« On se doit de créer, et non pas tout le temps de copier ! »

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On ne présente plus Frédéric Bon, alias P’tit Louis, et ses savoureuses illustrations quotidiennes dans la Dépêche de Tahiti. Cet artiste au talent aussi subtil qu’acéré a enseigné le dessin au Centre des Métiers d’Art de 1987 à 1995. Il nous en dit davantage – et plus encore – sur l’école, son créateur, la politique, l’art… Un délicieux mélange des genres, entre sérieux, ironie et dérision !

Tu as bien connu Henri Bouvier, peux-tu nous en dire plus sur votre rencontre ?

Notre rencontre fut toute simple. Après avoir lu un appel à candidature pour le recrutement d’un professeur de dessin au Centre des Métiers d’art, je me suis présenté à Henri Bouvier, et il m’a dit : « Voyez-vous, j’ai 9 candidats, et ce sont tous des peintres. Vous, vous avez fait l’école Boulle, vous êtes sculpteur, j’ai besoin de vous ! » Voilà ma première rencontre avec Henri Bouvier. J’ai donc eu le plaisir de le côtoyer longuement et ce fut chaque matin un réel plaisir de partager ses souvenirs, ses connaissances sur l’art du Pacifique et aussi son envie permanente d’en savoir toujours plus sur ce qui nous entoure. Et je peux vous dire qu’autant dans la tête que dans le maniement de son échoppe, il était affûté le père Bouvier !

Peux-tu préciser ta pensée ?

Il a été un farouche adversaire, avec notamment John Teariki, de l’installation du nucléaire en Polynésie, je vous laisse donc deviner tout ce que je sais, et qu’il n’est pas bon de raconter, autour des manoeuvres politiques consternantes que les pro-nucléaires de l’époque ont pu concocter. Il est d’ailleurs amusant de constater que ceux qui hier étaient pour, sont aujourd’hui contre ! Mais ça, c’est une autre histoire ! En tout cas, je suis très fier d’avoir pu côtoyer un homme tel que lui, car ils sont rares de nos jours, ceux qui s’engagent au nom de leurs idées et gratuitement, pour le bonheur du geste. Le Centre des Métiers d’Art en est un bel exemple !

Le Centre des Métiers d’Art et toi : une grande histoire ?

Je m’y sentais bien. Henri Bouvier avait un peu calqué le fonctionnement du Centre sur celui de l’école Boulle, à Paris, à laquelle il avait été en 1932, et moi en 1968. On était du même moule ! L’école Boulle, tout en gardant l’enseignement traditionnel qui en fait une école encore réputée dans le monde entier, a dû et su évoluer. Evolution que le Centre a amorcé à son tour notamment grâce à son actuel directeur, Viri Taimana. Il est conforté dans son rôle de Centre des Métiers « de tous les Arts » qui nous entourent et que l’on se doit de créer, et non pas tout le temps de copier !

Que penses-tu de l’évolution de cet établissement en trente ans ?

Cette école est là pour enseigner les Arts et aussi pour prouver que l’enseignement est nécessaire pour avancer. Il serait grand temps que l’on arrête de penser que le fait d’être autodidacte est une gloire et un honneur. Quand on lit des articles sur certains « exposants » d’art se vantant d’être autodidactes, on est souvent confortés dans le fait qu’il aurait mieux valu pour eux faire des études ! J’en connais même certains qui travaillent au rétroprojecteur, tellement ils ne savent pas dessiner… Mais là, je m’égare. Ceci n’est pas seulement valable pour les artistes, ça l’est aussi et surtout pour les artisans sculpteurs et autres. J’ai, par exemple, été très déçu par l’artisanat de Rapa Nui, à tel point que j’ai demandé à un ami archéologue où je pouvais trouver une belle sculpture de Moai Kavakava : il m’a répondu « au Centre des Métiers d’Art de Papeete ! ». Et le pire, c’est que c’est vrai !

Tes illustrations dans la Dépêche sont toujours très pertinentes… comment trouves-tu l’inspiration ?

J’appellerais plutôt cela de l’impertinence… Dès fois, je me demande même si c’est bien moi l’auteur, ou si je ne devrais pas reverser des droits d’auteurs à tous

les crétins prétentieux qui se précipitent dès qu’on leur tend un micro pour nous dire avec les sourcils froncés – ça fait plus intelligent ! – « Comme je le disais tantôt… ! » Tous ces pantins autodidactes (j’y reviens!) qui gesticulent autour d’un énorme gâteau et qui essayent de s’en taper la plus grosse part ne sont plus drôles, et pourtant j’arrive à garder le sourire, c’est dingue, non ?

Tu as récemment sorti un « vieil » album, Secret Défonse : comment est-il accueilli ?

La nouvelle mouture de Secret Défonse a été mieux accueillie dans les milieux autorisés qu’à sa première publication. Ce qui tendrait à prouver que j’ai 27 ans d’avance sur la pensée de mes concitoyens, et je mesure mes mots ! D’ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi les nombreux dirigeants s’étant succédés aux commandes du Pays n’ont pas eu l’idée de me demander mon avis sur la marche à suivre, pour faire avancer le Pays dans le meilleur des mondes ?

Quels sont tes projets actuels ?

Me faire élire Président, et vendre le Pays à Disney.

Finir le bouquin sur lequel je travaille depuis 10 ans et le publier dans 30 ans pour être sûr que ça marche.

Continuer à plaire à ma compagne et à mes enfants.

Garder la bonne humeur.

Si demain on te donnait des crédits pour développer des actions, quelle serait celle qui te tiendrait le plus à coeur ?

Je ne vois pas pourquoi je te donnerais des idées, alors que je pourrai les vendre sûrement très très cher ! Donnez-moi les crédits et vous allez voir comment on va vous éclater avec mes copains !

Quel est l’artiste en Polynésie qui te fascine le plus et pourquoi ?

Étant moi-même artiste, et tout artiste étant un peu égocentrique, je te laisse deviner pour qui je vote immédiatement…

Que souhaites-tu au Centre des Métiers d’Art pour les trente années à venir ?

D’abord, j’aimerais qu’on nomme cette école du nom de son créateur, puis ensuite je lui souhaite de pouvoir continuer à fonctionner contre les empêcheurs, et ils sont malheureusement nombreux. Mais tant que Viri tient la barre, je pense que le cap sera bien tenu, car c’est un bon capitaine !

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