Sur les pas du ‘ori – Janvier 2013

CULTURE BOUGE

 

Conservatoire Artistique de Polynésie française – Te Fare Upa Rau

 

Rencontre avec Fabien Dinard, directeur du Conservatoire, Frédéric Cibard, attaché de direction et Kyoko Miyazama, productrice.

 

Sur les pas du ‘ori

 

Le Conservatoire Artistique projette cette année de co-produire une série de trois documentaires mettant à l’honneur le ‘ori tahiti tel qu’il se vit aujourd’hui et plus précisément à travers ses fondamentaux : les pas et les rythmes. Au-delà de la valorisation, l’objectif est également de donner des repères aux générations d’aujourd’hui et de demain, en tentant d’éclairer cet héritage à la lumière de sa transmission. Fabien Dinard, directeur du Conservatoire, grand danseur et chef de groupe pendant 15 ans, nous explique le sens de cette démarche et sa vision du ‘ori tahiti.

 

Comment est venue cette idée de documentaire ?

En juillet dernier, j’ai été invité au Heiva i Nouméa pour faire partie du jury. Le thème de la majorité des groupes était axé sur la recherche identitaire. Les jeunes Polynésiens de Nouvelle-Calédonie ne sont pour la plupart jamais venus à Tahiti, ils se cherchent et tentent de trouver des réponses notamment à travers le ‘ori tahiti. Or il est difficile pour eux, comme pour les milliers d’étrangers pratiquant notre danse, d’accéder aux fondamentaux du ‘ori tahiti. Pourquoi ? Parce qu’ici à Tahiti, nous ne sommes nous-même pas au diapason !  Nous n’avons jamais réussi à nous réunir pour figer ce qui doit l’être au sujet des pas et des rythmes relevant de la tradition. C’est très inquiétant car, avec l’expérience, nous voyons bien que ce qui était considéré comme des déviantes modernes il y a dix, vingt ans est aujourd’hui jugé comme traditionnel ! Il est crucial et urgent de faire ce travail pour ramener le ‘ori tahiti à sa juste valeur, sinon demain on va danser de la zumba au rythme de nos percussions traditionnelles à notre Heiva.

 

Il faut réglementer le ‘ori tahiti d’après toi ?

Oui. A ce jour, n’importe qui peut se proclamer professeur de ‘ori tahiti, il n’y a aucune réglementation encadrant ce secteur. Il ne suffit pas de savoir danser pour savoir transmettre : il faut avoir des bases techniques certes, mais aussi historiques, culturelles, pédagogiques… Attention, je ne dis pas qu’il faille sortir du Conservatoire pour prétendre enseigner, je pense seulement qu’il faut désormais former les personnes souhaitant ouvrir des écoles de danse traditionnelle, afin de faire valoir des compétences s’appuyant sur un tronc commun, qui n’existe toujours pas.

 

Comment figer aujourd’hui ce qui n’a jamais été clairement et unanimement répertorié ?

Il faut réunir les forces vives et la grande famille du ‘ori tahiti et se mettre autour d’une table pour en discuter. Ce sera difficile car il faut tenir compte des ego des uns et des autres, mais nous devons y arriver. Ils ont réussi à Hawaii et dans bien d’autres pays où l’histoire et les traditions sont aussi sensibles qu’en Polynésie, cela ne doit donc pas être insurmontable.

 

Comment expliquer, vu l’engouement pour le ‘ori tahiti, que cela n’ait jamais été fait ?

Historiquement, la danse à Tahiti met les groupes en compétition depuis tellement d’années que nous avons du mal à nous voir autrement que comme des rivaux. Chacun estime détenir sa propre vérité. Ce qui est paradoxal, car dans les thèmes que l’on peut voir pendant le Heiva, il est beaucoup question de respect, d’humilité, d’amour de son Pays, de générations futures alors qu’on n’arrive pas à se rassembler. Néanmoins, je respecte ce qui a été fait par les anciens et salue la création de la fédération de ‘ori tahiti.

 

En matière d’héritage, on se demande toujours où se termine la tradition et où commence la création. Qu’en penses-tu ?

C’est bien toute la question ! Tant que l’on n’aura pas fait le travail d’identification formelle, on ne pourra pas le savoir. C’est la raison pour laquelle les catégories « Patrimoine » et « Création » instaurées au Heiva n’ont pas pu durer : ces deux termes se rejoignent complètement. Aujourd’hui, le ‘ori tahiti s’appuie sur une certaine idée de la tradition dans une forme de langage éminemment moderne.

 

Y a t il des limites à cette créativité dans le ‘ori tahiti ?

Non, je ne crois pas. Cette danse évolue et continuera d’évoluer puisqu’elle est vivante. Un art qui n’évolue pas est voué à une mort certaine. A ce titre, le Hura Tapairu est un formidable laboratoire de création, un espace vivant et accessible, permettant aux groupes de s’exprimer et surtout de grandir avant d’affronter les feux de notre grand Heiva.

