Le ti’i rentre chez lui

Lead-oeuvre-67Rencontre avec Anthony Meyer, expert d’art.

 

Le ti’i rentre chez lui

 

Collectionneur, expert et galeriste, Anthony Meyer côtoie l’art polynésien et le Musée de Tahiti depuis plus de 30 ans. Il avait dans sa collection un ti’i de corail très ancien, une oeuvre rare qu’il a décidé de faire rentrer au pays en la donnant au Musée de Tahiti et des îles.

 

Quelle est l’origine et la particularité de ce ti’i ?

Il s’agit d’une œuvre de la culture ancienne des Iles de la Société, datant probablement d’avant le 18ème siècle. Ce ti’i en corail mesure environ 40 cm. En le comparant avec un autre qui est dans les collections du Musée de Tahiti et des Iles, je me suis aperçu qu’il présentait suffisamment de similitudes stylistiques et de matériau pour suggérer qu’il puisse provenir à l’origine de Moorea. D’après mes connaissances, les ti’i en corail ne sont pas légion – la plupart étant sculptés dans des roches éruptives ou du tuf. Sur les 49 ti’i en pierre décrits par Anne Lavondès en 1973* au Musée de Tahiti, seuls trois sont en corail. Ce matériau, usé par le temps, et probablement par  l’eau au passage, a pris un aspect remarquable qui pour moi est proche de certaines œuvres en céramique du sculpteur Johan Creten, qui modèle des corps de femmes recouverts de fleurs ou d’une sculpture florale monumentale mais fanée de Jeff Koons. L’effacement de la surface d’origine, laissant une peau naturelle modelée par la nature et le temps qui passe, a profondément modifié le ti’i par rapport à sa forme initiale – œuvre d’un artiste humain !

Comment l’avez-vous acquis ?

J’ai vu cette pièce chez un confrère de province il y a plusieurs années. J’ai immédiatement été frappé par sa beauté et son mystère – il fallait que je la possède de suite. Il y a une douceur dans ce ti’i en même temps qu’une certaine force – toutefois sans menace – qui nous regarde sans que l’on sache où sont ses yeux, qui nous parle sans que l’on sache où est sa bouche, qui nous écoute sans oreilles apparentes et nous touche sans bras.

Pourquoi en faire don au Musée de Tahiti ?

En 2011, à la demande de Roger Boulay, j’ai prêté ce ti’i pour l’exposition sur Victor Segalen à l’Abbaye de Daoulas. Je venais de faire don d’une massue Kanak au Musée de Nouméa, et c’est à ce moment-là que m’est venu l’idée d’offrir ce ti’i au Musée de Tahiti et des Iles. Je l’avais déjà montré à Tara Hiquily, responsable des collections ethnographiques, qui m’avait exprimé l’intérêt du Musée pour cette pièce mais aussi leurs difficultés probables à l’acquérir. L’idée d’une donation a fait son chemin. Je travaille avec le Musée de Tahiti et des Iles depuis plus de 30 ans. Les rapports humains sont essentiels dans mon monde d’objets anciens où les artistes sont ceux du passé et ne peuvent communiquer que par la puissance expressive de leurs œuvres. La vie est faite d’accidents, de rencontres ou d’événements parfois fortuits – un jour, au début des années 1980, sans que je sache qui elle était, Manouche Lehartel est entrée dans notre galerie et a demandé à voir mes pièces de Polynésie. Elle en a acquis un certain nombre pour le Musée et cela a été le début de cette longue collaboration qui dure depuis. J’ai d’abord travaillé avec Manouche Lehartel, puis avec Véronique Mu. Entre temps j’ai eu le plaisir de rencontrer et discuter avec Anne Lavondès en France, et maintenant il y a Theano Jaillet et Tara Hiquily – un ami de plus de 20 ans. J’ai toujours eu un très grand respect pour l’institution qu’est le Musée de Tahiti et des Iles, qui se trouve un peu loin du monde mais au centre du monde, tout dépend d’où l’on regarde. L’équipe de ce Musée s’échine à produire des expositions remarquables et innovantes, à conserver et à promouvoir la culture polynésienne au travers de ses collections qu’elle ne cesse de compléter en quantité et en qualité, et de par son travail pédagogique et d’études académiques. La place de ce ti’i est entre leurs mains.

 

Le ti’i sera exceptionnellement exposé au public à partir du 9 avril pour quelque temps, dans la salle d’exposition permanente du Musée.

+ d’infos : 54 84 35

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