Henri Hiro, La pensée en actes

Figure emblématique de la Polynésie, Henri Hiro a essayé de lutter toute sa vie pour la sauvegarde ainsi que la réhabilitation de  la culture ma’ohi, et en a revalorisé les fondements identitaires dissipés. Son engagement total a fait d’Henri Hiro un leader incontestable du renouveau culturel, dont il est sans doute la personnalité la plus marquante du 20ème siècle. L’ensemble du secteur culturel s’est associé pour rendre hommage aux 20 ans de sa disparition.

La culture, c’est la respiration de l’homme : respiration de tout son être, impliquant la vie intellectuelle, la vie sensible, la technique, la manière de s’habiller, de parler, de manger, etc. Tout ce qui fait que l’homme est vraiment homme et qu’il se sent profondément heureux. C’est à cette pensée qu’Henri Hiro dédia sa vie et sa carrière. Voyant son peuple souffrir du bouleversement social opéré par l’implantation du Centre d’Expérimentations du Pacifique, entraînant avec lui et de manière non maîtrisée le salariat, l’urbanisation, la consommation, il estimait que seul un retour à la culture et aux valeurs traditionnelles pourrait protéger les Polynésiens de l’inévitable fracture sociale alors en marche. Portrait d’un homme qui ne se contentait pas d’avoir des idées.

Henri Hiro, l’homme

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Né à Moorea le 1er janvier 1944, Henri Hiro est élevé à Punaauia. Suite à ses études de théologie à la faculté de Montpellier, il revient en Polynésie en décembre 1972. Ses revendications le conduisent à quitter l’Église et à s’impliquer intensément au sein de la vie culturelle pour la réhabilitation de la culture. Il est nommé directeur de la Maison des Jeunes de Tipaerui. Puis, à partir de 1980, il prend la tête du département recherche et création de l’Office Territorial d’Action Culturelle (OTAC). Par ses fonctions institutionnelles, il milite pour la reconnaissance du patrimoine culturel polynésien et s’efforce d’y insuffler un dynamisme nouveau. Henri Hiro encourage la jeunesse polynésienne à s’exprimer par le biais de la culture, à travers la langue, la poésie, la danse, les chants, l’expression théâtrale et le cinéma. Curieux, il s’essaie en tant que réalisateur et acteur au cinéma, metteur en scène et comédien au théâtre. Il traduit des pièces de théâtre du français au reo ma’ohi. Son œuvre – et notamment son « Message poétique », publié par Tupuna productions en 1990 et réédité par Haere Po en 2004 – est profondément habitée par la culture spirituelle traditionnelle ma’ohi, tout en exprimant une révolte contre les maux contemporains de la société polynésienne.

Le père du renouveau culturel

« Henri Hiro est fondateur et pionnier dans de nombreux domaines culturels », explique Jean-Marc Pambrun, commissaire de l’exposition à venir au Musée de Tahiti et des Îles et directeur de la Maison de la Culture de 1998 à 2000. « En 2000, alors à la tête de l’établissement qu’Henri avait lui-même dirigé de 1976 à mai 1979, j’ai souhaité m’intéresser davantage au personnage en organisant un Farereiraa autour des 10 ans de sa disparition. C’est là que je me suis réellement rendu compte qu’Henri Hiro était omniprésent dans toutes les activités culturelles polynésiennes – cinéma, théâtre, littérature, chant traditionnel -, qu’il avait marqué tous ces modes d’expression de son empreinte. Bien sûr, il y en a eu d’autres avant lui : Maco Tevane, cheville ouvrière des établissements culturels en Polynésie, Eugène Pambrun, Tearapo…. Mais Henri Hiro est le fondateur de la littérature, du cinéma et du théâtre polynésien contemporain. Il a été plus loin que les autres à un moment donné. »

