L’art de penser et l’art de transmettre …

Simone Grand, Docteur en biologie, anthropologue, présidente de la Société des Etudes Océanienne

Pourquoi la scientifique que tu es a-t-elle décidé de se consacrer à l’anthropologie ?

En fait, c’est l’inverse. Je crois qu’au départ j’étais une littéraire. Mais très jeune, j’ai décidé de faire des mathématiques pour me discipliner l’esprit, parce que je ne savais pas où la littérature m’emmènerait, alors j’ai choisi les sciences. Quand j’ai eu cinquante ans et que je me suis retrouvée au placard, parce que le n’importe quoi prévalait dans l’administration, j’ai décidé d’aérer ce placard. J’ai voulu travailler sur l’influence des mythes dans le discours politique. Puis on m’a demandé de faire une étude sur les soins traditionnels, et c’est comme cela que j’ai abordé l’anthropologie.

Après l’avoir étudié, crois-tu toujours en l’Homme ?

Tout à fait, à condition qu’on lui rappelle qu’il est un humain. Fabriquer un humain est l’objectif de toutes les cultures. Selon une définition empruntée à Tobbie Nathan, « la culture est ce que les sociétés ont inventé pour accueillir leurs enfants en ce monde et en faire des humains ». A partir de là, si l’on y travaille tous avec volonté, tout en essayant de déjouer les pièges de notre propre part d’ombre, être un humain respectable, ça vaut comme programme de vie.

Puisque nous parlons culture, que penses-tu de cette phrase de Malraux : « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » ?

Je suis d’accord. La culture se conquiert, elle se recueille, on en prend soin et on la transmet. Ceux à qui elle n’a pas été transmise doivent aller la chercher. Par exemple en ce qui concerne la culture polynésienne, certaines choses m’ont été transmises par ma mère de façon explicite. D’autres l’ont été de manière implicite. Dans le second cas de figure, il faut trouver les mots pour dire ce qui n’a pas été dit et qui pourtant a été transmis. Cela fait partie de ces recherches que je communique à mes étudiants. Quelquefois ils me disent : « Simone, tu ne nous apprends rien sinon les mots pour dire ce que l’on n’ose jamais dire. »

Vers quel domaine ta réflexion s’oriente t-elle en ce moment ?

Je voudrais que la pensée devienne libre et sans entraves. Or, la pensée a été entravée, brimée, manipulée, contrainte, pervertie, pour différents objectifs politiques et religieux. Ma réflexion s’oriente autour de cette problématique : comment libérer sa pensée et la reconquérir ?

Si demain on te donnait des crédits pour développer une action, laquelle te tiendrait le plus à cœur ?

Libérer l’espace qui a été aliéné. Je m’explique : l’espace de liberté, c’est ce à quoi nous avons droit et que la loi reconnaît à chacun. Aujourd’hui il est dénié à tous. Le bord de mer par exemple. Tout le littoral est aliéné, la majorité de la population est exclue de cette part essentielle de son patrimoine !

Cite-nous quelque uns des ouvrages qui figurent dans ta bibliothèque idéale…

Dans ma bibliothèque idéale il y aurait le « Journal » de James Morrisson, car il a décrit les Tahitiens comme étant des humains et non des bêtes curieuses. Il y aurait tout Victor Hugo. Il y aurait des livres de poèmes. En fait, ma bibliothèque idéale n’a pas de limite, je suis une dévoreuse de livres. Il n’y a pas de fin à ma faim de lecture. Actuellement, je suis plongée dans un ouvrage totalement désuet mais dont je me régale : « Les diaboliques » de Barbey d’Aurevilly. Avant cela j’ai lu des polars, j’aime beaucoup ce genre, c’est une manière d’approcher l’âme humaine.

Quels rêves d’enfant as-tu réalisé ?

Quand j’étais enfant, je voulais comprendre plein de choses. Je suis en train de comprendre et je n’ai pas fini. Je voulais découvrir le monde, rencontrer des gens de toutes origines, j’ai eu la chance de pouvoir le faire. Il y a des rêves que je n’ai pas réalisé, comme prendre soin de certaines personnes, ou réparer les choses méchantes que j’ai pu faire, parfois c’est trop tard. Malgré mon âge, je crois que je n’ai pas tout à fait cessé de rêver.

Qu’est-ce qui te fait sourire ?

L’humour. La rupture dans la monotonie, dans les certitudes, qui provoque le gag. Beaucoup de choses me font sourire même parmi les choses graves. Sourire c’est garder sa vitalité, c’est avoir l’esprit en éveil.

Une phrase que tu aimes particulièrement ?

« Le commencement de toute science est l’étonnement de ce que les choses sont ce qu’elles sont. »

Un message à faire passer ?

Continuons à nous étonner et méfions-nous de nos certitudes.

SALON DU LIVRE

Simone Grand est présidente de l’Association des Editeurs de Tahiti et des îles, qui organise chaque année le Salon du Livre à Papeete. Celui-ci se déroulera du 21 au 23 novembre à la Maison de la Culture. « L’association se réjouit de poursuivre ses objectifs consistant à donner et satisfaire le goût de lire et d’écrire ; de développer et affiner la pensée » explique Simone Grand. Le thème de cette année : « les littératures du Pacifique ». Anita Heiss, auteure aborigène et Célestine Hitiura Vaite, auteure tahitienne, seront les invitées d’honneur. Conférences à thème (la traduction, la BD, etc.), rencontres autour des recettes de cuisine avec des auteurs et fins gourmets, contes, venez vous imprégner de l’esprit de l’écriture telle qu’elle est pratiquée, transmise et reçue sous nos latitudes.

et quand ?

  • Salle Muriavai, Paepae a Hiro et Jardins de la Maison de la Culture
  • Vendredi 21, samedi 22 et dimanche 23 novembre
  • De 9h à 16h
  • Entrée libre
  • Renseignements au 544 544
  • www.maisondelaculture.pf

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