« Donner aux élèves l’envie de s’ouvrir » -Novembre 2012

10 questions à

Rangitea Bourgeois, enseignante en dessin au Centre des Métiers d’Art

 

« Donner aux élèves l’envie de s’ouvrir »

 

Rangitea Bourgeois a rejoint l’équipe du Centre des Métiers d’Art, où elle enseigne depuis peu le dessin aux 1ère, 2ème et 3ème années. La jeune fille, fraîchement diplômée d’architecture, entend faire partager aux élèves son parcours déjà bien solide et les motiver à aller, comme elle, voir plus loin pour regarder plus près.

 

Tu viens d’intégrer l’équipe enseignante du Centre des Métiers d’Art pour donner des cours de dessin, comment cela s’est-il passé ?

Je viens juste d’obtenir mon diplôme d’architecte de l’école nationale supérieure de Toulouse, ville où j’ai passé 8 ans. En revenant à Tahiti, j’ai entendu parler de ce poste et rencontré le directeur Viri, nous nous sommes bien entendus. Au-delà de l’enseignement du dessin aux élèves, la dynamique et les projets du Centre sont motivants. L’équipe a su insuffler une ouverture artistique et culturelle très intéressante.

 

Mais pourquoi ne pas avoir choisi d’exercer ton métier d’architecte ?

Ce n’est pas non plus totalement hors de mon cœur de métier. L’architecture ne se limite pas à la construction de maison, elle est avant tout une expression culturelle. C’est un vaste domaine à la fois technique et artistique, dont les outils servent à illustrer l’imagination et la créativité. Je pratique également la photographie et la vidéo.

 

Parle-nous un peu de ton parcours…

Je suis partie suivre des études d’architecture à Toulouse en 2002 et je suis revenue à Tahiti durant mon master pour travailler et financer un projet d’études en Chine. J’ai exercé ici quelques mois à l’EAD puis dans un cabinet d’architectes, avant de partir pour Wuhan, petite ville chinoise de 10 millions d’habitants ! J’ai suivi des cours au département architecture de l’université et perfectionné ma pratique du mandarin – je prends des cours depuis le collège. L’objectif était de baigner dans une autre culture et une autre langue, totalement différentes de Tahiti et de l’Occident. J’ai travaillé avec les autres étudiants sur un projet architectural en rapport avec l’exposition universelle de Shanghai, en 2010. Puis je suis retournée à Toulouse pour terminer mon master et passer mon diplôme d’architecte.

 

Tu as fait une étude architecturale en rapport avec Tahiti, peux-tu nous en dire plus ?

Lors de mon expérience professionnelle locale, j’ai travaillé sur plusieurs dossiers de logements sociaux. En suivant un de ces chantiers, j’ai réalisé à quel point le contexte social et administratif ne permettait aucune adaptation aux réalités polynésiennes. Le projet consistait à démolir l’existant – des fare en pinex et tôles – pour reconstruire de nouvelles maisons. Or, on se rend compte que ces logements sociaux, bien que neufs et fonctionnels, ne remportent pas l’adhésion des personnes qui y vivent. Mon étude a donc porté sur l’analyse des habitants d’un quartier dans l’agglomération de Papeete pour mieux comprendre la gestion et l’occupation de l’espace de ce quartier modeste, la « manière d’habiter » des gens, et faire ensuite des propositions. L’idée était d’intervenir le moins possible sur l’existant mais d’adapter, d’améliorer, de réparer, de prolonger…

 

Quelles sont les spécificités polynésiennes en matière « d’habiter » justement ?

Tout dépend du contexte. Dans les milieux dits populaires et contrairement aux apparences, il subsiste toujours un lien fort avec la nature, l’environnement, la végétation. Le mode de vie est très ouvert, en raison du climat, et très tourné vers la famille. Depuis peu de temps, nous revenons d’ailleurs à une manière de construire plus en adéquation avec notre climat, notre environnement et donc notre mode de vie, lesquels n’avaient pas été pris en compte dans les constructions à l’occidentale.

 

Et maintenant, quels sont tes projets par rapport au Centre des Métiers d’Art ?

Partager mon expérience, échanger avec les élèves, expérimenter le plus de domaines possible, mieux connaître l’art traditionnel polynésien, permettre aux élèves d’acquérir des outils, mais surtout des réflexes techniques qui leur soient utiles dans leur travail. Et leur donner envie de s’ouvrir, de partir pour mieux revenir.

 

As-tu des artistes de référence ?

Oui et non. Non parce que je n’en place pas un au-dessus des autres. Oui, parce que des tas d’artistes m’inspirent. Au-delà d’une technique, j’apprécie avant tout une sensibilité.

 

Quelle est ta définition de la culture ?

Elle est notre repère. Avant de partir en France pour mes études, je commençais à m’ennuyer à Tahiti et tout ce qui se rattachait à la culture ne m’intéressait guère. Mais une fois en métropole, je n’avais plus aucun repère, j’ai dû m’en fabriquer. Je me suis rattachée à des objets symboliques comme des colliers de coquillages et à des attitudes. Plus jeune, j’avais arrêté la danse traditionnelle et j’ai éprouvé, comme beaucoup d’étudiants polynésiens, le besoin de reprendre en France pour faire découvrir aux autres une partie de nous. L’éloignement m’a fait prendre conscience de ma culture et de sa valeur.

 

Si on te donnait des crédits pour développer une action culturelle, que ferais-tu ?

Avec mon compagnon, nous aimerions créer une grande exposition interactive que les artistes et les spectateurs feraient exister ensemble. C’est en impliquant réellement le public que l’on peut aussi le toucher.

 

Un message ?

Il ne faut pas hésiter à s’ouvrir aux autres et au monde qui nous entoure, car tout est source d’inspiration.

 

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