Un hommage sous le signe de la synergie

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Aujourd’hui, c’est l’ensemble du secteur culturel qui décide de rendre hommage aux 20 ans de sa disparition. Henri Hiro s’est éteint le 10 mars 1990, à Huahine. C’est à partir de cette date, et tout au long de l’année, que des évènements seront organisés autour de celui qui fut directeur de la Maison des Jeunes de Tipaerui, poète, écrivain, dramaturge, cinéaste, metteur en scène, acteur… Henri Hiro a en effet laissé une œuvre considérable et variée à la Polynésie. Les manifestations pour valoriser ses nombreuses réalisations vont vous révéler toutes les facettes de ce personnage hors du commun (voir le Programme et « Ce qui se prépare »). Il disait que : « Lorsque quelque chose est abandonné, c’est qu’il y a eu des préjugés, qu’une dévalorisation s’est produite. » Ce mémorial s’inscrit dans cette volonté de revalorisation. « L’idée est de se rappeler que nous sommes les héritiers d’une histoire en construction sur la culture et l’identité polynésiennes », estime Jean-Marc Pambrun, au nom de tous les partenaires. « Nous n’avons pas inventé cette réflexion, d’autres avant nous en ont posé les jalons, dont Henri Hiro. Nous devons continuer d’honorer ceux qui nous ont précédés et donner les plus possible accès à la population aux œuvres de nos pères. » Grâce à la Maison de la Culture, l’ICA conserve une soixantaine d’œuvres audiovisuelles, par (ou) sur Henri Hiro. Films, séries télévisées, spectacles, lecture de poèmes, documentaires, etc. Henri Hiro avait réalisé une dizaine de films*, écrit et mis en scène presque autant de pièces de théâtre. « Un travail de création littéraire et cinématographique important pour un espace aussi réduit que Tahiti ! », reconnaît Jean-Marc Pambrun. « Mais il nous reste tout autant à découvrir et à explorer ; sa pensée profonde, ses réflexions sur la société et la politique, l’art de vivre, les traditions ».

Une personnalité unique…

« Henri Hiro était contre le salariat dans tout ce qu’il induit d’inégalités, il a voulu tout abandonner pour retourner à un mode de vie traditionnel. Déjà à son époque, cette démarche semblait difficile, la machine moderne étant déjà bien en marche, mais aujourd’hui, ce serait presque illusoire ! Malgré tout, j’estime que les réflexions de Henri Hiro restent d’actualité alors même que l’on a l’impression de s’en éloigner… Je crois qu’il est un exemple possible à donner à la jeunesse en manque de repères dans le sens où il était « un jeune comme les autres », qui a vécu la vie que beaucoup connaissent . Ni privilégié, ni fortuné, en situation d’échec scolaire (il s’est fait virer au collège !), qui cumule des petits boulots », poursuit Jean-Marc Pambrun. « Et puis d’un seul coup, Henri Hiro a eu une révélation spirituelle. Il pensait qu’il fallait se mettre au service des hommes et qu’en ça il devait suivre le chemin de l’Evangile, mais n’a jamais renié pour autant ses origines, au contraire : il a toujours vécu dans ses traditions. Il a décidé de suivre des cours à l’école pastorale et entamé un cursus universitaire. De retour à Tahiti après sa licence en théologie, il a refusé de devenir pasteur : ‘je ne peux pas servir l’église si l’église ne sert pas la société’, tel était son argument. J’ai le sentiment que la vie d’Henri Hiro fut un combat perpétuel. Il ne s’arrêtait jamais, était sur tous les fronts. »

…un parcours atypique

Nous pouvons affirmer sans peine qu’Henri Hiro fait partie des personnages clés de la Polynésie, de sa construction. Il voulait se mettre intégralement au service du peuple et travaillait pour son épanouissement. « Il aurait pu être notre Jean-Marie Tjibaou », avoue Jean-Marc Pambrun. « Aujourd’hui, je ne vois pas de leader culturel aussi remarquable que lui, aussi impliqué. Henri Hiro se réalisait dans la création sans avoir peur de montrer ses engagements. Il a défilé tous les mercredis pendant des mois avec un pu pour dire non aux essais nucléaires ! Il était presque seul, puis d’autres se sont greffés (Oscar Temaru, Green Peace). Beaucoup se méfiaient de lui car il était subversif dans la pensée de son époque. Pourtant, son objectif n’était ni le pouvoir, ni l’argent En fait, il ne se contentait pas d’avoir des idées, il les mettait en pratique ! Il disait : ‘personne ne m’écoute quand je parle, alors je vais parler avec les mains’. En clair : ‘C’est mon travail qui va parler’. Henri Hiro séduisait autant qu’il dérangeait. »

