« Les musées doivent répondre à des interrogations sur les cultures passées et présentes »

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Les musées d’aujourd’hui sont des ouvrages uniques devant répondre à des problématiques sociales, environnementales, économiques, fonctionnelles, culturelles. Ils doivent parvenir à exprimer les objectifs et les contraintes de ce qu’ils abritent, à savoir, les collections d’objets… D’où la nécessité, lorsque l’on décide comme le musée de Tahiti de remettre ses salles d’exposition au goût du jour, de faire appel à un architecte-programmiste. Sa fonction ? Rédiger un cahier des charges architecturales et techniques essentielles à la conception et à la réalisation du projet. C’est la mission que Hélène Dano-Vanneyre a remplie en février dernier au Musée de Tahiti et des Îles pour concevoir, avec l’équipe, la future « maison communautaire du patrimoine ma’ohi ».

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Après mes études d’architecte, j’ai eu la chance d’intégrer l’équipe de maîtrise d’ouvrage qui préparait le concours pour le Centre Beaubourg. C’était dans les années 1970, un projet novateur, pluridisciplinaire associant œuvres d’art moderne et contemporain, livres, spectacles vivants, cinéma … au centre de Paris. Il fallait donc définir ce programme et lancer un grand concours international. Dialogue avec les responsables de collection, « cahier des charges » pour les architectes, suivi de projet, etc. J’ai tout appris pendant ces années-là. Et ce fût si passionnant qu’après, comme de nombreux membres de cette équipe, j’ai renoncé à être moi-même maître d’œuvre, architecte de projet, mais préféré participer à l’élaboration des projets scientifiques, des processus de lancement de concours et de suivi d’opération. C’est ainsi que j’ai pu collaborer à de grands projets culturels, Cité des Sciences et de L’industrie à La Villette, rénovation du Musée du Louvre et in fine Musée du Quai Branly.

Concrètement, en quoi consiste donc votre métier ?

Je travaille avec le maître d’ouvrage et les futurs utilisateurs d’un lieu en vue d’élaborer et formaliser la commande qui sera passée à un architecte maître d’œuvre. Lorsqu’il s’agit d’un projet simple, le dialogue singulier de l’architecte et de son client suffit. Mais dans des projets complexes, avec de multiples partenaires, il faut élaborer une méthodologie de travail, être à l’écoute des différents partenaires, hiérarchiser, synthétiser, exprimer au mieux les ambitions des décideurs sans jamais faire de l’architecture.

Dans le cadre de la loi de maîtrise d’ouvrage publique, le commanditaire doit toujours formaliser sa commande sous la forme d’un « programme » qui est alors contractuel.

Plus cette commande est précise, en terme de quantité, de qualité, d’exigences, meilleure est la réponse de l’architecte – et elle permettra au maître d’ouvrage d’assurer le respect des coûts et des délais.

Vous avez été responsable de la programmation du musée du quai Branly : pouvez-vous nous en dire plus?

Ma mission au Quai Branly s’est achevée il y a un an. Il y a eu 10 ans de travail pour passer des premières réflexions entre responsables de collection, politiques et administratifs (nous étions 10 personnes alors… et certains pensaient que ce projet allaient être abandonné). De nombreuses étapes furent nécessaires pour définir les ambitions et la pertinence de ce projet, ses grandes lignes, son envergure, son budget, et passer à un programme de concours (gagné par Jean Nouvel) puis à des programmes de plus en plus précis. L’architecte pouvait répondre aux différentes phases (esquisse, avant-projet, projet pour appel d’offres, chantier puis réception).

Il ne s’agit pas seulement de dossiers « cahier des charges », mais aussi de tout un travail de médiation, d’explication du langage architectural aux différents membres de l’équipe du futur musée qui participent peu à peu au projet. Le programme devient ainsi une « bible », un mémo des intentions du projet, outil nécessaire lorsque l’équipe passe de 10 à 200 personnes à l’ouverture.

Aujourd’hui, j’ai repris mon indépendance et je peux ainsi répondre à des missions d’expertise et de conseil.

Votre mission pour le musée de Tahiti : quel état des lieux avez-vous dressé ?

Je ne venais pas là pour faire un état des lieux mais pour élaborer un dossier à la demande du ministère de l’Equipement, et plus particulièrement de la Direction de l’Equipement, qui m’a contactée pour l’opération de rénovation du musée – dont elle est maître d’ouvrage. Consciente de l’importance de la commande, de sa définition, elle souhaite fournir à l’architecte qui sera retenu un programme muséographique.

