Ra’atira pupu himene : à chœur ouvert…

Rencontre avec Mama Iopa, ra’atira pupu himene et professeur de himene au Conservatoire.

Etre ra’atira d’un pupu himene, chef d’un groupe de chants traditionnels, est un rôle aussi délicat qu’exigent. Les compétences musicales et pédagogiques, comme humaines et organisationnelles, sont au cœur de la démarche de ce leader artistique. Zoom sur cette activité avec Mama Iopa, ra’atira pupu himene, professeur de himene au Conservatoire et jury des himene pendant le Heiva.

Comment as-tu découvert le chant ?

A ma paroisse. Le chant est devenu pour moi une passion lorsque j’ai eu 16 ans et que j’ai découvert le solfège. Et à tout juste 18 ans, j’ai appris mon premier chant à un groupe ! Depuis lors, je n’ai cessé de chanter dans des assemblées paroissiales, puis j’ai créé mon propre groupe de himene Tuhaa Pa’e – je suis originaire de Rurutu – Hautimatea.

C’est avec ce groupe que tu as participé au Heiva ?

Oui, en effet, nous avons chanté à To’ata de 2003 à 2006 et remporté les premiers prix en 2003 et 2004.

Un ra’atira pupu himene fait quoi exactement ?

Il ne se contente pas d’agiter les bras, comme beaucoup doivent l’imaginer ! D’ailleurs, ce mouvement lui sert à battre la mesure, permettant au groupe de garder le rythme. Le ra’atira pupu himene est tout simplement comme un chef d’orchestre, mais il dirige des voix et non des instruments. Personnellement, je suis également auteur compositeur de la plupart des chants que mon groupe interprète.

Tu nous a dit avoir appris le solfège. En quoi cette discipline est-elle importante pour diriger un groupe de chants ?

Le solfège est à la musique ce que l’alphabet est à l’écriture et à la lecture. Pour pouvoir lire, il faut connaître l’alphabet, et bien pour pouvoir faire de la musique de manière approfondie, il faut connaître le solfège ! Cela permet de saisir toutes subtilités des mélodies et des voix. Autrement, grâce au solfège, je peux laisser des traces (des participations) des himene que je connais ou compose et ainsi les transmettre.

Quels sont les différents niveaux de voix à gérer ?

Pour les tarava Tahiti et Raromatai, il y a neuf niveaux de voix. Alors que pour les tarava Tuhaa Pa’e, il y a en a 7 (voir notre encadré). Tous les himene sont construits avec ces différentes voix, qui s’équilibrent les unes avec les autres.

Comment apprend-on un chant à un groupe ?

La première chose, c’est de « classer » les chanteurs selon la tonalité de leur voix. Ensuite, avant de chanter, il faut bien apprendre les paroles du chant à interpréter, veiller à ce que tous les mots soient parfaitement prononcés. Puis, je donne la note phrase par phrase. Nous faisons ensuite de même paragraphe par paragraphe, voix par voix. Une fois que tout ceci est acquis et que toutes les voix sont placées, nous pouvons commencer à toutes les mélanger et le groupe peut chanter !

Ce qu’il y a de plus difficile ?

La coordination des voix. Une fois que le chant est en place et que toutes les voix se mêlent, il s’agit de bien réussir à maintenir le rythme, et surtout à conserver son propre timbre de voix, car on a naturellement tendance à être influencé par celui du voisin ! Le ra’atira pupu himene doit savoir tout entendre et tout harmoniser. Et quel bonheur quand on atteint le but recherché : la réussite du chant.

Tu es jury au concours de chants du Heiva depuis 3 ans. Un rôle difficile ?

Oui, ce n’est pas évident mais c’est aussi beaucoup de plaisir d’entendre ces magnifiques mélodies à volonté ! Pour ce qui est de la notation, je me fie aux critères (voir notre encadré). La connaissance du solfège alliée à mon expérience de ra’atira me permet de capter la finesse des chants ou leurs erreurs, la beauté de leurs enchaînements, l’harmonie générale.

Que représentent les himene pour toi ?

Mon cœur est emporté à chaque himene et mon corps frissonne d’émotion ! Les paroles prennent vie en moi.je me vois dans les décors exprimés dans les textes, dans les montagnes, les rivières, au combat… Le chant libère celui qui le prononce comme celui qui l’écoute, il procure et transmet une énergie bénéfique. C’est pourquoi je suis passionnée par cet art, vecteur de plaisir personnel et partagé.

Les critères de notation du concours de himene

  1. Il y a cinq principaux critères, à l’intérieur desquels le jury doit prendre en compte un certain nombre de détails. Le tout est noté sur 100 points.
  2. Le thème (12 points) : authenticité ou originalité du thème, beauté du texte, maîtrise de la langue ;
  3. La tonalité (10 points) : justesse du ton des faa’ara’ara, justesse des différentes voix, harmonie générale ;
  4. Le rythme (26 points) : maîtrise des rythmes, enchaînements réussis, habilité du ra’atira à battre la mesure et contrôler la cadence, dynamique de l’ensemble ;
  5. Les voix (40 points) : puissance et clarté des voix, synchronisation, présence et maîtrise de tous les différents niveaux de voix ;
  6. La présentation générale (12 points) : personnalité et charisme du ra’atira, discipline, allure générale, respect de la composition du himene tarava (introduction / entre ( et 8 strophes de 6 à 8 lignes).

Les différents niveaux de voix des tarava

Tarava Tahiti et Raromatai

  • faa’ara’ara : voix féminines qui ouvrent le chant
  • tamau raro : voix féminines hautes
  • tamau ni’a : voix féminines basses
  • perepere : voix féminines aigues qui rythment le chant
  • mape’e : voix féminines et masculines en même temps
  • tuo : voix masculines
  • ha’u : voix masculines très graves, qui sont soufflées et rythment le chant
  • huti : voix féminines
  • fa’ahoro : voix masculines

Tarava Tuhaa Pa’e : idem, sans le huti et fa’ahoro.

* Voir notre article « le saviez-vous » : Pas un, mais des himene !, pour en savoir plus sur les chants traditionnels.

Vous aimerez aussi...