Témoignage : Jacquot Tiata

Jacquot travaille à la Maison de la Culture depuis maintenant 32 ans, où il occupe le poste de responsable de la régie, après avoir été marionnettiste, comédien, régisseur… Il a d’ailleurs joué dans de nombreuses pièces d’Henri Hiro (I tai, Tapu, entre autres). Jacquot a donc longtemps côtoyé et travaillé avec celui qui fut son directeur mais avant tout son ami. « J’ai rencontré Henri en 1975, quand il a monté le parti politique Ia mana te nuna, ‘le pouvoir au peuple’, auquel j’ai adhéré. J’avais 17 ans et je passais mon BAFA. En 1977, après avoir terminé ma formation d’animateur, je suis rentré comme marionnettiste à la MJCM*, qu’il dirigeait. On s’entendait bien. J’ai vu en lui un homme profondément amoureux de sa culture, de son pays, il voulait aider son peuple et a essayé par tous les moyens. Il a créé une unité cinéma, un département ‘recherche et création’, pour écrire des pièces de théâtre, des chants. Henri croyait au pouvoir de ces médiums d’expression, il pensait qu’ils pouvaient aider son peuple à comprendre comment mieux être, mieux vivre. Henri était généreux, à tous les sens du terme. Je me souviens qu’il avait établi une grille salariale pour équilibrer les revenus entre les ‘petits’ et les cadres. L’administration avait refusé son système, mais il avait gelé son salaire presque dès le début de sa mission, si bien qu’à la fin, les employés gagnaient plus que lui. Je trouve ça fort comme message. Je crois que ce qui traduit le mieux la personnalité et la quête d’Henri, ce sont ses poèmes. Il veut comprendre et aider. En 1985, après 10 ans de travail à la MJMC*, il plaque tout. Il a l’impression d’avoir échoué dans sa tache. Il achète un terrain à Huahine pour montrer qu’il est possible de vivre en harmonie avec la nature et les traditions, que l’argent ne fait pas tout. Il a travaillé sur ce terrain comme un forcené, planté, construit… Le résultat était magnifique. Pour autant, il ne faut pas croire qu’Henri refusait le progrès. Son idée était de garder le bon côté de l’évolution, utile pour le quotidien, tout en vivant plus en adéquation avec son environnement et, cela va de pair, avec sa culture. »

Zoom sur…

L’esprit de l’oeuvre de Henri Hiro

Qu’elles abordent les problèmes de la jeunesse tahitienne en perte de repères identitaires, dans le film « Le Château » (1979), mettent en valeur le mode de vie traditionnel, dans le film le « Rescapé de Tikeroa » (1981) ou dans la pièce de théâtre portée à l’écran « Ariipaea Vahine » (1978), la majeure partie des œuvres de Henri Hiro appellent au retour aux sources contre la société de consommation. L’artiste souhaite aussi contribuer à faire revivre avec exactitude le Tahiti des temps anciens, il a signé les dialogues de l’histoire d’amour racontée dans le film « Hono, le lien (1983) » de Dominique Arnaud. En réalisant « Marae » (1983), il a relevé le défi de reconstituer une cérémonie traditionnelle comme il ne s’en faisait plus depuis longtemps. Dans « Les Immémoriaux » (1982), de Ludovic Segarra, où pieds nus et vêtu d’un paréo il incarne le rôle principal, Henri Hiro réussit à graver son propos qui, aujourd’hui encore, continue de résonner : «  Je ne reconnais plus ma terre, ma terre ne me reconnaît plus ».

Évènement

Mercredi 10 mars, à partir de 18h

Cinematamua : Hommage à Henri Hiro

Projection du film « Le Château », de Jean L’Hôte, ainsi que Poroi, Te ora & Heiva 90. La projection sera précédée d’un chant, d’une cérémonie du kava et d’un orero composé pour l’occasion.

Entrée libre

Paepae a Hiro – Maison de la Culture

* Voir www.ica.pf

* MJMC : Maison des Jeunes – Maison de la Culture

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