Pour ce faire il me fallait être au plus près des responsables de collection,  comprendre quelles sont les ambitions scientifiques de cette rénovation, les attentes en terme de public, les particularités de l’opération… et en faire une synthèse qui ne soit pas du projet architectural. Il faut dégager les éléments pertinents essentiels pour que l’architecte maître d’œuvre choisi réponde le plus justement possible – et comprenne les attentes des futurs utilisateurs et usagers.

Et quelle synthèse avez-vous donnée ?

J’ai pu, avec l’équipe du musée, définir la structure du parcours, les typologies de pièces à présenter, les dispositifs envisagés, les exigences en terme de conservation préventive, les modes de fréquentation et d’usages souhaités, la relation à l’extérieur, au site…

Vous a-t-il fallu vous familiariser avec la culture polynésienne ?

Faire un tel programme depuis la métropole n’est effectivement pas pensable ! Il faut être sur le site même du musée, vivre plusieurs jours avec l’équipe sur place, parcourir les salles, ressentir la présence des objets, de la nature, de la mer, de la montagne toute proche : la culture polynésienne se vit tous les jours et loin de moi l’idée de « calquer » ici l’expérience d’autres musées en France. Ce programme est d’abord une synthèse de la réflexion de ceux qui vivent la culture polynésienne, veulent la développer, tisser des liens entre passé et présent. Mon rôle est d’être à l’écoute de leurs attentes, de leurs ambitions et de leurs exigences, et de construire un dossier qui donne des orientations et des performances requises pour le projet architectural.

Quelle est la particularité du public polynésien et de quelle manière l’avez-vous inséré, impliqué dans votre travail ?

Ceux qui connaissent le mieux le « public polynésien » c’est l’équipe du musée : il faut donc d’abord privilégier leur expérience. Et puis ce qui est frappant en Polynésie c’est l’importance de la musique, de la danse, des récits… Il faut introduire ce patrimoine immatériel par le biais de multimédia, d’espaces de médiations (récits, visites accompagnées, démonstrations). Le musée est ainsi plus vivant et s’adresse à des publics plus diversifiés. Sans doute faut-il aussi renforcer les liens entre espace extérieur et intérieur, le site même du musée étant particulièrement intéressant.

Sans « calquer », peut-on appliquer la même méthodologie à tous les projets de programmation de musée ?

Le premier rôle d’un programmiste est d’être à l’écoute, de comprendre les enjeux et les spécificités de telle ou telle opération. Laisser se construire un dialogue, faire émerger des options, proposer des hiérarchies : l’attitude est la même pour tout projet. Mais ensuite il faut s’adapter à chaque contexte : échelle du projet, structure de l’équipe en place, outils, budgets, délais, savoir-faire, etc. Chaque programme est donc unique, même si au bout du compte il se traduit par des exigences quantitatives pour l’architecte, et c’est ce qui fait l’intérêt de ce métier : à chaque fois c’est différent mais on rencontre toujours des gens passionnés, volontaires, porteurs d’innovation et d’évolution.

A quoi doit ressembler un musée aujourd’hui dans un pays comme la Polynésie ?

Les musées aujourd’hui se modifient. Autrefois, on pouvait penser qu’il s’agissait de conserver les objets, de les présenter à des publics sélectionnés. Les salles du musée de Tahiti ont été conçues il y a une quarantaine d’années, la réflexion a évolué, les publics aussi mais… pas les salles.

De nos jours, les musées répondent à des interrogations sur les cultures passées et présentes, ils sont porteurs de sens et permettent l’expression des cultures contemporaines. En Polynésie comme ailleurs, le musée de Tahiti et des Îles doit remplir de multiples missions. C’est d’autant plus important, dans des périodes de renouveau et de questionnement identitaire, de trouver là matière à réflexion et à débats, avec la richesse de pièces exceptionnelles et profondément émouvantes.

Un message à adresser à nos lecteurs ?

Qu’ils suivent avec vigilance l’avancement de ce projet, qu’ils le soutiennent – car on ne fait pas vivre un musée sans ses visiteurs. C’est eux qui permettront d’en faire « la maison communautaire du patrimoine ma’ohi » pour reprendre les mots du directeur du Musée Jean-Marc Pambrun.

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