L’Herbier de Polynésie, à la découverte de la flore polynésienne

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Jacques Florence est à l’origine de la création de l’Herbier de Polynésie. En poste à l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer) de Tahiti – devenu IRD (Institut de Recherche pour le Développement) – de 1981 à 1994, il a en effet constitué cet outil de recherche précieux pour la connaissance de notre flore si singulière, dont l’histoire a commencé en 1769 avec le premier voyage de Cook. La connaissance de ce domaine se poursuit depuis grâce aux collections faites par les botanistes du monde entier et locaux comme Jean-François Butaud, Fred Jacq ou Jean-Yves Meyer.

L’Herbier de Polynésie, conservé au Musée de Tahiti et des îles, recense plus de 15 000 spécimens : herbes, herbacées, arbustes ou arbres, fougères, toutes les espèces en sont, représentant 95% de la flore indigène*. Jacques Florence est allé par monts et par vaux pour recueillir la moindre variété, dans les ravins, sur les crêtes des montagnes, en bord de mer et ce, depuis le sommet de l’Orohena à Tahiti en passant par le littoral de Makatea ou la forêt de nuages de Taipivai, aux Marquises. Les espèces sont classées par île – tous les archipels sont présents – et décrites précisément. Un travail colossal que 15 ans d’études au Muséum de Paris n’ont pas encore permis d’en venir à bout : depuis la fin de son affectation à l’IRD de Tahiti en 1994, il revient donc régulièrement à Tahiti pour continuer d’enrichir l’Herbier et étudier les nouvelles récoltes de ses collègues.

Un endémisme très important

Plus de 60% de la flore polynésienne est endémique, c’est-à-dire que l’on ne trouve ces espèces nulle part ailleurs. Une plante peut être endémique d’une région, d’une île et même d’une vallée ou d’un plateau. Le tiare apetahi ne se trouve par exemple que sur les deux plateaux du Temehani de Raiatea, le palmier de Nuku Hiva est endémique de la vallée de Taipivai, etc. « Ce fort taux peut être aussi une grosse menace pour ces plantes : certaines connues par quelques individus étant peu nombreuses, elles pourraient vite être amenées à disparaître suite à des catastrophes naturelles… ou humaines », explique Jacques Florence.

A contrario, saviez-vous que proportionnellement à sa taille, Tahiti contient le plus grand nombre d’espèces de fougères au monde ? Un phénomène facile à expliquer pour le botaniste : « Pour les fougères, la taille ainsi que l’âge relativement  jeune de Tahiti ont permis aux spores de fougères voyageant facilement d’occuper de nombreux milieux. »

Parce qu’il faut savoir que de nombreuses variétés que l’on trouve aujourd’hui en Polynésie ont été importées : par le vent, les oiseaux, les courants, mais aussi et essentiellement par les hommes. Les premiers Polynésiens sont arrivés dans les îles avec à bord de leur pirogue toutes sortes d’espèces en provenance d’Asie, du Pacifique et dans une moindre mesure, d’Amérique du Sud. Elles ont conquis leur nouveau milieu et se sont adaptées en se différenciant de leur origine. En revanche, à eux seuls, les Européens ont amené plus d’espèces utiles ou adventices** que toute la flore indigène, certaines se sont naturalisées et sont une menace pour la biodiversité polynésienne. L’exemple du miconia en est le plus frappant, mais non le seul. »

Une richesse unique mais un manque d’intérêt certain

Ces spécificités botaniques font de la Polynésie un territoire particulièrement riche à explorer, à recenser et à étudier. « Lorsque je suis arrivé en 1981 à Tahiti, la flore était très mal connue, souligne Jacques Florence. Aucun travail d’ensemble n’avait été réalisé depuis la fin du  19ème siècle et le début du 20ème pour une partie de la région ». Il a réalisé un inventaire actualisé de la flore polynésienne, par île, par zone géographique et par milieu écologique pour pouvoir la comparer avec d’autres herbiers et ainsi mieux connaître sa particularité. L’investissement et l’implication sans borne du scientifique lui ont même permis de découvrir des espèces jusque-là parfaitement inconnues ! C’est le cas par exemple de la Plakothira Fuitescens, recensée à Nuku Hiva, et pour laquelle Jacques Florence a dû « inventer » un nouveau genre. Une satisfaction immense pour un passionné comme lui, qui regrette que la botanique ne soit pas davantage connue et reconnue. « Les plantes ne payent pas de mine si l’on peut dire, ce n’est pas spectaculaire comme une sculpture par exemple. On n’expose pas un herbier au public, c’est d’abord un outil de recherches pour les scientifiques. Pour autant, la gestion d’une telle collection est lourde et nécessite le travail de personnel qualifié, les conditions de stockages sont exigeantes et coûteuses… Des facteurs contraignants qui, en raison du peu d’intérêt porté à la flore, ne favorisent pas le développement des recherches. » Alors qu’un herbier, au même titre qu’une collection d’objets du patrimoine, « contribue à l’édifice de la connaissance de l’histoire et de la biodiversité d’un Pays, et reste un objet indispensable pour en conserver la mémoire. ».

Le botaniste de rajouter : « ce qui est paradoxal, c’est que le volet conservation des espèces endémiques menacées par des espèces envahissantes bénéficie d’un vrai soutien, contrairement à la botanique taxinomique qui est pourtant à la base de la possibilité de ces travaux. C’est l’éternel débat sur des pas de temps bien différents entre la communication et l’approfondissement des connaissances. »

ENCADRÉ

L’Herbier de Polynésie sur la Toile

www.herbier-tahiti.pf est la base de données de la flore de Polynésie : elle rassemble tous les spécimens botaniques collectés en Polynésie française et conservés dans l’Herbier. Plusieurs options de recherche (par nom vernaculaire ou scientifique, par genre ou par famille, par île ou par archipel, etc.) permettent d’affiner celle-ci, le tout étant richement illustré. Un site qui est le résultat de 20 ans de travail et qui permet aux botanistes, mais aussi aux amateurs du monde entier, de découvrir ou de mieux connaître la flore polynésienne.

* Flore indigène : qui croît naturellement dans la région où elle vit.

** Adventice : espèce végétale étrangère à la flore indigène d’un territoire dans lequel elle est accidentellement introduite et peut s’installer.

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