Joyce D. Hammond, anthropologue

 

« Le tifaifai est un héritage vivant »

 

Joyce D. Hammond est une anthropologue américaine venue en Polynésie dans les années 1977-1978 dans le cadre de son doctorat sur les tifaifai et broderies polynésiennes. Elle a publié le premier livre sur le sujet, « Tifaifai and Quilts of Polynesia ». Trente ans plus tard, elle revient afin de poursuivre ses recherches sur cet art qui a su évoluer sans perdre son âme.

 

Pouvez-vous nous présenter l’objet de votre venue en Polynésie ?

J’enseigne l’anthropologie visuelle et du tourisme à Western Washington University,. Je suis en Polynésie depuis janvier 2013 et jusqu’en juillet de cette année pour essayer de comprendre les évolutions du tifaifai des années 1980 à aujourd’hui.

 

Pourquoi avoir souhaité entreprendre ce travail ?

Lorsque je suis revenue à Tahiti en 2010, après plus de 30 ans d’absence, j’ai découvert tous les changements liés à l’art et l’artisanat, à leur conception et à leur appréhension… Cela m’a naturellement donné envie de faire de nouvelles recherches. J’ai demandé à mon université l’autorisation de venir travailler pendant plusieurs mois afin de proposer de nouvelles publications sur le sujet et pourquoi pas, si l’on trouve des financements, un nouveau livre.

 

A l’origine, qu’est-ce qui vous a donné envie d’étudier le sujet des tifaifai polynésiens ?

E n 1972, j’ai reçu une bourse d’étude pour étudier à l’Université d’Auckland pendant un an. Les cours de « maori studies » et d’art maori m’ont beaucoup intéressée et donné envie d’approfondir la question. J’ai tenté de trouver un sujet de doctorat qui se rattache à la Polynésie mais aussi à l’artisanat féminin. C’est précisément un article du père O’Reilly sur les tifaifai* qui a éveillé ma curiosité. Je n’avais jamais entendu parler de cette pratique ! Je viens d’un pays où la broderie et le patchwork sont très appréciés, je pense que cela m’a influencée. Les moyens de communication dans les années 1970 n’étant pas ceux d’aujourd’hui, j’ai écrit à différentes paroisses de Tahiti pour savoir si l’on pratiquait toujours l’art du tifaifai en Polynésie. Devant leurs réponses positives, je suis venue pendant un an de 1977 à 1978.

 

Pouvez-vous nous raconter rapidement ce séjour d’études ?

Le sujet de mon doctorat portait sur une étude comparée des styles et usages de tifaifai, iripiti, quilts et tivaevae dans les îles de la Société, aux Australes, à Hawai’i et aux îles Cook. A Rurutu, c’est Temana Vahine, une grande couturière, qui a été mon hôte. J’ai habité chez elle mais aussi dans d’autres familles de Polynésie où l’on pratiquait le tifaifai. J’ai passé du temps à Tahiti, Raiatea, Taha’a, Maupiti ainsi qu’aux Australes (Rurutu, Raivavae, Tubuai). Cela m’a permis de constater à quel point le tifaifai était un art Florissant de grande valeur aux yeux des Polynésiens.

 

Vous n’avez pas eu de difficulté à recueillir des témoignages ?

Habitant dans des familles polynésiennes, j’ai appris à parler les rudiments du tahitien, suffisamment pour pouvoir dialoguer. Les femmes ont été d’une grande générosité, elles m’ont vraiment montré l’étendue de leur savoir et savoir-faire.

 

Quelles sont les particularités du tifaifai des îles de Polynésie française, comparé à celui de Hawaii ou des îles Cook ?

Ici en Polynésie française, le tifaifai est réalisé à partir d’un pliage en 4. A Rurutu, les iripiti sont de petits morceaux de tissu formant des dessins géométriques. A Hawaii l’applique est pliée en 8 et une couche de mousse est placée au milieu. Aux îles Cook, elle est pliée en 4. Les tivaevae dans les îles Cook comportent beaucoup de broderies.

 

Qu’est-ce qui a changé par rapport à aujourd’hui ?

Techniquement, pas grand chose. Mais au niveau des styles, des couleurs, des matériaux, il y a beaucoup d’innovations et je trouve ça remarquable. Le tifaifai s’est tranquillement adapté aux modes et aux tendances ! Lorsque je suis venue à la fin des années 1970, il n’y avait pas autant d’associations ni d’expositions-ventes comme aujourd’hui. La pratique s’est institutionnalisée, ce qui lui permet de s’inscrire dans la durée. D’ailleurs, il y a une trentaine d’années, seules deux ou trois des femmes que j’ai rencontrées vendaient leurs tifaifai. Les autres ne les réalisaient que pour les offrir en cadeau de mariage, de naissance ou de reconnaissance.

 

L’utilisation du tifaifai est-elle différente ?

Je crois que l’âme du tifaifai est toujours la même, je pense même qu’elle est encore plus forte qu’autrefois car les gens ont pris conscience de la valeur patrimoniale de ces oeuvres. En même temps, son usage s’est démocratisé : on voit des tifaifai dans certaines maisons en décoration, les gens s’en achètent. A l’époque, on ne sortait les tifaifai qu’à de très grandes et rares occasions – le Mai, le Matahiti Api et le Heiva par exemple – et c’est surtout un ouvrage que l’on recevait comme cadeau, un don. Il faut dire également qu’aujourd’hui, le contexte économique fait que beaucoup plus de femmes travaillent et ont moins de temps à consacrer à ce type de pratique.

 

Que représente le tifaifai pour vous?

C’est un héritage vivant et une œuvre de générosité. Je suis fascinée par la beauté des créations, la forme des dessins, la force des couleurs et les milliers d’heures de travail que cela représente. Il y a quelque chose de sacré dans le tifaifai et dans ses usages très codifiés. La fierté des Polynésiens par rapport à la tradition du tifaifai en dit long sur sa valeur.

 

Peut-il, d’après vous, trouver sa place ailleurs qu’en Polynésie ?

Aujourd’hui, cet artisanat a su garder sa valeur traditionnelle tout en ayant une belle reconnaissance artistique internationale. Le tifaifai a trouvé sa place dans certains musées de par le monde mais aussi plus simplement dans les familles qui veulent ramener un souvenir de leur séjour en Polynésie. Ces différentes approches du tifaifai font de lui un symbole culturel très important.

 

Encadré

Joyce D. Hammond, « Tifaifai and quilts of Polynesia », University of Hawaii Press, 1986.

Cet ouvrage présente une analyse comparative des différences artistiques des tifaifai ainsi que les points communs entre les formes régionales, le tout soigneusement illustré par des photographies de l’auteur. Le livre détaille et approfondit les origines communes de ces textiles, c’est-à-dire le mélange des matières traditionnelles, l’introduction du tissu occidental, et l’inspiration des quilts et du patchwork venus de l’extérieur. On y trouve aussi des témoignages sur la fabrication et la fonction de ces ouvrages, du cadeau à l’objet d’art.

L’ouvrage est épuisé. Il est disponible d’occasion sur Internet.

 

ENCADRE

Ne manquez pas le 15ème salon du Tifaifai, organisé à la Mairie de Papeete par l’association Te api nui o te tifaifai du 6 au 15 mai.

 

 

* Patrick O’Reilly, « Note sur les Tifaifai tahitiens », in Journal de la Société des Océanistes, 1959 n°15, Musée de l‘Homme, Paris.

Vous aimerez aussi...