ci-après). L’association humain/animal est assez peu courante dans ce contexte. Plus surprenant encore, la découverte d’une structure de marae édifiée autour d’un énorme bloc de corail naturel et à l’intérieur de laquelle nous avons trouvé des morceaux d’ossements humains appartenant à des très jeunes individus, dont deux fœtus, également accompagnés de fragments animaux : un tout petit oursin ainsi que des fragments de cranes toujours en cours d’identification. D’un point de vue symbolique, l’association de restes d’individus en bas-âge avec des animaux eux-aussi très jeunes est intéressante et significative ».

Précisons que les propriétaires de l’atoll sont présents pour accompagner chacune des missions et veillent, comme les archéologues, à préserver l’intégrité du patrimoine ancien de l’atoll en reconstruisant les monuments coralliens à l’identique.

 

L’équipe du CIRAP travaille actuellement sur le rapport complet de ces études, qui sera remis au service de la Culture et du Patrimoine dans les mois à venir, en attendant des publications scientifiques ultérieures.

 

* CIRAP : Centre International de Recherche Archéologique sur la Polynésie. Il s’agit d’une structure fédérative de recherche, regroupant l’Université de Polynésie Française, l’Université Paris I, l’Université de Californie-Berkeley et l’Université d’Auckland.

 

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Philippe Béarez est chercheur au CNRS à Paris, au Museum National d’Histoire Naturelle. Sa spécialité ? L’archéo-ichtyologie. Une spécialité rare – ils sont quatre en France – mais qui permet de mettre en évidence certaines pratiques traditionnelles liées à la pêche. En novembre dernier, Philippe Béarez a effectué une mission au Service de la Culture et du Patrimoine pour étudier la récente découverte d’ossements de poissons retrouvés sur l’île de Taravai et dans certaines sépultures de l’atoll de Temoe.

 

Quel est l’objectif de cette mission d’étude ?

Eric Conte, président de l’Université et archéologue au CIRAP*, m’a sollicité pour analyser les ossements de poissons trouvés lors de récentes fouilles à Taravai et Temoe, aux Gambier, soit environ 3 000 fragments. L’objectif est d’obtenir des informations précises sur l’exploitation des ressources marines dans le passé sur ces îles.

 

Comment parvenez-vous à identifier ces ossements ?

Il existe au Service de la Culture et du Patrimoine une collection de référence comprenant plus de 200 squelettes de poissons représentatifs de la biodiversité marine polynésienne. Nous procédons par anatomie comparative pour retrouver à quelles espèces les fragments appartiennent.

 

Que nous apprennent ces « restes » ?

Leur étude permet de découvrir les ressources utilisées par les gens, leur alimentation et les moyens techniques mis en œuvre pour aller pêcher. Se servaient-ils d’hameçons, d’embarcations, de filets, de harpons, de nasses ou de pièges pour pêcher ? Quelles espèces étaient ciblées ? Où les trouvaient-ils : sur le platier, dans le lagon, en mer ? Cela permet d’émettre certaines hypothèses que les scientifiques peuvent ensuite interpréter à la lumière d’autres sources. Il est également intéressant de découvrir quelles semblaient être les préférences alimentaires des gens à l’époque : à Taravai, le perroquet et le mérou sont trouvés en très grande quantité, tandis que les poissons les plus consommés aujourd’hui – mai-mai, carangues, thons, bonites – sont totalement absents. Il faut cependant manier ces informations avec précaution : certaines espèces se conservent mieux que d’autres dans les gisements et il y a pu avoir beaucoup de dégradation des os les plus fragiles.

 

Au niveau anatomique, constate-t-on une évolution des espèces entre hier et aujourd’hui ?

Non, pas vraiment. En revanche, il y a certains spécimens que l’on a du mal à identifier car ils semblent être rarement pêchés aujourd’hui. Les goûts ont évolué tout comme les moyens techniques, à moins que ce ne soit la disponibilité de la ressource qui, au final, détermine les préférences.

 

 

 

 

 

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