« Ne conjuguons pas misère morale et économique »

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Heremoana Maamaatuaiahutapu est un homme très demandé. Directeur de la Maison de la Culture, il a eu récemment la responsabilité de l’atelier « culture » des Etats Généraux, en plus du rôle délicat de rapporteur principal à Paris. Entre déplacements et impératifs professionnels, il a tout de même pris le temps de répondre à nos 10 questions !

Raconte-nous ton actu ?

Ces derniers mois ont été particulièrement intenses ! Il a été difficile de concilier mon rôle de responsable d’atelier, de co-délégué général des Etats Généraux et de directeur de la Maison de la Culture. Heureusement que j’étais bien entouré, grâce à Manouche Lehartel, l’animatrice de l’atelier culturel, et à tous les responsables d’établissements culturels participants, qui m’ont beaucoup soutenu. Actuellement, nous travaillons à la préparation du FIFO 2010 : une organisation complexe mais passionnante ! Chaque année, l’événement progresse à tous les niveaux. Pour l’édition 2010, nous avons reçu plus de 160 documentaires. Les rencontres numériques prennent une ampleur inattendue, nous allons devoir multiplier les tables rondes. C’est très prometteur.

Quel était ton rôle lors de la restitution des Etats Généraux à Paris en octobre dernier ?

De porter à l’Etat le message des Polynésiens. En tant que rapporteur et avec les autres responsables de tous les ateliers, il a  fallu préparer la synthèse du travail des 7 ateliers. Nous avons souhaité le faire de manière originale, afin de nous démarquer des autres régions.

C’est-à-dire ?

Plutôt que de présenter un cahier de doléances, nous avons évoqué l’esprit des Etats Généraux en Polynésie… L’enjeu était de ne pas se tromper d’interlocuteur : nous nous adressions à l’Etat français, alors que la plupart de nos recommandations étaient destinées au Pays. Seul 10% des propositions concernait l’Etat, il n’y avait aucun intérêt à leur dire : « voilà ce qu’il faut faire en Polynésie », alors que c’était – et reste – notre problème. Notre message ? Assumons nos compétences avant d’en demander de nouvelles.

Un exemple parmi les 148 propositions issues de l’atelier culture faites à l’Etat ?

La construction d’un centre culturel polynésien, à Tahiti, dans les Îles et à Paris. Le centre culturel Tjibaou, à Nouméa, a été financé par l’Etat français et cela ne dérange personne. Ici, la culture est considérée comme une « chasse gardée », alors que nous n’avons clairement pas les moyens de faire fonctionner et rayonner un centre culturel digne de ce nom. Regardons les problèmes en face : le portefeuille culturel local est secondaire, pour ne pas dire insignifiant !

As-tu remarqué une problématique similaire à toutes les régions d’outre-mer ?

Oui, en effet. La question récurrente et commune est : « sommes nous des Français à part entière ? »

Mais peut-on vraiment statuer sur une question comme celle-là, la réponse n’est-elle pas en chacun de nous ?

Non, car ce n’est pas seulement une question d’identité, mais de droits et de devoirs. Et là, la réponse est non, nous ne sommes pas considérés comme des Français à part entière. Les régions d’outre-mer sont lésées par rapport aux régions métropolitaines : financièrement, socialement, etc.

Qu’attendez-vous des Etats Généraux désormais ?

Les réponses du Pays à nos propositions. Elles nous permettraient de mener rapidement des actions. Car le temps n’est plus à la réflexion, mais à l’action.

Et d’un point de vue culturel ?

Localement, les constats sont les mêmes depuis des années. Par contre, avec les Etats Généraux, nous avons pu apporter une approche nouvelle, à savoir, la culture comme vecteur de cohésion sociale et facteur de développement économique. Les artisans sont nombreux et pourtant il s’agit d’un secteur économique méconnu. Combien sont-ils, combien gagnent-ils ? On ne le sait pas ! Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Une de nos recommandations est de faire une étude sur l’impact économique de la culture en Polynésie. Cela a été fait en Europe, et celle-ci a démontré que pour 1 euro dépensé dans l’organisation d’un festival, 20 euros de recette économique étaient générés sur l’ensemble des secteurs d’une ville. De tels résultats nous permettraient d’avoir plus de poids et de crédibilité. La culture fait vivre quantité de monde ; à l’heure où l’on subit une crise économique planétaire, faire des économies sur la culture est une erreur. Si la population a besoin d’être rassurée sur son avenir, la culture est essentielle en terme de cohésion sociale. Ne conjuguons pas misère morale et misère économique, sinon c’est l’explosion assurée.

Les objectifs pour 2010 ?

Que les systèmes de financements privés soient enfin appliqués en Polynésie. Le fameux « 1% artistique » par exemple. Il s’agit d’un mécanisme qui impose sur toute commande publique de réserver 1% du coût des constructions pour la commande ou l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art. La loi sur le mécénat est aussi un impératif. Pourquoi ne pas s’inspirer du texte appliqué en Nouvelle-Calédonie et l’adapter à notre fiscalité* ? Sa mise en place est simple, mais relève d’une volonté politique.

Quel message souhaites-tu adresser ?

Merci aux 1000 personnes qui ont participé aux ateliers. Tous m’ont surpris par leur largeur d’esprit. Sachant que nous allons basculer très prochainement dans la société numérique, cette ouverture est importante, car il n’y a qu’ainsi que nous ne nous ferons pas balayer. Nous ne sommes déjà plus à 18 000 km de Paris ou à 6 600 km de Los Angeles, mais à un clic de souris, c’est-à-dire 0,3 seconde…

* Pour plus d’informations sur le sujet, rendez-vous sur : http://www.culture.fr/sections/themes/art_contemporain/articles/qu-que-1-artistique

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