 

En tant que spécialiste de la danse des tane, penses-tu qu’elle ait évolué de la même manière que celle des vahine ?

On a coutume de penser qu’il y a moins d’amateurs de ‘ori tahiti chez les hommes, donc un niveau moindre sur l’ensemble des danseurs. Ceci est en train de changer. Il y a de plus en plus de prétendants, mais aussi de recherches en matière de chorégraphie. L’aspect guerrier, très viril est aujourd’hui très tendance, avec une vraie montée en puissance du haka. Il est certain que la guerre est à la base de certains pas masculins de danse, mais ce n’est pas la seule source d’inspiration : il y a aussi le quotidien, la séduction, la sensualité.

 

Le Conservatoire compte parmi ses tane Tuarii Tracqui, élu meilleur danseur au Heiva cette année. Est-ce que sa présence a apporté un certain regain d’intérêt pour la classe  d’hommes au Conservatoire ?

Oui, probablement. C’est une fierté pour nous de l’avoir parmi nos élèves, mais il n’est pas le seul. Tuarii est un jeune homme très sensible et surtout humble, deux qualités essentielles et très appréciables chez un danseur.

 

 

ENCADRE

« TO’U FENUA E TONA MAU TOA ». Mon Pays et ses guerriers.

Le projet de documentaire « TO’U FENUA E TONA MAU TOA » présenté par le Conservatoire consiste en la production et la réalisation sur trois ans de trois documentaires racontant comment les jeunes Polynésiens s’approprient leur culture, comment ils la vivent au quotidien, comment ils l’étudient, comment ils pensent en vivre et la partager, sur le fenua mais également dans le reste du monde. Ces courts documentaires sont destinés à être diffusés sur toutes les chaînes de télévision du Pacifique, et au-delà sur des espaces de diffusions francophones, anglophones mais aussi asiatiques.

Le premier documentaire, prévu pour l’année 2013, ouvre les portes du temple de la danse, le Conservatoire, l’une des premières écoles d’arts traditionnels du Pacifique insulaire, et montre la fin de l’apprentissage et le questionnement d’un élève exceptionnel, Tuarii Tracqui, lauréat du concours du Heiva 2012 dans la catégorie meilleur danseur.

Le second volet du projet fera le lien entre la musique traditionnelle polynésienne et l’art de la danse. Le troisième opus évoquera l’art oratoire rituel, le ‘orero, et sa mutation vers un art dramatique m’aohi et maori, avec la réalisation de la première comédie musicale polynésienne.

 

 

ENCADRE

Le musée d’Okinawa s’intéresse aux rythmes traditionnels du fenua

 

Le professeur de percussions traditionnelles du Conservatoire, Moana Urima et sa classe d’élèves de haut niveau ont reçu vendredi 30 novembre dernier la visite d’une équipe de production japonaise emmenée par Kyoko Miyazawa, oeuvrant pour le Oceanic Culture Museum d’Okinawa. Cette île japonaise célèbre accueille en effet plusieurs centres culturels dont un musée spécialisé dans les modes de vie et de peuplement du grand Pacifique.

 

Contacté une première fois par le Dr Jane Freeman Moulin, professeur d’ethnomusicologie à l’Université Manoa de Hawaii puis par le docteur Yoshinori Kosaka, chercheur en anthropologie de l’Université australienne de ANU (Australian National University), le directeur du Conservatoire  Fabien Dinard a bien voulu collaborer à la réalisation d’un projet permettant aux visiteurs du Musée d’Okinawa d’entendre des extraits de rythmes traditionnels polynésiens, ainsi que quelques notes de musiques (vivo et ukulele).

 

Moana Urima et ses élèves ont donc présenté plusieurs types de pehe exécutés sur différents instruments (to’ere, pahu tupai, faatete, tari parau…), en expliquant l’art de leur fabrication, leur signification et leur importance dans l’histoire polynésienne. L’équipe japonaise a particulièrement été impressionnée par une démonstration de frappes ancestrales, symbolisant l’arrivée des ari’i sur les marae, ainsi que par une démonstration de vivo.

 

Les captations réalisées seront très prochainement diffusées au musée d’Okinawa dans une nouvelle enceinte spécialement dédiée à la musique du Pacifique. Une panoplie des instruments présentés sera mise à disposition des visiteurs afin qu’ils puissent les essayer, aidés par les explications de Dave Teriirere, élève du Conservatoire. Kyoko Miyazawa, chargée de ce projet, affirme « qu’au-delà de la découverte de l’instrument, le  fait d’en ressentir les vibrations, d’en toucher les matières, de prendre plaisir, de combiner des timbres et des sons offre aux visiteurs une expérience sensible originale. » C’est aussi, selon elle, une façon de montrer au public « comment se vit la culture traditionnelle aujourd’hui ». Une initiative intéressante qui devrait inspirer du monde.

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